lundi 17 juin 2013

Gouverner le Moyen-Orient par le chaos

Publié initialement dans le magazine « Rébellion », n° 57, janvier/février 2013. Par Lucien C.

La doctrine du remodelage du Grand Moyen-Orient
À toutes les époques, des crises de toutes sortes ont eu lieu. L’état de crise n’était cependant pas la norme. Les crises du passé relevaient du courant faible qui vient se superposer à un état normal de stabilité en tant que courant fort. Des discontinuités venaient interférer avec une ligne de base continue mais sans remettre en question la dominance de cette dernière. Or, il semble que notre époque nous donne à voir une inversion des courants faible et fort. La crise deviendrait la règle et la stabilité serait l’exception. D’où vient cette inversion ? A-t-elle une cause naturelle ou procède-t-elle d’une intentionnalité, d’un dessein, d’un programme ?
Emmanuel Kant écrivait en 1795 son projet de « paix perpétuelle ». L’étude attentive de l’histoire des idées montre qu’il existe également un « Projet de guerre perpétuelle », ou de « crise perpétuelle ». En effet, l’observation des crises du passé a permis à quelques fins esprits de noter que les états de crise introduisaient toujours un changement. À partir de la deuxième moitié du 18ème siècle et de la montée en puissance du capitalisme, les mêmes fins esprits se sont alors demandé s’ils ne pouvaient pas s’emparer à leur avantage de ce mécanisme de crise productrice de changement. Ils se sont posé la question en ces termes : « Plutôt que d’attendre que les crises arrivent toutes seules, pourquoi ne pas les faire arriver artificiellement, d’une manière aussi contrôlée par nous que possible, de sorte à opérer les changements qui nous arrangent ? » Le principe « révolutionnaire », de 1789 au pseudo « printemps arabe », était né.
Expression par excellence de ce principe de chamboulement sous contrôle : le remodelage du Grand Moyen-Orient. C’est en 2003 que Georges W. Bush, alors président des États-Unis, expose officiellement cette doctrine dans des allocutions médiatisées. Pendant une quarantaine d’années, la « guerre froide » avait gelé les positions dans une guerre de tranchées aux limites relativement fixes. Les années 1990 constituèrent un round d’observation. Il fallut attendre les attentats du 11 Septembre 2001 pour que les vannes d’une nouvelle ère néocoloniale soient franchement ouvertes. On assista alors à un déchaînement de démagogie et de propagande de guerre usant d’éléments de langage stéréotypés, le fameux storytelling, atteignant les mêmes niveaux de désinformation, de déréalisation et de réécriture révisionniste instantanée de l’Histoire que pendant les deux guerres mondiales et poursuivant les mêmes objectifs de redéfinition des frontières et de l’ordre géopolitique préexistant.
Une nouvelle discipline apparaît dans les think-tanks de Washington : la transitologie, qui se donne pour mission de réfléchir aux « regime changes » (changements de régimes) et aux moyens de les provoquer artificiellement. Sous prétexte de la guerre aux dictateurs ou au terrorisme, les deux parfois confondus, et d’attaques préventives pour lutter contre les « rogue states » (États voyous), il s’agira en fait de prendre le contrôle de vastes zones géographiques qui vont du Maroc au Pakistan. Les concepts de « nation building » et de « shaping the world » (façonnage du monde) apparaissent aussi à ce moment. Ce programme impérial procédera par des « révolutions de couleurs » et des « guerres justes », en réalité de simples putschs, coups d’État et guerres d’invasion accomplis avec le soutien d’ONG complices et de plus en plus interventionnistes au nom du « droit d’ingérence », de sorte à placer des hommes liges aux postes de pouvoir et de redessiner les frontières selon les intérêts de l’envahisseur.
Détruire l’ordre des choses existant pour le remplacer par un autre ordre que l’on a défini, voire par l’absence d’ordre tout court, en un mot la Révolution, telle est donc la méthode de travail du Pouvoir et du Capital. (Où l’on voit que le clivage droite/gauche n’a véritablement aucun sens et que l’abandonner est le préalable à toute pensée politique sérieuse.) Que le désordre soit un moyen ou carrément une fin en soi, il est troublant d’observer qu’il est ici considéré positivement, à rebours du sens moral commun. Cette capacité à considérer positivement un mal relève d’un profil psychologique qui est celui du sociopathe. La place nous manque ici pour développer cette piste et nous nous en tiendrons à l’aspect géopolitique des choses. Sous cet angle, comment identifier plus précisément l’auteur du chaos provoqué, l’acteur révolutionnaire par excellence ? À la suite de plusieurs penseurs, Toni Negri et Michael Hardt dans « Empire » (2000), Emmanuel Todd dans « Après l’Empire » (2002) ou Alain Soral dans « Comprendre l’Empire » (2011), nous l’appellerons l’Empire.

Les trois « têtes chercheuses » de l’Empire
En 1997, Zbigniew Brzezinski publiait son « Grand échiquier », sous-titré « American Primacy and Its Geostrategic Imperatives », pour y exposer sans fard un programme néocolonial dirigé contre la zone eurasiatique. On y lit entre autres ce genre de déclaration : « Il est impératif qu’aucune puissance eurasienne concurrente capable de dominer l’Eurasie ne puisse émerger et ainsi contester l’Amérique. La mise au point d’un plan géostratégique relatif à l’Eurasie est donc le sujet de ce livre. » Mais Brzezinski était loin d’être isolé et son livre n’est que la partie visible de l’iceberg. En 1998, une publication française résumait sur une centaine de pages les tenants et les aboutissants de cette politique étrangère des États-Unis en montrant qu’elle obéissait à un dispositif infiniment plus large que le seul individu Brzezinski. Au travers d’une dizaine d’articles, un collectif de chercheurs en géopolitique coordonné par Alain Joxe et Maurice Ronai, exposait les tendances les plus agressives et impérialistes de l’Oncle Sam, les tendances isolationnistes étant bien réelles dans le peuple américain, mais malheureusement minoritaires dans les élites.
Le Groupe de sociologie de la défense de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) titrait ainsi son Cahier d’Études Stratégiques n°21 : « Le débat stratégique américain, 1997. Contrôler l’Eurasie. » Les pays de la zone eurasiatique étaient donc prévenus ! Au cas où une ambiguïté aurait subsisté, la quatrième de couverture du document récapitulait les impératifs de cette stratégie militaire états-unienne en ces termes : « La recherche de la supériorité opérationnelle absolue, dans le présent et dans l’avenir, demeure le mot d’ordre. » Les choses étaient ainsi clairement posées : moins de dix ans après la chute de leur rival communiste, les USA s’inscrivaient dans une logique d’expansion globale visant à prendre le contrôle de l’Eurasie.
De son côté, le lobby israélien aux États-Unis avait déjà produit le manifeste intitulé « A clean break : a new strategy for securing the realm » en 1996. Quelques années plus tard, les néoconservateurs sionistes enfonceraient le clou avec un autre texte du même acabit, « Program for a New American Century », le célèbre PNAC et ses espoirs catastrophistes de nouveau Pearl Harbour visant à détourner définitivement les USA de toute tendance isolationniste et à les transformer en une sorte de Golem au service exclusif des intérêts israéliens.
Point d’orgue de ce coup d’État élaboré sur des années, les attentats du 11 Septembre 2001, dont le véritable cerveau semble plutôt être Benjamin Netanyahu que « Photoshop » Ben Laden, et qui devaient permettre à Tel-Aviv de prendre le contrôle de la politique étrangère de Washington par la désignation schmittienne d’un ennemi commun : le « terrorisme islamiste ».
Enfin, à la faveur de la crise syrienne et de la transformation de la France en zone d’influence et parc d’attraction, on vit nettement l’émergence d’un nouvel acteur hyperactif : les pétromonarchies du Golfe persique, Arabie Saoudite et Qatar en tête, nourrissant des projets d’expansion et fourbissant leurs armes depuis longtemps en attendant d’avoir atteint la taille suffisante pour se lancer dans la bataille contre le monde shiite et ses alliés.
De cette accumulation de couches et de strates d’intérêts convergents allaient sortir en 2007 les révélations fracassantes du général Wesley Clark, de l’US Army, lequel rapportait à l’occasion d’un talk-show télévisé la feuille de route impériale dont on lui avait fait part au Pentagone à la fin 2001 : envahir sept pays, nommément l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie, l’Iran, la Somalie et le Soudan. Si l’on récapitule les acteurs du programme impérial actuel, on en découvre donc trois :
http://www.egaliteetreconciliation.fr
1. l’empire anglo-saxon, déjà existant, élaboré entre Londres pour la branche franc-maçonne et Washington pour la branche WASP,
2. l’empire juif, en gestation depuis la composition de la Torah et l’invention de l’idée d’une race supérieure « élue » pour dominer le monde,
3. l’empire pétro-monarchique sunnite, qui ne rêve que d’en finir avec ses rivaux shiites et nationalistes laïcs arabes (baasistes).

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