Rien n’agace plus notre système et sa police de la pensée
que d’avoir crié trop tôt victoire ; et d’avoir pensé en avoir terminé
avec un ennemi qui ne finit pas de renaître - puisqu’il fait des enfants
avec amour et illustre le droit à la vie. C’est ennemi c’est le
christianisme et il a des ventres qui ne sont pas à vendre mais à
louanger. Et ce ventre fécond insupporte la Bête.
J’ai déjà donné à méditer ces lignes de Paul Hazard ; le début du
siècle dit des Lumières pensait aussi en avoir terminé avec son vieil
ennemi. Et puis voilà...
« Jamais sans doute les croyances sur lesquelles
reposait la société ancienne n’ont subi pareil assaut, et en particulier
le Christianisme. Swift, en 1717, se livre à un des accès d’ironie dont
il est coutumier. Il est dangereux, écrit-il, il est imprudent,
d’argumenter contre l’abolition du Christianisme, à une époque où tous
les partis sont unanimement déterminés à l’anéantir, ainsi qu’ils le
prouvent par leurs discours, leurs écrits, et leurs actes. »
***
Une certaine Marie L., qui écrit un français de fast-food (le Nouvel Obs était pourtant le journal de Roland Barthes qui dans ses profondes "Mythologies" respectait son Eglise !) s’acharne ainsi le 3 mai contre cet ennemi qui n’en finit pas de renaître :
« Dans une église bondée, les jeunes gens, moyenne
d’âge 20-25 ans, s’agenouillent devant le saint sacrement comme les
bigotes d’autrefois. L’encens brouille la vue, et le choeur entonne un
chant latin repris par une assemblée sagement recueillie. Non, nous ne
sommes pas chez les traditionalistes de la Fraternité Saint-Pie-X, mais à
l’une des cérémonies dominicales destinées à la jeunesse francilienne. »
On pourrait faire marquer à cette distraite journaliste que l’encens
brouille moins la vue que les pots d’échappement et qu’aujourd’hui les
douairières sont les anciennes soixante-huitardes ; ou que les rois, les
chevaliers, les dames ou les croisés s’agenouillaient aussi devant le
Saint-Sacrement, quel que fût leur jeune âge. Mais c’est peut-être aller
trop vite en besogne. On va se faire reprocher les rois, les chevaliers
et les croisés ! Et les dames en hennin, et les paysannes pèlerines !
La surprise du chef est là, en tout cas : le christianisme est là,
bien jeune et combatif. Qui avait dit de laisser venir à lui les
enfants ? Vous croyiez que c’était Walt Disney ? Les vendeurs de
sucreries ?
Puis vient l’aveu bien aigri de la plumitive non repentie ; il est
difficile dans un journal de gauche de faire la différence entre le
militant et l’informateur (mot bien choisi) :
« On les croyait effacés, et de fait ils nous
étaient devenus invisibles. Depuis six mois, on les découvre par
centaines de milliers battant le pavé sans relâche contre le mariage
gay, veillant à la lumière des bougies sur les Invalides, créant
happening sur happening grâce à la force de leurs réseaux, formant le
gros des troupes de ces défenseurs acharnés de la famille dite
traditionnelle. »
La famille dite traditionnelle : on appréciera... Pour le reste on
appréciera l’usage sémantique incertain (tout cet article sent
l’abribus, comme je l’ai déjà dit) du mot troupe, à ceci près qu’une
troupe est là pour maintenir l’ordre PS ou pour exécuter de plus basses
tâches encore, alors que cette communauté rassemblée accepte de se faire
battre - et même coffrer. Pour des acharnés...
On fait alors recours au témoignage crétin classique, celui qui
depuis cent ans, a honte d’être chrétien et ne se revendique chrétien
que pour dénoncer et criminaliser - courageusement, avec les médias et
les puissants du jour - sa propre croyance.
« C’est au contraire une vraie lame de fond, assure
l’historienne Christine Pedotti, nouvelle rédactrice en chef de la
revue "Témoignage chrétien". Ces jeunes militants, réactionnaires,
obéissant à la hiérarchie ecclésiale, accros aux valeurs familiales et
aux génuflexions, sont le nouveau visage de l’Eglise. Et le mariage pour
tous leur a permis de réaliser l’"union sacrée". »
C’est vrai : pourquoi réactionnaires, alors qu’ils pourraient être
actionnaires, comme le fils à Fabius ? Pourquoi "militants", alors
qu’ils sont croyants ? On fait des piges pour Orwell ? On aimera
toujours ces faux savants, ces Trissotin déguisés en membres du clergé
qui viennent s’affoler devant les médias de la montée des périls -
c’est-à-dire la jeune catholicité ! Plus objectif, un expert penaud
avoue d’une voix qu’on devine angoissée :
« "Il y a effectivement une montée identitaire du
catholicisme français. C’est une mutation historique majeure, portée par
une jeunesse à la fois conservatrice et moderne, qui fait l’effet d’un
continent exotique", observe le philosophe Marcel Gauchet. »
Ils sont tellement modernes que la journaliste leur reproche d’utiliser Internet et d’avoir des blogs.
Quel zèle, elle a vraiment peur de se faire renvoyer ! Blague à part,
on retombe après sur une femme savante, qui ne sait comment, comme dans
la pièce d’Ionesco, se débarrasser du cadavre - ou du prétendu tel :
« Pour la soeur Nathalie Becquart, directrice du
Service national pour l’Evangélisation des Jeunes et pour les Vocations à
la Conférence des Evêques, "les comprendre revient à explorer la
Papouasie pour un missionnaire". Les "cathos 2.0" possèdent en effet
leurs propres codes, leurs revendications, leurs modes de communication -
parfois ébouriffants. »
La religion de Jésus une religion de papou ? Vraiment, ma soeur ?
Mais alors nous sommes devenus enfin des bons sauvages ! Joie, joie !
Que ne recevons-nous alors le traitement qui va avec ! Horrifiée quand
même cette Xavière, pas Tibéri, révèle des usages d’un autre temps :
pour prier on se met à genoux. Sans rire :
« Cette religieuse de 43 ans, appartenant à la
congrégation des Xavières (version féminine des Jésuites), diplômée de
HEC et ex-consultante en marketing et en communication, connaît pourtant
bien son sujet. Ancienne responsable de l’aumônerie des étudiants de
Créteil et accompagnatrice spirituelle, en cinq ans la soeur Nathalie a
été frappée par la progression des pratiques, même auprès de jeunes
issus de l’immigration et des quartiers populaires : "A la fin, ils
étaient tous à genoux." »
Sans commentaire. Mais qu’est-ce qu’on ne fera pas pour se faire bien
dans les journaux tout de même... La femme savante de témoignage crétin
reprend une plume du pas de l’oie, en insultant cette fois :
« Dans une société d’incertitudes, les cathos de
2013 sont "en demande d’autorité", d’après Christine Pedotti.
Ultralégitimistes, papophiles voire papolâtres, ils vomissent la
génération 68, véritable figure repoussoir, coupable à leurs yeux de la
déliquescence de l’Eglise. "Ils font même de l’obéissance le premier
critère de leur foi, quitte à entrer en contradiction avec eux-mêmes
quand ils se révèlent incapables de suivre les normes strictes de
l’institution. Plutôt avoir tort soi-même que de réfuter la règle",
explique l’intellectuelle. »
Encore Mai 68, explique "l’intellectuelle"... est-ce que notre femme
savante est capable par-delà son tissu d’aberrations de se souvenir d’un
écrivain nommé Houellebecq par exemple, qui il y a quinze ans avait
attaqué dans ses "Particules élémentaires" la collusion du
capitalisme dérégulé et du libertarisme de Mai 68 ? A l’époque toute la
gauche avait fait des bons de joie, le Nouvel Obs et les Inrocks
les premiers ! Aujourd’hui on sait que c’est Apple et Goldman Sachs qui
veulent cette loi et l’adoption pour tous. Sans oublier les fondés de
pouvoir du PS, syndics de faillite de la France aux abois, et témoignage
crétin, bien sûr ! On remarque aussi dans cet interview bas de gamme
que l’interrogée s’interroge sur la notion d’obéissance, notion très
étrangère selon elle au christianisme, comme celles - par exemple - de
chasteté ou de pauvreté - à transmettre aux collectionneurs de montres,
Ferrari et personnel de Sofitel.
Après, on nous fait bien sûr le coup du modernisme, avec une métaphore pas très heureuse.
« "Quand vous n’avez plus de colonne vertébrale, il
vous faut une cuirasse, c’est le complexe du homard", résume le prêtre
et sociologue Nicolas de Brémond d’Ars, qui regrette que face à eux les
plus progressistes n’aient plus vraiment voix au chapitre. »
Quel esprit de synthèse ! Quelle largeur d’esprit ! Les progressistes
n’ont pas droit au chapitre ? On demande à voir, la télé et les médias
leur sont ouverts que l’on sache ! Le seul problème est qu’il n’y a plus
de modernistes. Quel intérêt d’être socialo et chrétien quand on peut
être socialo ? C’est plus court, cela va droit au but. On se demande ce
qu’il a sous sa cuirasse ce sociologue. Léon Bloy demandait des prêtres,
la télé a des sociologues.
***
Il faut ignorer la farce postmoderne du catho identitaire ; ne pas
même l’évoquer. Le gros problème, que ne soulève pas cet article, et qui
motive sa haine rance, c’est la natalité des catholiques, la natalité
de ce Katholik Park fondé sur l’amour, notion aussi dépassée que la
famille, l’autorité, l’obéissance, la tradition et tout le reste (on
nous faisait déjà le coup à l’époque de Pierre Bayle). Et là, l’ennemi
n’est pas content : il n’a pas d’enfants, ou peu, ou mal élevés, et il
découvre même que le christianisme peut convertir les musulmans abhorrés
par nos médias bien-aimés. Il peut bien sûr confisquer ces enfants,
interdire comme en Angleterre les adoptions hétéros (au pays de Bentham
et d’Huxley tout est toujours possible, y compris d’ailleurs le retour
des combats de boxe pour petits), supprimer les allocations, décourager
les vocations, faire fabriquer sur mesure des kit-kids en vente libre, et faire braire les médias.
On pourrait enlever les enfants à leurs familles, comme dans certains
länder allemands (les parents sont en prison pour résistance chrétienne
aux programmes scolaires !), et leur laver le cerveau pour éviter le
pire. Mais cela risque de ne pas suffire. Pensez au Québec :
80 000 colons sous Louis XV ; six millions de francophones au XXe siècle
pour écouter le discours du général deux siècles plus tard. Dans un
monde voué au génocide bienveillant et au contrôle des naissances, il y a
de quoi faire bondir la machine à imprimer de la dette publique !
La famille est le seul Etat qui crée et aime ses citoyens, dit
Chesterton. C’est bien pourquoi le système veut la détruire. Mais
rendez-vous dans cent ans et même avant. On verra si les bonnes âmes
avec leur odeur de soufre pourront encore nous faire le coup de la
sphère réac et catho qui répond enfin aux prophéties de Bernanos après
la Guerre. Car la jeunesse de France se relève et elle en a assez de la
vieillissante modernité.
Et ce ventre fécond insupporte la Bête.
Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire