À partir d’avril 1961, un prisonnier est amené à faire le bilan sans
concession de l’échec de son combat politique et activiste pour une
cause perdue. Dominique Venner n’est pas encore l’historien et fondateur
de la Nouvelle Revue d’Histoire qu’il est devenu par la suite, il est
un condamné politique à la prison de la Santé.
UN “QUE FAIRE ?” NATIONALISTE
Responsable d’un mouvement nationaliste interdit par le régime gaulliste, Jeune Nation,
son engagement dans le combat de l’Algérie française l’a conduit à être
arrêté et d’écoper de 18 mois de prison. Symbole de courage pour une
génération de jeunes militants nationalistes de Jeune Nation mais surtout de l’importante Fédération des Etudiants Nationalistes
(FEN), il est un observateur impuissant de la fin du combat des
partisans de l’Algérie Française. Dans sa cellule, il rédige une courte
brochure qui est un solde pour tout compte avec la ligne stratégique
adoptée jusque-là. La rédaction du texte s’accompagne de longues
discussions avec ses camarades détenus pour tirer les leçons de leur
engagement, son analyse s’affine et devient un véritable plan de
reconquête de l’influence perdue. George Bousquet, journaliste à
RIVAROL, sortira le document lors de sa libération de la Santé. Pour une critique positive
se diffuse alors rapidement dans les réseaux nationalistes en pleine
recomposition. Le texte est anonyme, mais il est fait sien par la
majorité des étudiants de la FEN. « Ecrit par un militant pour les militants
», il touche directement sa cible. Dominique Venner exprimait
clairement la volonté d’une jeunesse en quête d’un idéal
révolutionnaire. Sévère et lucide, ce texte n’est nullement fait pour
s’apitoyer sur une défaite. Il affirme que le combat ne fait que
commencer, que le nationalisme est au début de sa longue marche. Pour une critique positive
reste une référence pour tout un courant activiste, rarement un texte
politique influence plusieurs générations de militants nationalistes.
Cette brochure connut plusieurs éditions dans les années 1970, plus ou
moins artisanales, et elle est maintenant diffusée gratuitement sur
Internet par de nombreux sites de téléchargement. Comment expliquer
cette longue postérité d’un texte écrit dans une situation d’urgence ?
Tout simplement parce qu’il pose les problématiques de base que
rencontrent les militants nationalistes authentiques et révolutionnaires
depuis 50 ans. Dès les premières lignes, Pour une critique positive
établit une distinction fondamentale et sans équivoque entre les
“nationaux” et les “nationalistes”. L’attitude des premiers est dénoncée
en des termes très durs. La « confusion idéologique » des nationaux est
critiquée sans appel : « Les “nationaux” s’attaquent aux effets du mal,
pas à ses racines. Ils sont anticommunistes mais oublient que le
capitalisme et les régimes libéraux sont les principaux artisans de la
propagation du communisme. Ils étaient hostiles à la politique
algérienne du gouvernement, mais oublient que cette politique était le
produit d’un régime, de son idéologie, de ses intérêts, de ses maîtres
réels financiers et technocrates, comme de ses structures politiques et
économiques. Ils voulaient sauver l’Algérie française contre le régime,
mais ils reprennent à leur compte ses principes et ses mythes ».
L’opportunisme et la mythomanie de ces milieux (« Un bridge avec un général en retraite, un parlementaire ou un sergent de réserve devient une sombre et puissante conjuration
») n’ont d’égal pour Venner que leur arrivisme électoraliste. Sur la
question de l’action violente, le texte est clair sur l’importance de
rompre avec les pratiques “terroristes” désorganisées des derniers feux
de l’OAS : « Le terrorisme aveugle est le meilleur moyen pour se couper d’une population. C’est un acte désespéré
». Mais c’est surtout le manque de discipline et d’organisation qui
reste une constante dans les rangs de la mouvance. Dès lors le jugement
est sans appel. « Zéro plus
zéro, cela fait toujours zéro. L’addition des mythomanes, des
comploteurs, des nostalgiques, des arrivistes, ne donnera jamais une force cohérente. »
POUR UNE NOUVELLE THÉORIE RÉVOLUTIONNAIRE
On l’aura compris, Pour une Critique positive
était sans concession. Dominique Venner s’appuyait sur l’exemple de
rigueur de Lénine et des Bolcheviks russes à la veille de la Révolution
d’Octobre 1917. Lecteur du « Que faire
? » du fondateur de l’URSS, il établit une nouvelle théorie
révolutionnaire créant un unité entre réflexion et action radicale. Ce
rôle est donnée à la « conscience révolutionnaire », elle est le cœur de
la méthode qu’il veut mettre en place : « Le
révolutionnaire est entièrement conscient de la lutte engagée entre le
Nationalisme, porteur des valeurs créatrices et spirituelles de
l’Occident et le Matérialisme sous ses formes libérales ou marxistes. Il
est libéré des préjugés, des contre-vérités et des réflexes
conditionnés par lesquels le régime
se défend. L’éducation politique qui permet de s’en affranchir
s’acquiert par expérience personnelle, bien sûr, mais surtout à l’aide
de l’enseignement que seule l’étude permet de dégager. Sans cette
éducation, l’homme le plus courageux, le plus audacieux, n’est plus
qu’une marionnette manipulée par le régime […] Par une propagande
permanente à sens unique, à laquelle chacun est soumis dès l’enfance, le
régime, sous ses multiples aspects, a progressivement intoxiqué les
Français.
