Il y a aujourd’hui plus d’un an, mourait
à Munich l’un des hommes qui ont le plus fait, dans la crise profonde
de la défaite allemande, pour maintenir intact le moral du pays et
rendre possible un redressement : celui que nous voyons se développer
sous nos yeux. Cet homme est en outre un cerveau de premier ordre, un de
ces savants gigantesques, — comme il en apparaît quelques-uns au cours
de l’histoire de l’Europe, depuis Roger Bacon jusqu’à Vinci, Descartes,
Newton… — sorte de Titan spirituel, sur les découvertes duquel repose,
avouée ou non, presque toute l’orientation de la pensée contemporaine.
Ce philosophe — puisque les travaux historiques d’Oswald SPENGLER
sont en quelque sorte « enveloppés » dans une philosophie — a été
cependant assez peu remarqué en France, dans la période qui a suivi
immédiatement la dernière guerre . En Allemagne, son Déclin de
l’Occident (Untergang des Abendlandes) a connu un succès sans précédent
pour un ouvrage aussi sévère, puisqu’il dépasse aujourd’hui le 15e mille
— succès d’actualité, mais également succès de profondeur. Le livre
venait « à son heure », au moment où la défaite semblait contredire les
aspirations de la grande majorité des Allemands et les livrer au
désespoir ; il leur démontrait, par l’alliance d’une immense érudition
et d’une pensée rigoureuse, l’inanité de la philosophie du progrès
généralement admise et les voies qu’ils devaient adopter désormais,
s’ils voulaient se relever. Aujourd’hui, les idées de Spengler ont
disparu au second plan, dépassées qu’elles sont par la poussée plus
apparente des sentiments de race, des mystiques de l’ordre, voire même
de la pure apologie de la force. Elles n’en subsistent pas moins dans le
domaine intellectuel — face à l’expansion véritablement angoissante du
raisonnement matérialiste dans la masse des peuples blancs — comme
l’expression profonde et authentique de tous les jeunes mouvements
révolutionnaires, de ceux qui ne veulent pas subir la « mécanisation »
envahissante, et qui ne la subiront pas.
Il serait temps qu’en Bretagne, cet ensemble de découvertes de l’ordre
psychologique soit pris à sa juste valeur, que l’âme celtique soit mise
désormais, et maintenue irrémédiablement, en face d’un système qui lui
est si intimement apparenté, et qui, convenablement appliqué, peut
faire jaillir son renouveau.
Oswald Spengler est né en 1880, dans la petite ville de Blankenburg-en-Harz. De confession luthérienne, comme un grand nombre de ces compatriotes, il fit des études littéraires et scientifiques très complètes aux grandes Universités de Halle, Munich, Berlin, et il fut reçu docteur en philosophie en 1904 avec une thèse sur l’ancien penseur grec Héraclite d’Ephèse.
Oswald Spengler est né en 1880, dans la petite ville de Blankenburg-en-Harz. De confession luthérienne, comme un grand nombre de ces compatriotes, il fit des études littéraires et scientifiques très complètes aux grandes Universités de Halle, Munich, Berlin, et il fut reçu docteur en philosophie en 1904 avec une thèse sur l’ancien penseur grec Héraclite d’Ephèse.
Il nous raconte lui-même, dans l’Introduction de son grand ouvrage
(parag. XVI), comment il fut amené dans les années qui précèdent la
guerre de 1914, à concevoir toute l’étendue de son système de l’histoire
:
Les approches d’un grand conflit européen ne lui ont pas échappé, cette
marche fatale des événements l’inquiète : « …En 1911, étudiant certains
événements politiques du « temps présent, et les conséquences qu’on en
pouvait « tirer pour l’avenir, je m’étais proposé de rassembler «
quelques éléments tirés d’un horizon plus large. » En historien, il
tente de comprendre sans parti-pris, de s’expliquer les tendances
actuelles à l’aide de son expérience des faits anciens : « …Au cours de
ce travail, d’abord restreint, la conviction s’était faite en moi que,
pour comprendre réellement notre époque, il fallait une documentation
beaucoup plus vaste… Je vis clairement qu’un problème politique ne
pouvait pas se comprendre par la politique même et que des éléments
essentiels, qui y jouent un rôle très profond, ne se manifestent souvent
d’une manière concrète que dans le domaine de l’art, souvent même
uniquement dans la forme des idées… Ainsi, le thème primitif prit des
proportions considérables. »
L’histoire de l’Europe lui apparaît dès lors sous un jour tout nouveau :
« …Je compris qu’un fragment d’histoire ne pouvait être réellement
éclairci avant que le mystère de l’histoire universelle en général ne
fût lui-même tiré au clair…; Je vis le présent (la guerre mondiale
imminente) sous un jour tout différent. Ce n’était plus une figure
exceptionnelle, qui n’a lieu qu’une fois…, mais le type d’un tournant de
l’histoire qui avait depuis des siècles sa place prédéterminée. »
Un système s’est fait en son esprit, qui ne lui laisse plus de doutes
sur la marche générale de l’histoire — et point seulement celle de notre
civilisation européenne : « …Plus de doute… : l’identité d’abord
bizarre, puis évidente, entre la perspective de la peinture à l’huile,
l’imprimerie, le système de crédit, les armes à feu, la musique
contrepointique et, d’autre part, la statue nue, la polis, la monnaie
grecque d’argent, en tant qu’expressions diverses d’un seul et même
principe psychique. » Chaque civilisation suit un cours qui lui est
propre, avec une rigueur entière et véritablement impressionnante.
