Le nouveau pape François se veut avant tout
celui des pauvres – progressisme ? – tout en affirmant son attachement
aux exercices spirituels de saint Ignace de Loyola – traditionalisme ?
Dans le même temps, il apparaît comme le berger des pays émergents,
puisque cet Argentin, quoique de vieille souche italienne, est Américain
du Sud, et non point du Nord. Quelles réflexions cela peut-il inspirer ?
Il est aussi le premier pape à avoir appartenu dans le passé à une organisation péroniste ! Ce n’est pas sans importance puisque le péronisme était un « traditionnisme » fondé sur la justice sociale. Pour l’instant, ce que les médias disent du nouveau souverain pontife n’est qu’une suite de variations sur le triptyque simplicité-pauvreté-humilité. Ce n’est pas pour me déplaire, mais on sait bien que, pour le pape François, « l’option préférentielle en faveur des pauvres » n’a pas le même sens que dans la théologie de la libération, qui avait fait adopter ce mot d’ordre à la Conférence épiscopale de Puebla en 1979. Le pape François veut une Église tournée vers le peuple plus qu’une « Église du peuple ». Il tient compte, autrement dit, de ce que le théologien Erik Peterson appelait la « réserve eschatologique », expression reprise après lui par Ernst Käsemann et Jean-Baptiste Metz. Dom Hélder Câmara disait : « Quand je défends les pauvres, on m’applaudit, mais quand je demande pourquoi ils sont pauvres, on me traite de communiste ! » Je ne pense pas que l’on fera ce reproche au nouveau pape.
Qu’il ne soit pas un Européen n’a rien pour étonner. La religion chrétienne est une religion universelle, comme le rappelle d’ailleurs l’étymologie du mot « catholique ». Historiquement parlant, le christianisme est la première religion à avoir séparé croyance et appartenance à un peuple. D’où la distinction entre le temporel et le spirituel, que l’Antiquité avait totalement ignorée. Le christianisme pose l’individu avant le citoyen, et donc indépendamment de lui. L’individu étant considéré comme irréductible à la communauté politique, il en résulte un statut nouveau du citoyen, qui modifie du même coup l’objet du culte. Le Dieu des chrétiens ne peut être le Dieu d’un seul peuple, puisqu’il a autorité sur tous les hommes, et que ceux-ci ont tous vocation à l’adorer : l’idée d’un Dieu unique implique celle d’une famille humaine qui soit spirituellement une elle aussi. La foi, du même coup, ne coïncide plus avec l’appartenance à un peuple particulier. En dissociant pouvoir temporel et pouvoir spirituel, le christianisme instaure un pouvoir religieux distinct et rival du pouvoir politique. Rousseau constatait qu’il en a résulté un « perpétuel conflit de juridiction qui a rendu toute bonne politique impossible dans les États chrétiens ».
Dans Monde et vie du 9 avril dernier, votre ami l’abbé Guillaume de Tanoüarn écrit à propos du pape François : « Lorsque j’ai appris que le pape était un jésuite, je me suis dit avec quelques-uns : enfin un jésuite qui obéira au pape ! » Au-delà de la boutade, quels changements éventuels à venir dans l’institution vaticane ?
Je ne fais pas métier de prédire l’avenir. Attendons déjà de savoir si le nouveau pape aura la capacité de réformer la Curie romaine, ce qui est loin d’être sûr. Attendons aussi de savoir quels seront ses premiers actes concrets, et quel sera le contenu de sa première encyclique. J’ai tendance à penser qu’il décevra vite, aussi bien les traditionalistes, en raison de ses prises de position politiques et de son indifférence aux problèmes liturgiques, que les « progressistes », en raison de son intransigeance sur les questions de morale et de société. Reste à savoir comment il mettra en œuvre sa volonté de rompre avec une Église trop tournée sur elle-même, qu’il voudrait visiblement réorienter vers les « périphéries existentielles ».
Dans l’immédiat, ce qui reste pour moi un mystère, ce sont les conditions de son élection. On disait que Benoît XVI avait nommé quantité de cardinaux à sa dévotion, et que son « candidat » était le cardinal-archevêque de Milan. Jorge Mario Bergoglio, lui, n’était même pas cité dans toutes les listes de papabile que l’on a publiées. On sait par ailleurs (ou l’on devrait savoir) que, par sympathie fraternelle pour la foi musulmane, il avait violemment critiqué les déclarations faites par Benoît XVI dans son discours de Ratisbonne du 12 septembre 2006 à propos de l’islam. Il a pourtant suffi de quelques tours de scrutin pour qu’il remporte la majorité des suffrages des cardinaux réunis en conclave. Une opération du Saint-Esprit ?
