Au lendemain de la parution aux Etats-Unis, en 2009, du livre de Christopher Caldwell, Reflections on the Revolution in Europe
dans sa version originale, le professeur Alain Besançon, membre de
l’Institut, présentait l’ouvrage dans un commentaire ayant pour titre : «
Un livre qui devrait faire scandale ! ». Il concluait en émettant le
vœu qu’il « soit traduit, lu et discuté. Il en vaut la peine » (1).
Hélas, il n’en fut rien jusqu’à ce qu’un éditeur français, les éditions
du Toucan, plus courageux que ses confrères qui s’y étaient refusés,
entreprenne en octobre 2011 la traduction et la publication de cet opus,
avec une préface de la démographe Michèle Tribalat (2).
La présentation de Une révolution sous nos yeux se fera en deux parties, en voici la première.
La présentation de Une révolution sous nos yeux se fera en deux parties, en voici la première.
La sortie du livre en librairie fut
discrète. Contrairement à la grande presse anglo-saxonne de 2009, les
médias français d’aujourd’hui, à quelques rares exceptions, se gardent
bien d’en parler. Et pourtant, l’éditeur américain l’avait présenté en
son temps comme « une sorte d’explosion qui s’apprête à frapper la scène
politique britannique, un ouvrage aux idées si renversantes qu’il en
changera le débat sur la question la plus importante de la politique
européenne ».
Que pouvait donc avoir écrit Christopher Caldwell, chroniqueur au Financial Times et rédacteur au Weekly Standard pour provoquer un engouement dans la grande presse britannique et un ostracisme quasi total dans les médias français ?
La thèse de Caldwell est simple mais
précise et peut se résumer en quelques mots : Caldwell, fort d’un séjour
prolongé en Europe et armé d’une documentation importante – le nombre
des notes du livre en fait foi – décrit la progression fulgurante de
l’immigration en Europe et s’interroge sur la question de savoir si les
Européens peuvent conserver la même Europe avec des gens différents. A
notre connaissance, Caldwell est le premier à poser la question dans
toute son étendue et sa complexité. La réponse est tout aussi simple et
précise, c’est NON.
Le livre s’articule en trois grandes
parties et douze chapitres. La construction est claire, les titres et
sous-titres très explicites, et la lecture facile et passionnante. Il
est toujours intéressant de se faire ausculter par un étranger qui,
inévitablement, sort des concepts habituels et des contraintes du
politiquement correct, nécessité absolue pour traiter un tel sujet en
toute liberté.
I - Rivers of Blood (Rivières de sang)
La première partie, sous le titre Immigration,
est un constat froid, parfois glacial, exempt de tout pathos. Le décor
est dressé, tout est dit sur l’immigration extra-européenne. D’entrée de
jeu, on voit le cheminement se tracer : « L’Europe occidentale s’est
changée en société multiethnique. »
Au lendemain de la Deuxième Guerre
mondiale, les pays occidentaux, et notamment la France avec ses
colonies, ont fait appel à une main-d’œuvre extérieure à la métropole
pour satisfaire leur économie en plein développement. Le besoin était
réel et s’inscrivait dans l’euphorie des fameuses Trente Glorieuses, de
l’explosion de la croissance, du plein emploi… Mais la prévision de
l’avenir a été négligée : aucun programme sur le long terme, aucune
disposition prévoyant dans la durée le devenir de cet apport de
population n’ont été envisagés. Considérés comme une main-d’œuvre
d’appoint, on n’imaginait pas que ces immigrés se fixeraient en Europe
et « personne ne supposait qu’ils seraient un jour éligibles aux
dispositifs de protection sociale ». « L’idée selon laquelle ils
conserveraient les habitudes et les cultures de leur village, de leur
clan, des mosquées et des bourgs marchands du Sud était bien trop
exotique pour que l’on s’y attarde. »
Au cours des années, l’Europe est
devenue pour la première fois de son histoire un continent de migrants.
Le bien–être, revenu après les épreuves de la dernière guerre encore
récente, a laissé les sociétés européennes dans l’inconscience totale.