Du même coup, il a saisi le sens profond de l’inquiétude de l’homme
moderne et il en ressent comme une assurance, délivré qu’il est de ses
manifestations multiples et contradictoires : « …Une foule de questions
et de réponses très passionnées, paraissant aujourd’hui dans des
milliers de livres et de brochures, mais éparpillées, isolées, ne
dépassant pas l’horizon d’une spécialité, et qui par conséquent
enthousiasment, oppressent, embrouillent, mais sans libérer, marquent
cette grande crise… Citons la décadence de l’art, le doute croissant sur
la valeur de la science ; les problèmes ardus nés de la victoire de la
ville mondiale sur la campagne : dénatalité, exode rural, rang social du
prolétariat en fluctuation ; la crise du matérialisme, du socialisme,
du parlementarisme, l’attitude de l’individu envers l’Etat ; le problème
de la propriété et celui du mariage, qui en dépend ; …Chacun y avait
deviné quelque chose, personne n’a prouvé, de son point de vue étroit,
la solution unique générale qui planait dans l’air depuis Nietzsche… »
« …La solution se présenta nettement à mes yeux, en traits gigantesques,
avec une entière nécessité intérieure, reposant sur un principe unique
qui restait à trouver, qui m’avait hanté et passionné depuis ma jeunesse
et qui m’affligeait parce que j’en sentais l’existence sans pouvoir
l’embrasser. C’est ainsi que naquit, d’une occasion quelque peu
fortuite, ce livre… Le thème restreint est donc une analyse du déclin de
la culture européenne d’Occident, répandue aujourd’hui sur toute la
surface du globe. »
Tout l’essentiel de la théorie spenglérienne de l’histoire est exposé en
trois tableaux synoptiques, au début du premier tome de son « Déclin de
l’Occident » : On y suit une comparaison systématique du
développement, sur 1000 années environ, des deux civilisations
gréco-romain (Antiquité) et européenne (Occident), du triple point de
vue de la pensée abstraite, de l’art et des formes du gouvernement. Il
en ressort la notion de l’âge des civilisations : une phase de jeunesse,
notre Gothique (Moyen Age), à laquelle succède la maturité, notre
Baroque (Epoque Moderne), puis la vieillesse au milieu de laquelle nous
vivons (Epoque Contemporaine). C’est la même succession des formes
doriennes, puis ioniennes, puis « romaines » dans le monde méditerranéen
depuis les temps homériques jusqu’à l’avènement d’Auguste ? Des
parallèles avec ce que nous savons des philosophie hindoues, de l’art
égyptien ou des révolutions de l’ancienne Chine confirment cette
impression du « cyclisme » de l’histoire humaine.
Le corps même de l’ouvrage n’est qu’une longue et savante justification
de ce qui vient d’être avancé : justification métaphysique, en un
premier tome, de divers problèmes logiques soulevés par un pareil
système; en particulier celui de la continuité de la notion de Nombre à
travers les diverses civilisations ; d’autre part, la définition de
l’idée historique du Destin face à la Causalité scientifique… Un second
tome renferme la justification érudite de plusieurs des assertions
historiques du système : en particulier, l’existence d’une civilisation «
arabe » durant le premier millénaire de notre Ere qui est en effet
l’époque de floraison des grandes religions universelles de souche «
sémitique » (christianisme, manichéisme, islam, judaïsme talmudique) .
Spengler ne distingue pas moins de huit grandes civilisations qui se
sont succédées en divers points du globe jusqu’à nos jours:
civilisations égyptienne, mésopotamienne, chinoise, hindoue,
gréco-romaine, orientale-arabe, mexicaine et occidentale-européenne,
celle que nous vivons encore. Il tend à réserver le nom de «culture» à
la période première de ces civilisations, pleine encore de sève et
d’invention, pour laisser plus spécialement le nom de « civilisation » a
leur phase de dissolution, quand disparait, dans l’impuissance, tout ce
que des ancêtres vigoureux ont créé.
Il ne convient pas de surestimer l’originalité du système : pareil
sentiment du cycle, de la fatalité, se retrouve à travers toute la
spéculation germanique voire même européenne, depuis la foi calviniste
en la Prédestination jusqu’au moyen nietzschéen du « retour éternel ».
Et l’ancienne littérature des Celtes d’Irlande n’est-elle pas
l’expression la plus absolue de ce sens du destin, héroïquement accepté
? C’est Spengler lui-même qui nous avertit de ce qu’il doit à Nietzsche
dont il a seulement, dit-il, « changé les échappées en aperçus ». De
façon plus générale, cette pensée d’historien se rattache à tout le
mouvement de spéculation sur le temps, sur la durée, aux diverses «
philosophies de la vie » fort en honneur depuis le début du siècle et
dont H. Bergson serait en France le plus illustre représentant
(«L’Evolution créatrice»). W. Dilthey, en Allemagne, s’était engagé
dans des voies similaires dès 1883, par sa curieuse «Introduction aux
sciences morales». Nombreux ont été les historiens, les ethnologues
allemands qui, dans le même temps, se sont efforcés de rechercher les
lois de l’histoire universelle d’accord avec les résultats les plus
poussés des sciences d’érudition : notons le grand explorateur africain
Léo Frobenius, auteur d’un ouvrage fort remarqué . A Spengler était
réservé, semble-t-il, de les trouver et de les exprimer, pour la
première fois, avec une netteté irréfutable .
Là, réside la nouveauté absolue de l’œuvre, comme sa valeur immense dans
le domaine de la pensée non moins que de la pratique. Avant lui bien
des penseurs, depuis Montesquieu, Herder… jusqu’à Hegel et Auguste Comte
plus près de nous, s’étaient bien hasardés à esquisser une «
philosophie de l’histoire », très littéraire encore. Karl Marx s’était
approché le plus près d’une rigueur scientifique, dans son « Capital »,
lorsqu’il avait bâti toute une interprétation de l’histoire moderne sur
la loi du « matérialisme historique ». Hegel, il y a un siècle
aujourd’hui, avait, d’autre part, parfaitement défini en logique les
conditions et les limites de toute interprétation de l’Histoire. De là
au système d’idées absolument clos et, de plus, parfaitement concret,
tangible, expérimentable, que forme l’intuition spenglérienne, il y a
un monde ! C’est une forme nouvelle de pensée, un instrument nouveau que
Spengler met entre les mains des peuples blancs, une exploration dans
le domaine du temps : non pas une quelconque magie, il s’agit de
possibilités psychologiques nouvelles que dégage aussitôt en nous la
conscience de la fin pressante de la civilisation que nous subissons, en
particulier celle d’envisager de sang-froid les rapports des diverses
nations et races de la planète… la possession de l’histoire entière est
mise au service de notre avenir. Il ne faut voir là rien d’autre que la
réplique, à trois siècles de distance, à l’exploration tentée dans les
espaces sidéraux par les premiers astronomes munis d’instruments à
longue portée. « Une découverte copernicienne sur le terrain de
l’Histoire», a-t-on pu dire (voir le § VI de l’Introduction). Spengler
doit ce sens aigu de la relativité des événements à l’intérêt qu’il
porte aux civilisations exotiques, non classiques, si souvent négligées
par les historiens. Pour lui, une création en vaut une autre :
l’architecture de l’ancienne Egypte n’est pas inférieure à notre calcul
infinitésimal, la vieille morale de Confucius pas moins positive que
toute la sophistique rationnelle des socratiques,… il ne craint pas de
mettre en parallèle pour leur rôle moral le bouddhisme primitif, le
stoïcisme antique, et notre socialisme contemporain ! Le coup d’oeil
est devenu sans parti-pris, mais combien plus pénétrant !
Ce n’est pas aujourd’hui encore que sera saisie dans son ampleur la
répercussion révolutionnaire de pareilles nouveautés dans le monde des
idées, ou — pour parler métaphysique — la possibilité d’ériger
désormais en un système viable le monde intuitif des poètes, «
l’univers-histoire », en face de « l’univers-nature », du règne de la
science, si exclusivement tyrannique encore à l’heure actuelle
(l’opposition est esquissée au chapitre 2 du tome I) ! Mais, au simple
contact de ces doctrines, des sentiments confus se réveillent en nous,
un monde mystique tend à reparaître, qui dut exister dans la foi du
moyen-âge et que l’éducation classique de la Renaissance avait peu à peu
enfoui. Car enfin, est-ce bien le livre qui a bouleversé le monde
d’après-guerre ? ou n’est-il pas seulement le premier éclat, la
première et insolite traduction littéraire de cette résurrection de
l’âme du Nord, qui tend à se faire jour avec la violence d’un élément ?
Le tome I du «Déclin de l’Occident» parut en 1918 et Spengler en dédiait
alors la préface aux armées allemandes, espérant que le livre ne serait
pas « tout à fait indigne des sacrifices militaires… » Après
l’écroulement, parmi « la misère et le dégoût de ce temps », l’édition
de l’ouvrage tout entier (1922) apparut d’abord comme un instrument de
combat…
STUR n° 11 Octobre 1937 http://breizatao.com
Short URL: http://breizatao.com/?p=7917
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire