« La
question ici posée est d’autant plus difficile que les certitudes à ce
sujet sont établies depuis longtemps, des deux côtés, et jamais soumises
à la moindre interrogation. Il va de soi que les anarchistes sont
hostiles à toutes religions (et le christianisme est de toute évidence
classé dans la catégorie), il va non moins de soi que les pieux
chrétiens ont horreur de l’anarchie, source de désordre et négation des
autorités établies. » (p.7)
Jacques Ellul aborde
ici deux sujets qui lui tiennent à cœur. L’auteur est surement un des
plus brillants intellectuels d’après-guerre. Spécialiste de Marx il
prend pourtant parti pour la mouvance anarchiste. Protestant, il brosse
une vision d’un christianisme qui se rapproche du christianisme des
origines, ce « bolchevisme de l’Antiquité » qu’a tant fustigé la
Nouvelle Droite. Il demeure aussi un spécialiste du droit romain et un
critique de la pensée bourgeoise et de la technique. Il est l’auteur, à
la suite de Léon Bloy, d’Exégèse des nouveaux lieux communs (1966).
Anarchie et Christianisme
est un livre assez court, 160 pages environ dans l’édition dont je
dispose. Encore une fois, il est assez appréciable de pouvoir lire des
livres synthétiques, sans que cela dénature la pensée ou le propos de
l’auteur. Deux grandes parties structurent cet ouvrage. Tout d’abord le
Chapitre Ier : L’anarchie du point de vue d’un chrétien puis le Chapitre II : La Bible, source d’anarchie.
L’auteur commence par poser les bases de son anarchisme : « Si
j’écarte l’anarchisme violent, reste l’anarchisme pacifiste,
antinationaliste, anticapitaliste, moral, antidémocratique (c'est-à-dire
hostile à la démocratie falsifiée des Etats bourgeois), agissant par
des moyens de persuasion, par la création de petits groupes et de
réseaux, dénonçant les mensonges, les oppressions, avec pour objectif le
renversement réel des autorités quelles qu’elles soient, la prise de
parole par l’homme de la base, et l’auto-organisation. Tout cela est
très proche de Bakounine. » (p.24)
Cette partie est
d’ailleurs remarquablement intéressante car Jacques Ellul plaide pour
des actions de rupture avec la société. L’auteur donne un certain nombre
de domaines : refus de l’enseignement obligatoire, du service
militaire, des vaccinations, de la police, retour à la terre, … et donne
l’exemple d’un ami à lui, persécuté par l’administration pour avoir
refusé de vacciner son bétail… Lorsque nous voyons le chemin parcouru
depuis, avec les normes toujours plus drastiques de l’UE, soutenu par
les lobbies pharmaceutiques, chimiques, etc…, on ne peut que saluer la
clairvoyance de ces quelques lignes. D’ailleurs, la profondeur de sa
pensée s’exprime en ces quelques mots : « Bien
attendu, ce ne sont que des petites actions, mais si on en mène
beaucoup, si on est vigilant, on peut faire reculer l’omniprésence de
l’Etat. Compte tenu que la « décentralisation » menée à grand bruit par
Defferre a rendu la défense de la liberté beaucoup plus difficile. Car
l’ennemi ce n’est pas l’Etat central aujourd’hui, mais l’omnipotence et
l’omniprésence de l’administration. » (p.28). Décédé en 1994,
Jacques Ellul n’aura pas eu le temps de mesurer les effets dévastateurs
du traité de Maastricht soutenu par la gauche (y compris Mélenchon). Lui
le pourfendeur de l’administration et des techniciens… traité qui
rajoute des contraintes à celles dénoncées par Ellul dans l’action des
mouvements dissidents. Par ailleurs, comme le rappelle l’auteur « qui paie, commande ! »
(p.29). Une phrase qui devrait restée gravée dans les esprits, car elle
est non seulement au cœur du rapport de domination capitaliste, mais
également plus largement dans la plupart des rapports de domination
entre les hommes.
Ces quelques pages sur
l’anarchisme sont très vivifiantes pour accroître certaines réflexions
quant aux façons d’agir. Jacques Ellul aura écrit avant l’avènement
d’internet, qui constitue aujourd’hui un formidable moyen de
contournement de l’Etat et de diffusion des idées comme le sont les
radios internet (Méridien Zéro) ou les différents blogs (Novopress,
Zentropa, …). La technologie peut avoir du bon…
La deuxième partie, La Bible, source d’anarchie
défend la thèse selon laquelle le message du Christ, puissamment
révolutionnaire, s’oppose aux différentes formes de domination de
l’homme par l’homme selon le sens composé à partir du grec an-arkhé.
Cette partie se présente donc comme une forme d’exégèse et s’attarde
aussi sur la Bible hébraïque, problématique de ce point de vue, en
raison de l’omniprésence des figures royales. Jacques Ellul fait aussi
œuvre d’historien, en replaçant le message christique dans son contexte
et particulièrement dans celui de l’affrontement avec le pouvoir romain
et le pouvoir hérodien, dépendant des Romains. Un élément est
particulièrement intéressant dans cette partie du livre, la réflexion
sur le Diable, bâti sur le terme grec diabolos, qui signifie « le diviseur ». Pour Ellul, « l’Etat et la politique sont facteurs de division entre les hommes ». Cette réflexion pourrait faire écho à cet extrait de l’Epitre aux Galates de Paul de Tarse : « Il
n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ;
il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en
Jésus-Christ. » Un chrétien doit donner sa priorité à la Foi et
tenter de rompre les barrières qui divisent l’humanité. La sous-partie
Apocalypse est d’ailleurs très claire sur ces différents points d’après
l’auteur : « […] il y’a une
opposition radicale entre la Majesté de Dieu et toutes les puissances et
pouvoirs de la terre (d’où l’erreur considérable de ceux qui disent
qu’il y’a continuité entre le pouvoir divin et les pouvoirs terrestres,
ou encore, comme sous la monarchie, qu’à un Dieu unique, tout-puissant,
régnant dans le ciel, doit correspondre sur Terre un Roi unique,
également tout-puissant ; l’Apocalypse dit exactement le contraire !) »
Nous ne doutons pas
que cette seconde partie, dont nous vous laissons découvrir
l’intégralité de la réflexion, pour éviter les raccourcis, suscitera des
débats autant au sein des Chrétiens, qu’au sein de tous ceux qui sont
attachés à leur terre, à leur patrie.
Ce qui me frappe dans
la lecture de ce petit livre, c’est qu’on y trouve une pensée qui
s’oppose en bien des points à ce qui fut celle de la Nouvelle Droite et
en particulier de celle de Dominique Venner qui notait dans le Choc de
l’histoire ou encore dernièrement dans son testament politique que
l’Europe n’avait pas de religion identitaire (à l’inverse, par exemple,
de l’Inde). La ND proclame une pensée très marquée par le paganisme et
l’importance de la hiérarchie (aristocraties), là où Ellul en chrétien
sincère s’y oppose. Pourtant, je dois bien admettre que la pensée
d’Ellul est fortement « séduisante » car elle présente un christianisme
qui s’oppose dans ses bases au monde dans lequel nous vivons et qui
offre l’espérance.
Que l’on s’intéresse à la pensée anarchiste, au christianisme ou qu’on cherche quelques « cartouches intellectuelles », la lecture d’Anarchie et Christianisme s’impose. C’est aussi un moyen d’entrer en contact avec la pensée de Jacques Ellul avec ce qu’elle a de plus profonde : sa foi chrétienne.
Que l’on s’intéresse à la pensée anarchiste, au christianisme ou qu’on cherche quelques « cartouches intellectuelles », la lecture d’Anarchie et Christianisme s’impose. C’est aussi un moyen d’entrer en contact avec la pensée de Jacques Ellul avec ce qu’elle a de plus profonde : sa foi chrétienne.
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