Combien de mètres cubes de gaz
de schiste dorment sous nos pieds ? Un quart de moins que ce que l’on
pensait, a annoncé lundi, l’Agence américaine de l’énergie. Mais pour
les géologues français, aucune estimation ne tient la route.
La France vient de quitter le club très envié des eldorados potentiels de gaz de schiste. Au niveau mondial, les nouveaux résultats de l’Agence américaine de l’énergie (EIA), publiés le 10 juin, ont de quoi faire saliver les pétroliers : depuis le dernier rapport paru en 2011, les réserves présumées de cet « hydrocarbure non conventionnel »
ont été revues à la hausse de 10 %. Elles atteignent désormais 345
milliards de barils, soit l’équivalent de la consommation mondiale
pendant dix ans.
Mais la France, comme la Pologne, est restée sur le banc. Pire, elle dégringole au classement.
Tandis qu’en 2011, l’Hexagone fanfaronnait en dixième place mondiale
des pays dotés de sous-sols riches en gaz de schiste (avec un magot
estimé à 5,1 milliards de mètres cubes), elle est aujourd’hui sortie du classement américain.
Entre temps, près de 1,2 milliard de m3, soit 24% des réserves
précédemment estimées, semblent s’être évaporés. Sur certaines zones, la
baisse est encore plus marquée. Ainsi, le bassin du Sud-est (un
triangle situé grosso modo entre Montpellier, Nice et Grenoble)
renfermerait dix fois moins de ressources que celles évaluées il y a
deux ans. De tels écarts laissent les géologues dubitatifs.
« L’exercice est trop périlleux »
« Ces estimations sont grossières, on ne comprend pas sur quoi l’EIA les fonde », lance François Kalaydjian, directeur adjoint aux ressources énergétiques de l’Institut français du pétrole
(IFP). Interrogée sur sa méthodologie, l’agence américaine se contente
de renvoyer, par mail, vers six études françaises. La moitié de ces
travaux proviennent justement de l’IFP. Pourtant François Kalaydjian et
son équipe se sont toujours bien gardés d’avancer des chiffres. « Pour la simple raison que sans forage, l’exercice est trop périlleux »
souligne le directeur adjoint. Or, en France depuis le 13 juillet 2011,
la fracturation hydraulique, seule méthode de forage éprouvée pour
l’instant, est interdite par la loi. Et à moins que ses impacts néfastes sur l’environnement ne soient un jour complétement maîtrisés, elle devrait le rester.
« Dans ces circonstances, il manque des données de base »,
confirme Michel Cathelineau, directeur de recherches en géologie et
gestion des ressources au CNRS. Selon les chercheurs français, quand
elle s’intéresse à la France, l’EIA ne peut se baser sur aucun élément
concret. Restent les analogies et extrapolations. « Pour estimer la
quantité de gaz de schiste il faut mesurer la surface occupée par les
roches mères qui en produisent, estimer leur profondeur et, à partir
d’échantillons, déterminer leur productivité », détaille le chercheur, « ensuite c’est simple comme une multiplication ».
Mais en France, le calcul butte sur la
troisième variable : la capacité d’une roche à produire du gaz. Celle-ci
dépend de la quantité de matière organique présente, mais aussi de la
température et de la pression auxquelles elle est soumise. « Or sans forage, impossible de connaître ces paramètres », souligne Michel Cathelineau.
« Les experts de l’EIA considèrent uniquement la quantité de matière
organique, c’est-à-dire l’ingrédient de base, ce qui n’est pas
suffisant », renchérit François Kalaydjian.
Pas d’avancée majeure depuis deux ans
Autre inconnue : la propension de la roche à être fracturée. « Une roche mère est constituée de trois composants : des matières organiques, des matériaux hybrides et des minéraux », enseigne François Kalaydjian, avant de développer « en fonction des leurs proportions, elle sera plus ou moins facile à fracturer ».
Or sans exploration des sous-sols, impossible de déterminer de quoi la
roche, située à des centaines de mètres sous nos pieds, est composée.
Dans le bassin parisien, des échantillons prélevés dans les années 90
donnent une petite idée. « Mais là encore, les interprétations que l’EIA en fait sont étranges », soupire M. Kalaydjian. Et si quelques incertitudes concernant le bassin du sud est ont été levées, les chercheurs ne font état d’aucune découverte.
Faute de permis de forer, en deux ans la
France n’a donc pas fait d’avancée significative. Pour preuve, quatre
des six études sur lesquelles se basent l’EIA pour établir ses nouvelles
estimations sont veilles de plus de 10 ans. Alors comment expliquer que
les conclusions divergent des chiffres précédents ? « Bizarrement entre 2011 et aujourd’hui, les périmètres étudiés ont changé », s’étonne François Kalaydjian à l’IFP, avant de poursuivre : « Certaines zones présentes dans l’étude il y a deux ans, ne sont même plus mentionnées, sans que l’on puisse se l’expliquer. »
Des explorations pour mettre fin au débat ?
Dans le milieu de la recherche française, la publications de l’EIA suscite donc peu d’émoi. « C’est un état des lieux très général, vu des États-Unis , relativise François Kalaydjian, on sait que la marge d’erreur est importante ».
Pour les géologues français, si l’Hexagone veut savoir de quoi sont
faits ses sous-sols, une seule solution : autoriser les forages
d’exploration. Quid alors des risques pour l’environnement, tels que la pollution des nappes phréatiques ou les séismes ? « Il y a beaucoup de controverses sans que l’on sache vraiment de quoi on parle », souligne François Kalaydjian « si
l’on réalise de vraies études, on constatera peut-être que les
quantités de gaz de schiste sont trop faibles pour qu’il y ait lieu d’en
parler. » Mais à l’inverse, si les découvertes font le bonheur des pétroliers ? Les écologistes
craignent qu’une fois le premier feu vert donné et le potentiel
économique du gaz de schiste dévoilé, la France n’ait plus le courage de
maintenir sa fermeté.
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