De manière plus malicieuse, la journaliste Caroline Pigozzi, de Paris Match, l’une des meilleures « vaticanistes » au monde, à laquelle il était posé sur le plateau du Grand Journal de Canal Plus la sempiternelle question d’un éventuel pape noir, a répondu qu’il était parfaitement inenvisageable d’asseoir un père de famille sur le siège de saint Pierre. Cela vous fait-il rire et, plus sérieusement, cela ne signifie-t-il pas que le facteur culturel puisse être plus important que le facteur religieux, fût-ce chez les évêques subsahariens ?
Cela me fait seulement sourire. J’ignore si les cardinaux africains sont fréquemment pères de famille (ce fut le cas de certains papes de la Renaissance), mais j’en doute un peu. En général, ce sont en effet des conservateurs purs et durs – si bien que les médias qui, par conformisme niais, rêvent de voir un Noir élu pape, déchanteraient vite !
Sous ses airs bonhommes, le pape François dit encore : « Je pourrais accepter l’Apocalypse, car c’est le livre de la vie quotidienne de l’Église ! » Si certains paraissent oublier que l’histoire, par nature, est tragique, le pape nous rappelle aussi que cette Apocalypse n’est pas forcément synonyme de fin des temps, mais d’achèvement d’un cycle. Ne renouons-nous pas ainsi avec la pensée païenne de jadis ?
L’Apocalypse, dont l’auteur n’est certainement pas le même que celui de l’Évangile placé sous le nom de Jean (cette assimilation a été contestée dès son apparition au IIe siècle, chez Justin de Naplouse), n’a été définitivement acceptée dans le canon catholique que par un décret du pape Damase, en 382. Son caractère eschatologique interdit d’y voir autre chose que l’annonce de la fin des temps. Elle s’inscrit pleinement dans la conception biblique de la temporalité historique, conception linéaire et vectorielle d’un sens de l’histoire conduisant de manière unitaire l’humanité vers sa fin, conception en tous points opposée à la conception cyclique ou sphérique des anciens Grecs. Pour un retour à la « pensée païenne », il va falloir attendre encore un peu !
Alain de Benoist, le 1 mai 2013 http://www.voxnr.com/
Il est aussi le premier pape à avoir appartenu dans le passé à une organisation péroniste ! Ce n’est pas sans importance puisque le péronisme était un « traditionnisme » fondé sur la justice sociale. Pour l’instant, ce que les médias disent du nouveau souverain pontife n’est qu’une suite de variations sur le triptyque simplicité-pauvreté-humilité. Ce n’est pas pour me déplaire, mais on sait bien que, pour le pape François, « l’option préférentielle en faveur des pauvres » n’a pas le même sens que dans la théologie de la libération, qui avait fait adopter ce mot d’ordre à la Conférence épiscopale de Puebla en 1979. Le pape François veut une Église tournée vers le peuple plus qu’une « Église du peuple ». Il tient compte, autrement dit, de ce que le théologien Erik Peterson appelait la « réserve eschatologique », expression reprise après lui par Ernst Käsemann et Jean-Baptiste Metz. Dom Hélder Câmara disait : « Quand je défends les pauvres, on m’applaudit, mais quand je demande pourquoi ils sont pauvres, on me traite de communiste ! » Je ne pense pas que l’on fera ce reproche au nouveau pape.
Qu’il ne soit pas un Européen n’a rien pour étonner. La religion chrétienne est une religion universelle, comme le rappelle d’ailleurs l’étymologie du mot « catholique ». Historiquement parlant, le christianisme est la première religion à avoir séparé croyance et appartenance à un peuple. D’où la distinction entre le temporel et le spirituel, que l’Antiquité avait totalement ignorée. Le christianisme pose l’individu avant le citoyen, et donc indépendamment de lui. L’individu étant considéré comme irréductible à la communauté politique, il en résulte un statut nouveau du citoyen, qui modifie du même coup l’objet du culte. Le Dieu des chrétiens ne peut être le Dieu d’un seul peuple, puisqu’il a autorité sur tous les hommes, et que ceux-ci ont tous vocation à l’adorer : l’idée d’un Dieu unique implique celle d’une famille humaine qui soit spirituellement une elle aussi. La foi, du même coup, ne coïncide plus avec l’appartenance à un peuple particulier. En dissociant pouvoir temporel et pouvoir spirituel, le christianisme instaure un pouvoir religieux distinct et rival du pouvoir politique. Rousseau constatait qu’il en a résulté un « perpétuel conflit de juridiction qui a rendu toute bonne politique impossible dans les États chrétiens ».
