En fait, la question sociale n’a pas
disparu, comme certains l’espéraient, avec la société de consommation et
la prospérité indéniable des Trente Glorieuses ni même avec la
mondialisation présentée comme la panacée universelle, censée donner à
tous les moyens de vivre dignement et « selon ses besoins ». Bien sûr,
dans le cas français, le niveau de vie des ouvriers tout comme leurs
conditions de travail d’aujourd’hui (du moins pour ceux qui en ont un…)
n’ont plus rien à voir avec ceux du début du XXe siècle, et c’est tant
mieux. Mais la question sociale ne s’est évidemment pas éteinte pour
autant, et la globalisation (mot plus exact et explicite que celui de «
mondialisation »), en rebattant les cartes de l’économie et des
puissances, a entraîné, au sein même de notre société, des remises en
cause douloureuses et des interrogations sur la nature des rapports
sociaux, sur leur territorialisation ou sur leurs formes. Globalisation
rime aujourd’hui, pour les travailleurs français, avec délocalisations
tandis que l’Union européenne évoque, elle, le terme de libéralisation
en insistant sur son caractère de nécessité absolue, sans prendre en
compte les exigences de la justice sociale et du bien-être moral des
populations laborieuses des pays d’Europe, mais en appliquant des règles
peu compatibles avec l’intérêt des industries fabriquant localement en
France pour vendre aux Français, par exemple : la récente mise en garde
de la Commission européenne contre le « protectionnisme » de M.
Montebourg, et surtout les arguments mis en avant par celle-ci, le
prouvent à l’envi. Doit-on, même, évoquer l’actuelle crise de la zone
euro dont les victimes expiatoires semblent être aujourd’hui les Grecs,
les Irlandais, les Espagnols et les Portugais avant, demain peut-être,
les Français ? Les banques, il y a quelques années, ont eu droit à plus
de sollicitude de la part de la Commission européenne et des
gouvernements…
Ainsi, avec la crise et la
sempiternelle épée de Damoclès du financement des retraites, la question
sociale revient au cœur des problématiques françaises, comme le
souligne l’hebdomadaire « Marianne » au fil de plusieurs numéros récents
avec un ton peu amène à l’égard des institutions financières et des
capitalistes internationaux. Bien sûr, le « nouveau prolétariat » évoqué
par ce journal n’est plus celui de 1900, mais, au-delà de ses
difficultés présentes, sa nature reste la même ; c’est-à-dire une masse
de travailleurs interchangeables sans autre lien avec le Travail que
celui que les détenteurs de l’Argent veulent et voudront bien lui
allouer, à titre temporaire, pour en tirer des profits substantiels sans
être obligés de les redistribuer à ceux qui en sont les producteurs «
de base », mais plutôt et seulement aux actionnaires ou aux cadres
dirigeants, les uns se confondant parfois avec les autres : c’est
d’ailleurs là un des éléments forts du « scandale social » qui voit
d’immenses fortunes se bâtir sur de simples jeux boursiers (mais aussi
sur quelques coups de pied heureux…) et non plus sur la qualité du
travail effectué en tant que telle.
Le « nouveau prolétariat » comme
l’ancien se caractérise par la « dépossession » : aujourd’hui, les
ouvriers ou les artisans sont condamnés par une logique comptable qui
fait qu’il est plus simple de fabriquer à grande échelle et à moindre
coût dans des pays lointains où les règles sociales et environnementale
sont peu contraignantes voire inexistantes, que dans notre pays attaché à
une certaine qualité du travail et à la préservation des travailleurs.
Ainsi, de nombreux métiers et savoir-faire disparaissent-ils, dans
l’indifférence générale, puisque le consommateur ne regarde le plus
souvent que le prix de l’étiquette sans penser au deuxième coût,
beaucoup plus élevé, le coût social : ne pas acheter français quand on
en a l’occasion sous le prétexte, fort compréhensible d’ailleurs, que le
« même » produit fabriqué en Chine est moins cher, est, à plus ou moins
long terme, suicidaire, comme le signalent certains économistes et
l’ont rappelé, durant la dernière campagne présidentielle, des candidats
aussi différents que M. Bayrou et M. Mélenchon (malheureusement pour
des raisons souvent plus politiciennes que véritablement sociales)… Car,
à trop dépendre des productions étrangères, que pourra-t-on vendre
demain à des sociétés à qui nous aurions abandonné toutes nos
technologies, nos méthodes de travail et pour qui nous aurions sacrifié
nos propres outils de production ? Le cas récent d’Airbus est, à ce
sujet, tristement éclairant : désormais des dizaines d’avions seront
construits à l’étranger, en Asie, tandis que la Chine, à qui la société
EADS a « transféré » les technologies de ses appareils, se targue de
bientôt vendre à la France et à l’Europe des… Airbus, chinois bien sûr, y
compris sous un autre nom…
Devant cette nouvelle donne qui voit le
capitalisme libéral sacrifier les travailleurs de France sur l’autel de
la rentabilité, gémir ne sert à rien : il faut désormais « repenser la
question sociale », sans vaine illusion ni désespérance. Chercher des
pistes alternatives à ce jeu malsain qui se moquent des frontières comme
des personnes, des familles ou des traditions. Les royalistes, fidèles à
la méthode maurrassienne de l’empirisme organisateur et conscients des
enjeux, ne feront pas « la politique du pire qui est la pire des
politiques » comme l’affirmait avec raison Charles Maurras. Ils ne
doivent pas chercher à créer des utopies mais à imaginer, à inventer de
nouveaux modèles économiques et sociaux, sans perdre de vue qu’il
s’agit, malgré la difficulté, de remettre « l’économie au service des
hommes » et non l’inverse.
Il leur revient de rappeler que la
nation est la première protection sociale, que c’est le plus vaste des
cercles communautaires à mesure humaine et historique et qu’il offre des
solidarités fortes en son sein, en son espace souverain, au-delà des
différences professionnelles ou culturelles.
Aussi, la question sociale est une
question éminemment politique, et, là encore, le « Politique d’abord »
doit être compris comme la nécessité d’utiliser ce moyen pour limiter
les excès de la globalisation ; susciter une véritable impulsion de
l’Etat pour les grandes réformes sociales (et pas seulement en vue
d’équilibrer les comptes publics) qui sont urgentes et son arbitrage
pour les conflits de « légitimité sociale » entre les divers « décideurs
» et les « acteurs du travail », et cela sans tomber dans l’étatisme ou
le dirigisme ; permettre et accompagner un véritable aménagement du
territoire qui ouvre la voie à une relocalisation de nombreuses
activités et à une prise en compte véritable du « souci environnemental »
; etc.
Aujourd’hui, traiter la question
sociale signifie « ne plus laisser faire la seule loi du Marché » (dont
on voit les ravages dans la crise grecque, dans cette crise qui,
désormais, touche de plus en plus de pays de l’Union européenne) mais
redonner au Politique des moyens de pression sur l’Economique : si l’on
veut inscrire cette démarche dans la durée et l’indépendance, l’Etat
doit lui-même disposer de la durée et de l’indépendance, et être
respecté à l’intérieur comme à l’extérieur. Au regard de l’Histoire
comme de la réflexion et de la pratique politiques, il n’en est qu’un
qui, en refusant de sacrifier les hommes à une logique totalitaire ou
marchande, soit possible et souhaitable : la Monarchie à transmission
héréditaire, politique et sociale à la fois. Une Monarchie sociale et
active, « à la française », décisionniste et volontariste, au-delà des
préjugés ou des timidités. Voilà, en fait, la meilleure réponse à une «
économie sauvage » dont les seules valeurs sont financières : pour
retrouver, demain, le sens de la mesure et de la justice sociale que la
République des Ayrault, Proglio et autres Tapie foule aux pieds…
Jean-Philippe Chauvin http://www.actionroyaliste.com
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