Et pourtant, il y eut quelques alertes,
sinon des mises en garde. La plus spectaculaire fut le célèbre et très
controversé discours d’Enoch Powell, Rivers of Blood
(prononcé à une réunion de l'Association des conservateurs à Birmingham
le 20 avril 1968) (3) où il « parla de l’arrivée encore modeste de
sujets de “couleur” des anciennes colonies » et « laissa entendre qu’à
long terme, l’Angleterre connaîtrait des ghettos similaires à ceux de
l’Amérique, ceux-là mêmes qui se consumaient à l’heure où il s’exprimait
».
Ce discours n’est pas passé inaperçu et
il a provoqué un débat démocratique sur l’immigration, débat qui s’est
déroulé sous forme d’affrontements politiques, sans, comme toujours,
tenir compte de l’opinion populaire qui se trouve aux premières loges
face à l’adversité. Il n’y a donc eu aucune prise de conscience
politique sérieuse. Or Powell ne s’était pas trompé puisque « la
population non blanche de Grande-Bretagne, à peine plus de 1 million
d’individus à l’époque, atteindra 4,5 millions en 2002 » tandis que la
France, en 2004, comptait près de 5 millions d’immigrés dont 36% étaient
français, essentiellement des Algériens issus des anciens départements
de l’Algérie ou nés en France.
Le député tory Powell, qui sera
exclu de la société politique (4), se morfondait à la vue du spectacle
qui s’offrait aux yeux des Britanniques : comme il l’avait prévu, les
Anglais supportaient de moins en moins cette immigration inflationniste
et cela s’est rapidement traduit par des réactions sanglantes de part et
d’autre pouvant aller jusqu’à l’attentat terroriste comme celui du 7
juillet 2005 dans les transports en commun à Londres.
La honte
Selon Caldwell, Powell n’a pas perçu la
honte qui imprègne les peuples occidentaux : « Après deux méfaits de
dimension historique, le colonialisme et le nazisme, le climat moral
dominant l’Europe depuis la fin de la dernière guerre est celui de la
repentance ». Cette repentance, intégrée comme règle d’or dans la
nouvelle morale occidentale qui inhibe les élites, sous influences
diverses, et par voie de conséquence les peuples, est rapidement devenue
la cause principale de l’immigration de masse. Les peuples sont
culpabilisés. Ils doivent « éprouver du repentir pour avoir perpétré,
encouragé, ou passivement observé les atrocités du fascisme, vingt ou
trente ans plus tôt ». (…) « Quand ils s’adressaient aux Africains, aux
Asiatiques et à d’autres immigrants en puissance, les Européens de
l’après-guerre éprouvaient un sentiment d’illégitimité qui n’a cessé de
s’approfondir avec le temps. » Ce sentiment de honte, malgré quelques
réticences, est néanmoins admis par l’ensemble comme un phénomène de
puissance. Cette immigration de masse est bien là et elle n’est pas
l’affaire d’individus isolés. Elle est organisée pour exiger une vie
meilleure.
Avec la sécheresse du statisticien
Caldwell dresse un état des lieux : sur 375 millions d’habitants en
Europe, 40 millions vivent en dehors de leur pays de naissance, dont une
minorité presque négligeable d’Européens se déplaçant vers un autre
pays d’Europe.
L’auteur fait bien la distinction entre
immigration intra-européenne et immigration musulmane. Il ne traite que
la seconde, c’est-à-dire celle « en provenance de pays et de cultures
non européens », celle qui est créatrice de « sociétés multiethniques et
multiculturelles ». Il ne tombe pas dans le poncif connu : « La France,
terre d’accueil, a toujours accueilli au cours des siècles des
étrangers venus s’y installer… » Il se démarque également de
l’immigration aux Etats-Unis à laquelle on est tenté de comparer celle
qui envahit l’Europe. Pour lui, cette comparaison n’a pas lieu d’être :
les nombreux immigrants en provenance de l’Amérique du Sud – les latinos –
de religion catholique et de culture post-occidentale « correspondent
généralement à une version archaïque de leurs congénères américains ».
Ils s’intègrent facilement, au pire dès la deuxième génération.
Déséquilibre démographique
Les Européens n’ont pas suffisamment
d’enfants, leur fécondité décline d’année en année. Le nombre des non
européens va croissant et deviendra prédominant. La population
autochtone chute dans pratiquement tous les Etats de l’Union et, en
règle générale, cet état de fait ne préoccupe pas les Européens qui pour
beaucoup ne s’en rendent même pas compte.
« Marie-toi, car par toi je surpasserai
les peuples. » (Verset du hadith, Ibn, 1 : 599). La culture musulmane,
rappelle-t-il, est semée de messages vantant les avantages pratiques de
la procréation pendant que les Européens votent des lois malthusiennes.
L’européanisation des immigrants
Selon Caldwell, qui a une vue pessimiste
de la situation européenne, « le débat européen sur l’immigration
trahit le sentiment de peur panique refoulée qu’inspire l’état de la
civilisation européenne » et « l’adaptation des minorités non
européennes [pour combien de temps ?] découlera de la perception
qu’auront de l’Europe [la France] les autochtones et les nouveaux
arrivants : civilisation florissante ou civilisation décadente ? »
Voici quelques axiomes relevés dans le texte de Caldwell :
- « Les cultures “avancées” ont toujours sous-estimé leurs vulnérabilités vis-à-vis des cultures primitives » ;
- « L’immigration n’améliore pas, ne valorise pas la culture européenne [française]. L’Europe [la France] ne fait pas bon accueil à ses tout nouveaux habitants, elle leur cède la place » ;
- « L’immigration renforce les pays solides et les cultures fortes, mais elle peut submerger les plus faibles » ;
- « L’immigration, en Europe, n’est pas diversifiée, même si les individus concernés le sont » ;
- « Accueillir davantage de groupes ethniques ne revient pas à ajouter à l’Europe ce qu’elle possède déjà, mais à la transformer » ;
- « La médiocrité spirituelle que les immigrés islamiques perçoivent dans l’Occident moderne n’est pas imaginaire et pourrait être la plus grande entrave à la préservation de la culture européenne. »
Caldwell se veut être un observateur
éclairé, mais à la vue de ce qu’il a observé au cours de son périple
européen, il se transforme parfois en procureur au réquisitoire
implacable. Il en a conscience : « Sans un certain laconisme et une
certaine brusquerie, rien de sérieux ne peut s’énoncer. Border chaque
raisonnement de précautions oratoires de certes et de nonobstant
aurait rendu le livre pénible à écrire et sa lecture assommante ». Au
risque d’être choqué, le lecteur est prévenu et peut en conséquence
poursuivre sa lecture.
II - Immigration de réfugiés
Au lendemain de la Deuxième Guerre
mondiale, l’immigration, pour des raisons déjà évoquées, était donc
nécessaire et ce jusqu’en 1970.
C’est alors que la saturation économique
s’est fait sentir et que « l’immigration de main-d’œuvre » donna vite
la place à une « immigration de réfugiés ». Si, à cette époque, la
Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne ont officiellement fermé leurs
portes aux travailleurs étrangers, de nouveaux prétextes ont été
avancés pour expliquer en quoi et pourquoi l’immigration était toujours
une nécessité : le principal de ces prétextes relève de l’humanitaire.
En s’étendant sur les formes de pénétration sur le continent européen,
Caldwell se livre à un historique assez conforme à la réalité.
Selon lui, Britanniques, Allemands et
Français devaient offrir un asile à ceux qui étaient menacés, dans leur
pays, de violences, de pauvreté ou de persécutions politiques. Des
milliers d’étrangers arrivèrent par voie terrestre, maritime ou aérienne
en provenance de tous les pays déshérités du monde. Le programme
économique de l’après-guerre se transformait en devoir moral et Caldwell
s’étonne : « Si l’immigration était rendue économiquement nécessaire
pour une pénurie de main-d’œuvre dans les années 1960, pourquoi
était-elle aussi nécessaire dans une période prolongée de chômage à deux
chiffres comme celle que l’Europe a connue après les années 1980 ? ».
