Selon un sondage du cabinet
Deloitte, 27 % de jeunes diplômés en recherche d’emploi estiment que
leur avenir professionnel se situe hors de France contre 13 % il y a un
an. Et selon un autre sondage ViaVoice, 50 % des 18-24 ans aimeraient
quitter la France pour vivre dans un autre pays ! La France serait-elle
ainsi en passe de devenir soudainement un pays d’émigration ?
Par Phillipe Plassart
Qu’ils l’abordent de façon
fantasmé ou réaliste, bon nombre de jeunes Français ont désormais
l’étranger comme nouvelle ligne d’horizon.
Ces départs potentiels sont-ils une
chance pour le pays qui pourrait ainsi gagner potentiellement en
influence dans le monde, ou au contraire cette hémorragie humaine
constitue-t-elle une menace irrémédiable de perte de substance pour la
France ? C’est ici la question cruciale du retour ou de l’installation
définitive qui est posée. Et derrière, celle de l’attractivité du pays
car la partie se joue aussi sur la capacité de la France à attirer à son
tour des jeunes étrangers pour compenser ces départs.
Ils se
sont autobaptisés les “expatriotes”. Un détournement d’appellation
mi-ironique, mi-provocateur bien dans l’air du temps, choisi par un
groupe informel de jeunes adultes.
Leur choix ? Quitter
l’Hexagone. Pour toujours ou temporairement ? Ils ne le savent sans
doute pas eux-mêmes. Seule certitude, ils sont prêts à se mettre pour un
temps au moins dans la peau de “l’émigré” dans le but d’aller
travailler à l’étranger.
Des comportements isolés ? Voire. Selon
un sondage du cabinet Deloitte, 27 % de jeunes diplômés en recherche
d’emploi estiment que leur avenir professionnel se situe hors de France,
contre 13 % il y a un an.
Et selon un autre sondage ViaVoice, 50 %
des 18-24 ans aimeraient quitter la France pour vivre dans un autre
pays ! La France serait-elle ainsi en passe de devenir soudainement un
pays d’émigration ? La crise a pour effet de rebattre spectaculairement
les cartes des migrations internationales à travers le monde ; pourquoi
la France y échapperait-elle ? Ne voit-on pas par exemple des cohortes
de jeunes Grecs ou Espagnols affluer vers l’Allemagne, ou bien encore
des jeunes Portugais migrer vers l’ancienne colonie, l’Angola ? Un
véritable exode. Pour la France, ce serait néanmoins une première.
Questions sur des départs
Notre pays est le seul, en Europe, à n’avoir jamais connu de grande vague d’émigration au cours de la période contemporaine. Tous les autres, presque sans exception – Allemands, Espagnols, Italiens, Irlandais, etc. – si, durant le XXe siècle. Il faut remonter aux siècles précédents pour voir des Français s’exiler en nombre, laissant derrière eux leur région d’origine souvent surpeuplée, par exemple les Basques ou les Savoyards en Amérique latine au XIXe siècle.
Notre pays est le seul, en Europe, à n’avoir jamais connu de grande vague d’émigration au cours de la période contemporaine. Tous les autres, presque sans exception – Allemands, Espagnols, Italiens, Irlandais, etc. – si, durant le XXe siècle. Il faut remonter aux siècles précédents pour voir des Français s’exiler en nombre, laissant derrière eux leur région d’origine souvent surpeuplée, par exemple les Basques ou les Savoyards en Amérique latine au XIXe siècle.
Ou, plus loin encore, au XVIIe siècle,
avec le départ massif des Huguenots. Mais aujourd’hui, combien
seront-ils à faire effectivement le saut ? Et surtout, quelles sont
leurs motivations ? “La grande migration française a lieu aujourd’hui”,
se persuade Eric Brunet, polémiste auteur d’un retentissant Sauve qui
peut. Le phénomène est très mal cerné statistiquement. Et plus encore,
très peu étudié.
Ce comportement exprime-t-il une
simple “envie d’étranger”de la jeunesse française, comme celle qui
saisit depuis bien longtemps ses homologues anglo-saxonnes à l’issue de
leurs études,
auquel cas l’alignement français
pourrait être considéré bénin ? Ou bien, ces mouvements sont-ils dus
principalement à la mauvaise conjoncture en France qui inciterait les
jeunes à tenter leur chance à l’étranger, ce qui pourrait être vu alors
comme une réaction plutôt saine au manque de débouchés et de
perspectives ?