Toutes
les nations à direction démocratique en sont là. Tout esprit critique,
toute pensée personnelle sont détruits. Il suffit que soient prononcés
les mots-clefs pour déclencher le réflexe conditionné prévu et supprimer
tout raisonnement ». Si des notions comme l’Occident ou le Régime
(à lire dans le contexte de l’époque) sont datées, le fond reste d’une
actualité intéressante. L’enjeu est donc de donner une direction
révolutionnaire à toutes les forces nationalistes, dans la perspective
d’un changement de la société sur des bases nouvelles. « Maintenir le
moral offensif de ses propres partisans, communiquer ses convictions aux
hésitants sont deux conditions indispensables au développement du
Nationalisme. La preuve est faite que dans l’action ou en prison, quand
la démoralisation guette, quand l’adversaire semble triompher, les
militants éduqués, dont la pensée cohérente soutient la foi, ont une
force de résistance supérieure ». Voulant doter le nationalisme d’une
organisation centralisée et“monolithique”. tirant les enseignements de
la période de Jeune Nation, le texte rappelle une règle fondamentale du militantisme : « La
preuve est faite que cinq militants valent mieux que cinquante
farfelus. La qualité des combattants, est, de loin, préférable à leur
quantité. C’est autour d’une équipe minoritaire et efficace que la masse
se rassemble, pas l’inverse. Que les mouvements révolutionnaires soient
des minorités agissantes ne signifie évidemment pas que tous les
groupes minoritaires soient, pour autant, révolutionnaires. C’est une
excuse trop facile pour la médiocrité de certains. Les minorités
agissantes ne sont pas des sectes stériles, elles sont en prise directe
sur le peuple. » La définition même que Dominique Venner donne au
nationalisme fit couler beaucoup d’encre et devait provoquer de
nombreuses ruptures avec d’anciens camarades : « Fondé
sur une conception héroïque de l’existence, le Nationalisme, qui est un
retour aux sources de communauté populaire, entend créer de nouveaux
rapports sociaux sur une base communautaire et bâtir un ordre politique
sur la hiérarchie du mérite et de la valeur. Dépouillé de l’enveloppe
étroite imposée par une époque, le Nationalisme est devenu une nouvelle
philosophie politique.
Européen dans ses conceptions et ses perspectives, il apporte une
solution universelle aux problèmes posés à l’homme par la révolution
technique. » L’orientation européenne et quasiment nietzschéenne du
texte n’échappe pas, et laisse entrevoir l’évolution vers les premières
formes de la pensée de la « Nouvelle Droite ». L’éthique de l’honneur
de « l’homme européen » et l’appel à la naissance d’une « Jeune Europe »
font encore débat. Mais comment ne pas souscrire à l’affirmation que
l’Europe doit avoir un autre destin que la mondialisation. « L’unité
est indispensable à l’avenir des Nations européennes. Elles ont perdu
la suprématie du nombre ; unies, elles retrouveraient celle de la
civilisation, du génie créateur, du pouvoir d’organisation et de la
puissance économique. Divisées, leurs territoires sont voués à
l’invasion et leurs armées à la défaite
; unies, elles constitueraient une force invincible […] La jeunesse
d’Europe aura de nouvelles cathédrales à construire et un nouvel empire à
édifier. ».
Monika BERCHVOK Rivarol du 31 mai 2013
Monika BERCHVOK Rivarol du 31 mai 2013
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