Caldwell porte un jugement sévère sur
les Européens qui « étaient incapables de savoir si ces immigrants
étaient de pauvres hères, des travailleurs dévoués ou d’impitoyables
envahisseurs » (…) Et il poursuit : « En de telles circonstances, ce
qu’il fallait à l’Europe, c’était le code moral qui l’éclairerait sur
les devoirs envers ces populations. Mais elle n’en a aucun. » Enfin,
pour lui, « Se mettre en quatre pour tous ces gens ne serait que pure
folie, mais les éconduire ne serait que pure racisme. » On retrouve ici
la culpabilité et la honte, que n’a pas vues Powell, enfouies au plus
profond de l’Européen réputé ex-colonialiste. Qui plus est, il est à
craindre que, par les mots qui vont suivre, il décèle un peu de lâcheté
chez ces mêmes « Européens [qui] espèrent que le monde prendra leur
paralysie pour de l’hospitalité », cette hospitalité, reconnaît-il en
citant Hans Magnus Enzensberger, qui soulève un paradoxe : « L’hôte est
sacré, mais il n’a pas le droit de rester. »
Cette première partie du livre consacrée à l’Immigration est
véritablement l’assise de l’ouvrage de Caldwell. On y découvre tout sur
les fondements de l’immigration de la deuxième moitié du XXe siècle,
son histoire, ses méthodes et son évolution. Le chapitre 3, A qui profite l’immigration ? avec ses trois sous-chapitres, Le devoir d’hospitalité, Asile et droits de l’homme et Asile et démocratie montre
bien les difficultés et l’ambiguïté des gouvernements et des peuples
vis-à-vis de ces populations qu’ils considèrent comme des « réfugiés ».
Clôture cette première partie un 4e chapitre dont le titre, La peur déguisée en tolérance,
dans sa concision de cinq mots, résume tout et annonce les écueils et
les incompatibilités qui rendent la coexistence pacifique entre
autochtones et immigrés difficile.
Une forme de conflit ethnique est
sous-jacente mais, au sortir de la guerre, on ne peut pas s’engager dans
une « nouvelle conflagration européenne ». Alors… Il a fallu purger
l’Europe de son nationalisme (5) et de tout ce que ce mot honni
représentait. Caldwell montre ainsi la naissance du « politiquement
correct » avec la tolérance élue comme valeur première. Tout
naturellement, on est arrivé à la « criminalisation de l’opinion » avec
l’idéologie de la tolérance qui se durcit par une codification par la
loi. Ce fut en France la loi Pleven de 1972 et la loi Gayssot de 1990,
suivie par l’Allemagne et la Suisse qui lui emboîtèrent le pas avant que
le virus ne gagne presque toute l’Europe.
René Schleiter http://www.polemia.com
Titre original : Reflections on the Revolution in Europe, Doubleday, 2009.
Notes :
(1) « Un livre qui devrait faire scandale » Par Alain Besançon
(2) Tribalat, la démographe rebelle
(3) Scandale à la BBC « Le problème, c'est que les Blancs sont devenus noirs »
(4) Petite histoire des campagnes de diabolisation
(5) L’exemple le plus frappant est celui de l’Allemagne où, après la Deuxième Guerre mondiale, le sentiment national s’est transformé en fierté du made in Germany, de nature religieuse.
(2) Tribalat, la démographe rebelle
(3) Scandale à la BBC « Le problème, c'est que les Blancs sont devenus noirs »
(4) Petite histoire des campagnes de diabolisation
(5) L’exemple le plus frappant est celui de l’Allemagne où, après la Deuxième Guerre mondiale, le sentiment national s’est transformé en fierté du made in Germany, de nature religieuse.
Christopher Caldwell, Une révolution sous nos yeux,
préface de Michèle Tribalat, Traduction de l'anglais de Johan Frederik
Hel Guedj, édition du Toucan, collection Adultes, 5/10/2011, 600 pages.
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