Ou plus gravement, ces départs
traduisent-ils un divorce plus profond de jeunes qui n’ont plus envie de
vivre dans leur pays natal ?
De là où l’on place le curseur dépend la
vision que l’on peut avoir – positive ou négative – du phénomène. Ces
départs sont-ils une chance pour le pays, qui pourrait ainsi gagner
potentiellement en influence dans le monde, ou au contraire cette
hémorragie humaine constitue-t-elle une menace irrémédiable de perte de
substance pour la France ? C’est ici la question cruciale du retour ou
de l’installation définitive qui est posée. En prenant la poudre
d’escampette, la jeunesse a trouvé un bon moyen d’interpeller
brutalement la société. Et peut-être aussi de reprendre en main son
destin.
L’appel d’air de l’étranger
Combien sont-ils à partir ?
Combien sont-ils à partir ?
Un seul chiffre à peu près sûr :
d’après le ministère des Affaires étrangères, il y a en ce moment 1,6
million de Français inscrits sur les registres consulaires à l’étranger,
155 300 sont âgés de 18 à 25 ans et 270 000 ont entre 25 et 35 ans.
Il n’est guère possible d’affiner la
photographie. “Pour l’Insee, la catégorie “émigré” n’existe pas
statistiquement, faute de moyen d’enregistrer les départs. Et en toute
hypothèse, l’expatrié est supposé rentrer au pays un jour ou l’autre”,
constate Hervé le Bras.
Dans Les 4 Mystères de la population
française, ce démographe s’est livré à une investigation à partir de
l’évolution des pyramides des âges durant la décennie 90. Et il a
découvert que la tranche d’âge des 18 à 25 ans était la seule à
présenter un solde migratoire négatif, avec un nombre de départs plus
élevé que d’entrées. D’après ses estimations, le flux de départs aurait
été de l’ordre de 20 000 en rythme annuel entre 1980 et 1990.
Et depuis ? Difficile à dire, on est
condamné aux approximations ; selon la Conférence des grandes écoles, un
étudiant en école de commerce sur cinq et un sur dix en école
d’ingénieurs partent une fois leurs études terminées. Ce qui ferait pour
ces filières environ 7 000 départs par an. Mais l’émigration ne
concerne pas que ces diplômés.
Selon un sondage Gallup repris par
l’OCDE, 37 % des 15-24 ans français émigreraient de façon permanente
s’ils en avaient la possibilité, ce qui donnerait plusieurs centaines de
milliers de candidats au départ en valeurs absolues. Un chiffre à
relativiser. “Il y a un grand décalage entre l’intention d’émigrer et la
réalisation de ce projet. Pour concrétiser un projet d’émigration, il
faut à la fois avoir une offre d’emploi et passer à travers le crible
des politiques d’immigration”, avertit Jean-Christophe Dumont,
responsable de la division migrations internationales à l’OCDE.
Les migrations modernes
présentent majoritairement le visage de la compétence, que celle-ci soit
d’ordre technique – ouvriers ou employés à forte qualification
professionnelles – ou d’ordre académique – diplômés de l’enseignement
supérieur.
Les “enfants naturels” de la mondialisation et de la crise
Qu’ils l’abordent de façon fantasmée ou réaliste, bon nombre de jeunes Français ont désormais l’étranger comme nouvelle ligne d’horizon. Au minimum comme une option, loin de l’état d’esprit des générations précédentes, bien plus casanières.
Qu’ils l’abordent de façon fantasmée ou réaliste, bon nombre de jeunes Français ont désormais l’étranger comme nouvelle ligne d’horizon. Au minimum comme une option, loin de l’état d’esprit des générations précédentes, bien plus casanières.
Une évolution qui reflète la
rapide insertion de l’économie française dans la globalisation mondiale
engagée au milieu des années 80. L’internationalisation des grandes
entreprises françaises – les Carrefour et autres L’Oréal – a généré un
appel d’air considérable de postes hors de France. 30 % d’une promotion
d’HEC part à l’étranger et sur ces 30 %, 95 % rejoignent des groupes
français.
Parallèlement les grandes écoles se sont
internationalisées à vitesse grand V. Stages obligatoires à l’étranger,
pratiques des langues, diversité du corps enseignant et présence
d’élèves étrangers : elles ont inoculé le virus de l’international à
leurs élèves qui se sentent désormais “citoyens du monde”. “Le passage
par la case “international” au cours de la scolarité est obligatoire”,
explique Eloïc Peyrache, directeur délégué d’HEC. Ils y sont encouragés
par la reconnaissance internationale de la qualité de leur formation.
Le label HEC, qui est reconnu
mondialement, rend leur CV attractif. “Le fait que ces jeunes Français
parviennent à se faire recruter à l’étranger est la reconnaissance de la
qualité de l’enseignement prodigué dans les grandes écoles françaises”,
souligne Pierre Tapie, président de l’Essec et de la Conférence des
grandes écoles. A cela s’ajoutent les effets du marasme économique.
“En partant à l’étranger, les
jeunes cherchent à éviter de prendre un job sous-qualifié en France par
rapport à celui auquel ils pourraient aspirer. Car ce décalage a pour
effet d’ancrer durablement leur CV à un niveau de carrière inférieur.
Or l’expérience montre que cet écart
sera long à combler par la suite”, explique Stéphane Curcillo,
professeur à Sciences-Po. “Les jeunes qui ont le choix entre Paris,
Shanghai ou Sao Paulo votent aussi avec leurs pieds. Aujourd’hui la
France est moins “chaleureuse” avec les jeunes diplômés que d’autres
pays dynamiques qui sont prêts à leur proposer des postes à
responsabilité élevée”, observe Pierre Tapie.
Pour Eric Brunet, le divorce est
plus profond. “Il y a un hiatus culturel entre les jeunes,
entreprenants et volontaires, et la France, un pays encroûté qui n’aime
pas l’initiative”
, pointe-il. Et avec des taux de
croissance économique plus proches de 5 % que de 0 %, les pays émergents
font vite la différence.
La question cruciale du retour
Ces départs sont-ils bénéfiques ou non pour le pays ? Tout dépend fondamentalement de la durée de cette émigration, de son caractère temporaire ou définitif. Un émigré qui rentre en France après quelques années seulement passées à l’étranger apporte au pays un plus : son expérience, son savoir-faire.
Ces départs sont-ils bénéfiques ou non pour le pays ? Tout dépend fondamentalement de la durée de cette émigration, de son caractère temporaire ou définitif. Un émigré qui rentre en France après quelques années seulement passées à l’étranger apporte au pays un plus : son expérience, son savoir-faire.
Mais lorsque l’émigration se
prolonge ou devient définitive, les aspects négatifs l’emportent.
“L’individu parti a été formé gratuitement en France.
Et il n’y aucun retour sur
investissement pour le pays, sans compter les pertes de recettes
fiscales”, analyse Stéphane Grégoir, directeur des études à l’Edhec. Il
est impossible de connaître la proportion de ces non-retours mais les
témoignages semblent attester d’un enracinement durable. “Je n’envisage
absolument pas de rentrer, affirme Dorine Marceau, titulaire d’un master
2 en finance et contrôle installée à Miami depuis 5ans. J’ai un travail
très intéressant dans lequel j’ai évolué très rapidement. Je reste
persuadée que je n’aurais pas pu avoir la même ascension professionnelle
en France et surtout bénéficier du même salaire.
Et je dois avouer que je repars un peu
déprimée à chaque passage en France.” Une vision largement partagée.
C’est bien la question de l’attractivité de l’Hexagone que posent les
jeunes Français à l’aube de leur vie professionnelle. La partie se joue
aussi sur la capacité de la France à attirer à son tour des jeunes
étrangers pour compenser ces départs. La France, quatrième pays
d’accueil d’étudiants au monde selon l’OCDE, dispose d’indéniables
atouts. Mais pour retenir les meilleurs de ces étudiants, dans un monde
plein d’opportunités nouvelles pour les jeunes, l’Hexagone devra
apprendre à se présenter sous son meilleur jour.
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