Ni hagiographie, ni pamphlet, Le Pen, une histoire française
a déclenché une belle polémique. Ses auteurs, Pierre Péan et Philippe
Cohen, s’écartent de la doxa officielle. Pour eux, la diabolisation du
Front national est moins due aux « dérapages » de son président qu’aux
manœuvres machiavéliques de François Mitterrand créant SOS Racisme en
même temps qu’il rétablissait la proportionnelle et se prêtait avec
Pierre Joxe à la manipulation de Carpentras. Le Pen, une histoire française
est un livre où les auteurs ne prennent pas vraiment parti mais
accumulent des faits, des témoignages étayés, parfois des ragots, et
exposent, sur chaque sujet, les différentes thèses en présence. Il leur
arrive d’être sévères avec le président honoraire du Front national,
notamment dans la description de ses rapports avec son parti et surtout
avec l’argent, sans parler de leur hypothèse sensationnaliste sur une
éventuelle expérience homosexuelle, bien dans l’air du temps il est
vrai, qui a conduit Jean-Marie Le Pen à annoncer des poursuites en
diffamation. Observatrice affutée de la scène nationale, Camille Galic
présente pour nos lecteurs le livre de Péan et Cohen.
Polémia
Polémia
Après celle qui suivit l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour
de la présidentielle 2002, la France a connu une nouvelle « quinzaine de
la haine », celle qui, dès la mi-novembre, s’est déchaînée dans la
presse française contre les auteurs de Le Pen, une histoire française.
Mais cette cabale ne repose-t-elle pas sur un malentendu ? En dépit – ou
en raison – de son objectivité affichée, ce livre ambigu, en rupture
avec les thèses établies depuis des décennies, est aussi, en effet, un
SCUD contre le président honoraire du Front national.
Matraquage contre Cohen-Péan
C’est Nicolas Poincaré qui attaqua le
premier sur Europe 1 : comment Philippe Cohen et Pierre Péan ont-ils pu
aborder « sans haine » (sic) le président honoraire du Front
national ? Sur la même antenne, propriété d’Arnaud Lagardère et
désormais aussi de l’émir du Katar Alexandre Kara, nouveau chef du
service politique d’Europe 1, et Benjamin Bonneau renchérissent : « Le
Pen doit attendre ce livre avec le sourire, [car] les deux journalistes
d’investigation se livrent en effet à une véritable entreprise de
dédiabolisation, voire de banalisation, de l’homme qui a réinventé
l’extrême droite française. »
Pensez donc (c’est toujours Alexandre
Kara et Benjamin Bonneau qui parlent) : « Concernant la guerre
d’Algérie, un pan obscur de la carrière de Jean-Marie Le Pen, les
auteurs en arrivent en effet à cette conclusion : “Si Le Pen a sans
doute brutalisé des Algériens, il n’a pas pratiqué la torture
institutionnelle telle qu’elle a été employée pendant le conflit”… » et
les auteurs osent le définir « non comme un Mussolini français mais
plutôt comme le fils de Céline et de Séguéla ».
L’offensive continue sur France Inter
où, malgré sa répugnance à parler de « mauvais livres » (mais il faut en
parler « justement par respect pour les bons »), Patrick Cohen éructe
dans sa tranche matutinale contre son homonyme Philippe et contre Pierre
Péan, qui « banalisent » Le Pen et, traitant de l’affaire du « détail »
(1987), omettent d’y voir la preuve irréfutable que Le Pen, « ce
jour-là patraque », est un antisémite invétéré.
Si l’on ajoute à ces charges celles, tout aussi virulentes, de Maurice Szafran, directeur de Marianne (dont,
pourtant, Philippe Cohen est toujours rédacteur après en avoir été l’un
des cofondateurs), et de Serge Ulisky qui, sur le site Mediapart dirigé
par Edwy Plenel, s’indigne de voir « un Le Pen réhabilité, sorti du
purgatoire par la grande porte… celle qui mène au paradis, à la droite
du Père », il faut bien admettre que l’on a assisté à une fameuse
démonstration de « Cohen-Péan bashing ».
Boulevard à ragots
La chose est d’autant plus surprenante
que le livre, d’ailleurs souvent fondé sur des sources anonymes et
entaché d’erreurs (François Brigneau y est confondu sur une photo avec
Hubert Massol, Jean Mabire assimilé page 156 à Bernard Antony comme chef
des catho-tradis, etc. sans parler des confusions de prénoms), est sans
doute le réquisitoire le plus dommageable – du point de vue, essentiel,
celui du militant de base – jamais écrit sur l’homme Le Pen.
Péan et Cohen le présentent comme un opportuniste politique, taxé
d’homosexualité avec le feu député-maire de Pau André Labarrère, accusé
d’avoir été un mauvais père et un président de parti peu scrupuleux. A
l’évidence, ces auteurs ne ressentent visiblement aucune empathie pour
lui, au contraire de leurs confrères de Libération Gilles
Bresson et Christian Lionet, auteurs de la première biographie (1)
consacrée au président du Front national car ces gauchistes ne pouvaient
en effet se défendre d’une certaine fascination pour le turbulent et
inclassable Le Pen. L’intéressé ne s’y est d’ailleurs pas trompé qui,
qualifiant le livre de Cohen et Péan de « boulevard à ragots »,
s’estimait « calomnié » et annonçait le 29 novembre son intention de
porter plainte.
Malentendu
Comment expliquer ce malentendu ? Sans doute, parmi les plumitifs qui ont dénigré Le Pen, une histoire française
dès sa parution, bien peu en avaient lu chacune des 540 pages. Mais la
principale raison de leur vindicte est celle avancée par Patrick Cohen
sur France Inter : « Ce qu'il y a de plus insupportable dans [c]e Le Pen,
c'est la façon dont les auteurs font la leçon à tous ceux qui les ont
précédés », y compris lui-même, qui avait commis au printemps 2003 un
livre à charge (2).
En effet, si Péan et Cohen ne ménagent
pas le Le Pen intime, caractérisé selon eux par « un narcissisme
exacerbé et un égocentrisme de tous les instants » ainsi que par « une
propension à tout détruire » et « une relation trouble à l’argent », ils
font litière des accusations justifiant la « légende noire » entretenue
à plaisir depuis près de trente ans par des journalistes aussi
suivistes que négligents dans la recherche des preuves. Ils jugent
ainsi, on l’a vu, invraisemblable que le jeune député engagé au 1er REP
ait torturé en Algérie (qui imagine d’ailleurs l’armée confiant une
pareille tâche à un civil, de surcroît député, fût-il provisoirement
enrôlé dans la Légion ?). Ils reconnaissent aussi que les témoins FLN
convoqués aux différents procès intentés par Le Pen à Michel Rocard et
au Monde notamment (diffamateurs relaxés en raison de leur «
bonne foi ») étaient de faux témoins et que la très tardive exhibition
d’un « poignard SS » avec lequel le jeune député aurait soumis ses
supposées victimes à la question relève du montage. De même, s’ils
soulignent sa fidélité aux « vaincus de l’histoire », ils n’y voient pas
la preuve d’un antisémitisme viscéral et primaire (qui, ainsi que son
racisme tant de fois incriminé, « relève de la provocation plus que de
l’intime conviction »). Enfin, ils exonèrent aussi celui qui était alors
le président du Front national de toute responsabilité dans la
profanation de Carpentras ainsi que dans la rixe qui se produisit en
1995 en marge d’un défilé du FN et à l’issue de laquelle le Marocain
Bouarram, jeté, ou tombé, dans la Seine, s’y noya. En revanche, ils sont
très sévères pour la gauche en général et François Mitterrand en
particulier qui, tout en instituant la proportionnelle qui devait
mécaniquement amener le Front national à la Chambre, instrumentalisait
simultanément SOS Racisme pour sataniser Le Pen et interdire ainsi toute
entente entre les « fascistes » et la « droite républicaine » dont
François Léotard, l’une des têtes d’affiche, était l’un des parrains de
SOS Racisme. Cette stratégie, ou plutôt cette tactique réussit
parfaitement puisque ses effets perdurent aujourd’hui encore.
Le boomerang de la diabolisation
En somme, Péan et Cohen prennent sur les
plans historique et politique l’exact contrepied des confrères qui ont
si longtemps, et qui pour la plupart persévèrent, à colporter des
contre-vérités, avec pour seul résultat de « congeler » autour de
Jean-Marie Le Pen ceux de ses compatriotes qui refusent la
bien-pensance, et donc de « faire de lui une sorte d’épicentre de la vie
politique récente ».
Ce cruel constat de son aveuglement
sectaire et de son propre échec, c’est bien ce que notre moutonnière
mais arrogante gent journalistique reproche le plus aux auteurs de Le Pen, une histoire française, même si leur livre est un mauvais coup porté au Front national et plus largement au mouvement national.
Philippe Cohen et Pierre Péan : Le Pen, une histoire française, éd. Robert Laffont 2012, 540 pages.
Notes :
(1) Patrick Cohen avec Jean-Marc Salmon, 21 avril 2002 : Contre-enquête sur le choc Le Pen, Denoël 2003, 356 p.
(2) Gilles Bresson et Christian Lionet, Le Pen, biographie, Ed. du Seuil 1994.
(2) Gilles Bresson et Christian Lionet, Le Pen, biographie, Ed. du Seuil 1994.
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