Le 13 juin 313, l'empereur Constantin, fort de sa victoire du pont Milvius sur son rival Maxence, promulgue l'édit de tolérance de Milan par lequel il légalise le christianisme. C'est un retournement inattendu après la «Grande Persécution» inaugurée dix ans plus tôt par les tétrarques Dioclétien et Galère.
Le christianisme rassemble à cette date un dixième à peine de la
population de l'empire romain (cinquante millions d'habitants environ).
Il est surtout présent en Asie mineure (actuelle Turquie) et en Afrique
du Nord.
Né dans les classes populaires, il gagne de plus en plus la faveur
des classes supérieures et des élites intellectuelles et urbaines. Fort
de la protection impériale, il va prendre son essor et s'imposer en
quelques décennies comme la seule religion officielle de l'empire.
Jean-François Zilberman
La question religieuse est apparue dans l'empire romain à l'issue de
la crise du milieu du IIIe siècle. Des soldats de modeste extraction
issus d'Illyrie ou des régions danubiennes se succèdent à la tête de
l'empire. Ils repoussent les premières invasions barbares et répriment
les révoltes paysannes.
Soucieux de remettre de l'ordre dans les institutions et de rétablir
l'unité morale de l'empire, ils favorisent le culte du Soleil au
détriment du polythéisme traditionnel.
Ce culte du Sol invictus (le Soleil invaincu)
rassemble sous une même identité des divinités traditionnelles (Apollon)
et des divinités orientales (Mithra). Il amorce une évolution du
polythéisme païen vers le monothéisme façon hébraïque ou chrétienne.
L'empereur Aurélien,
au pouvoir de 270 à 275, fait du culte solaire la religion d'État.
L'empereur se présente lui-même comme l'émanation du dieu sur terre et
revendique à ce titre d'être adoré tel une divinité. Ainsi l'empire
évolue-t-il vers un pouvoir personnel et autocratique.
Dioclétien, au pouvoir de 293 à 305, veut aller plus loin. Il veut
renforcer la cohésion culturelle et politique de l'empire. C'est
pourquoi son règne est marqué par de violentes persécutions contre les
communautés chrétiennes qui refusent de sacrifier au culte impérial.
Elles sont les plus dures qu'ait jamais connues l'Empire romain et
obligent les chrétiens à choisir entre le reniement et le «martyre».
La «Grande Persécution» commence en 299 avec l'exclusion de
l'armée des soldats baptisés, ces derniers refusant en effet de verser
le sang ! Puis, de février 303 à février 304, quatre édits impériaux
inspirés à Dioclétien par Galère, lequel a plus que quiconque les
chrétiens en horreur, ordonnent de brûler les livres saints et de raser
les églises partout dans l'empire.
La persécution atteint son paroxysme avec un édit qui prescrit au
début de 304 un sacrifice général dans tout l'Empire, sous peine de mort
ou de condamnation aux travaux forcés dans les mines.
Les fonctionnaires locaux exécutent les édits avec un zèle relatif.
Constatant l'échec de la répression et désireux de se concilier les
chrétiens, l'empereur Galère, malade, signe sur son lit de souffrance
un premier édit de tolérance le 30 avril 311. Il meurt quelques jours
plus tard, le 5 mai 311.
La religion devient une affaire individuelle
Après plusieurs années de guerres fratricides et l'élimination de son rival Maximin Daïa en avril 313, l'«Auguste»
Licinius reste seul maître de la partie orientale de l'empire.
Constantin, qui tient la partie occidentale, le convainc de publier une
déclaration commune en latin et en grec, les deux langues de l'empire,
afin de restaurer la paix civile. Elle est connue sous le nom d'édit de Milan, d'après la ville où elle a été promulguée.
Cette déclaration n'est pas la première du genre. D'autres l'ont
précédée dans les précédentes décennies, y compris celle de Galère, deux
ans plus tôt. Mais elle se singularise par le fait qu'elle introduit un
élément nouveau dans la société romaine, à savoir la liberté
religieuse.
Jusque-là, la religion était une affaire de communauté et d'identité
ethnique. On suivait la religion de ses ancêtres et de son groupe.
L'édit de Milan reconnaît à chaque individu la faculté de suivre la
religion de son choix. C'est un changement radical de paradigme que
relève Marie-Françoise Baslez, professeur d'histoire des religions à la
Sorbonne (*).
L'édit de Milan lève par ailleurs les interdits qui pèsent sur la
communauté des chrétiens. Les Églises locales se voient restituer les
biens qui leur ont été confisqués, même lorsqu'ils ont été vendus à des
particuliers.
Christianisation des moeurs
Dès lors, tout change assez vite. Constantin, discret sur ses
convictions personnelles, continue de présider aux rituels païens en sa
qualité de pontifex maximus (grand pontife). Il ménage aussi le
Sénat qui siège à Rome et dont tous les membres sont restés fidèles au
paganisme traditionnel. Il se contente d'interdire les sacrifices
d'animaux, qu'il a en horreur.
Lui-même a sans doute hérité de sa mère Hélène, voire de son père Constance Chlore, un attachement sincère à la nouvelle religion.
Le christianisme n'en garde pas moins l'avantage. Sa doctrine séduit
moins par le concept d'un dieu unique et transcendant (comme dans le
judaïsme concurrent) que par ses préceptes nouveaux d'amour fraternel et
d'égalité entre tous les êtres humains, par-delà les barrières
ethniques, sociales ou sexuelles.
L'Église prend ses aises. Elle devient un élément de stabilité et un point de repère dans un empire brinquebalant.
Tandis que périclitent les institutions administratives, elle affirme sa solidité, fondée sur la légitimité démocratique et une hiérarchie respectée. Les évêques sont élus par le peuple et désignent eux-mêmes des suppléants (prêtres) pour guider la communauté.
Sous le règne de Constantin se met en place aussi une organisation religieuse du temps.
Vers 321, le repos hebdomadaire est imposé tous les sept jours, le jour du Sol invictus ou jour du Soleil. Le souvenir s'en conserve dans l'appellation donnée par les Anglais à ce jour : Sunday (le jour du Soleil).
Les autres langues occidentales conservent son appellation christianisée, diem dominicam (le jour du Seigneur, ou dimanche).
La fête annuelle du Soleil invaincu, fixée au 25 décembre par l'empereur Aurélien, vers 270, devient également la fête de la Nativité du Christ, bien que celui-ci fut plus probablement né au printemps.
Ainsi la religion chrétienne devient-elle la référence dominante
autour de la Méditerranée, au IVe siècle, ainsi que le rappelle
l'historien Paul Veyne (Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), Albin Michel, 2007).
Le serait-elle devenue sans la volonté personnelle de l'empereur
Constantin? Sans doute mais de manière plus lente et peut-être plus
tourmentée.
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