Dans Monde et vie du 9 avril dernier, votre ami l’abbé Guillaume de Tanoüarn écrit à propos du pape François : « Lorsque j’ai appris que le pape était un jésuite, je me suis dit avec quelques-uns : enfin un jésuite qui obéira au pape ! » Au-delà de la boutade, quels changements éventuels à venir dans l’institution vaticane ?
Je ne fais pas métier de prédire l’avenir. Attendons déjà de savoir si le nouveau pape aura la capacité de réformer la Curie romaine, ce qui est loin d’être sûr. Attendons aussi de savoir quels seront ses premiers actes concrets, et quel sera le contenu de sa première encyclique. J’ai tendance à penser qu’il décevra vite, aussi bien les traditionalistes, en raison de ses prises de position politiques et de son indifférence aux problèmes liturgiques, que les « progressistes », en raison de son intransigeance sur les questions de morale et de société. Reste à savoir comment il mettra en œuvre sa volonté de rompre avec une Église trop tournée sur elle-même, qu’il voudrait visiblement réorienter vers les « périphéries existentielles ».
Dans l’immédiat, ce qui reste pour moi un mystère, ce sont les conditions de son élection. On disait que Benoît XVI avait nommé quantité de cardinaux à sa dévotion, et que son « candidat » était le cardinal-archevêque de Milan. Jorge Mario Bergoglio, lui, n’était même pas cité dans toutes les listes de papabile que l’on a publiées. On sait par ailleurs (ou l’on devrait savoir) que, par sympathie fraternelle pour la foi musulmane, il avait violemment critiqué les déclarations faites par Benoît XVI dans son discours de Ratisbonne du 12 septembre 2006 à propos de l’islam. Il a pourtant suffi de quelques tours de scrutin pour qu’il remporte la majorité des suffrages des cardinaux réunis en conclave. Une opération du Saint-Esprit ?
De manière plus malicieuse, la journaliste Caroline Pigozzi, de Paris Match, l’une des meilleures « vaticanistes » au monde, à laquelle il était posé sur le plateau du Grand Journal de Canal Plus la sempiternelle question d’un éventuel pape noir, a répondu qu’il était parfaitement inenvisageable d’asseoir un père de famille sur le siège de saint Pierre. Cela vous fait-il rire et, plus sérieusement, cela ne signifie-t-il pas que le facteur culturel puisse être plus important que le facteur religieux, fût-ce chez les évêques subsahariens ?
Cela me fait seulement sourire. J’ignore si les cardinaux africains sont fréquemment pères de famille (ce fut le cas de certains papes de la Renaissance), mais j’en doute un peu. En général, ce sont en effet des conservateurs purs et durs – si bien que les médias qui, par conformisme niais, rêvent de voir un Noir élu pape, déchanteraient vite !
Sous ses airs bonhommes, le pape François dit encore : « Je pourrais accepter l’Apocalypse, car c’est le livre de la vie quotidienne de l’Église ! » Si certains paraissent oublier que l’histoire, par nature, est tragique, le pape nous rappelle aussi que cette Apocalypse n’est pas forcément synonyme de fin des temps, mais d’achèvement d’un cycle. Ne renouons-nous pas ainsi avec la pensée païenne de jadis ?
L’Apocalypse, dont l’auteur n’est certainement pas le même que celui de l’Évangile placé sous le nom de Jean (cette assimilation a été contestée dès son apparition au IIe siècle, chez Justin de Naplouse), n’a été définitivement acceptée dans le canon catholique que par un décret du pape Damase, en 382. Son caractère eschatologique interdit d’y voir autre chose que l’annonce de la fin des temps. Elle s’inscrit pleinement dans la conception biblique de la temporalité historique, conception linéaire et vectorielle d’un sens de l’histoire conduisant de manière unitaire l’humanité vers sa fin, conception en tous points opposée à la conception cyclique ou sphérique des anciens Grecs. Pour un retour à la « pensée païenne », il va falloir attendre encore un peu !
Alain de Benoist, le 1 mai 2013 http://www.voxnr.com/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire