L’Europe paiera.
C’est ce que pensent très fort et que disent – pas si bas que cela – les
responsables de la négociation sur le futur accord de libre-échange
transatlantique aux Etats-Unis. Avec un argument de base : l’Europe a
désespérément besoin de croissance. Plus que les Etats-Unis, où la
situation est meilleure sans être néanmoins brillante. L’Europe est demandeuse et doit donc payer, c’est-à-dire faire davantage de concessions.
Et nos amis américains de faire la preuve par neuf et de demander des gages que la Commission n’a été que trop heureuse et prompte à donner
dans le domaine agricole en particulier : les Etats-Unis ont posé un
ultimatum en décembre, exigeant que l’Europe prouve sa bonne foi en
acceptant, par exemple, la viande de bœuf d’animaux élevés et abattus
dans des conditions sanitaires indescriptibles, mais nettoyés à l’acide
lactique avant envoi aux consommateurs. Les prétendues contreparties que
la Commission affirmait exiger de leur partenaire américain n’ont toujours pas été mises en œuvre.
À lire
les remerciements enthousiastes qui ont accompagné l’annonce du
lancement des négociations par le Président américain dans son discours
sur l’état de l’Union, en provenance des différents chefs de
gouvernement européens, à voir l’empressement servile de la présidence irlandaise à faire avancer le mandat de négociation, on comprend que l’exercice est moins un dialogue d’égal à égal qu’un rapport de vassal à suzerain.
S’il fallait une preuve supplémentaire,
elle vient d’être donnée. En décembre dernier, le régulateur financier
américain, la Réserve Fédérale, a publié de nouvelles exigences à
l’encontre des banques étrangères – et européennes en particulier – qui
ont deux conséquences : réduire mécaniquement le champ d’activités des
banques européennes aux Etats-Unis, et rompre
avec la tradition de dialogue avec les régulateurs européens. Deux
conséquences qui s’inscrivent directement contre l’esprit de l’accord de
“partenariat”, mot choisi par l’administration américaine, manteau de Noé pour couvrir un accord de libre-échange que le parti démocrate ne saurait voir.
À ceux qui espéraient que le
sujet pourrait être évoqué dans le cadre des négociations
transatlantiques le négociateur américain a apporté un démenti cinglant
devant le Sénat : il y aura, a-t-il assuré, une “exception prudentielle” pour les services
financiers, et la question sera placée hors du champ des négociations.
Une délégation de cinéastes européens a posé la question de cette exclusion à José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne n’obtenant pour réponse qu’un silence édifiant.
C’est dans ce contexte que la question
de l’exception culturelle prend tout son sens. Il en va bien sûr de la
question du rapport entre commerce et culture, de la volonté – ou non ? – de l’Europe d’échapper au “tout marchandise”
qui est la règle américaine, de défendre une identité et une diversité à
l’opposé du monde hollywoodien. Mais il en va aussi, au-delà, du
premier test de la volonté et de la capacité européenne d’échapper à
l’oukase américain.
Si, pour des raisons qui sont les leurs (un président de la Commission qui a déjà démontré sa capacité à rentrer dans la “coalition of the willing”
chère à George W. Bush ; un commissaire – plus libéral tu meurs ; un
français à la tête de la DG Commerce – on n’est jamais trahi…), la
Commission met son drapeau dans sa poche, les citoyens français et les
citoyens européens ont du souci à se faire.
Demain, ce sont les lobbies
agricoles américains qui exigeront l’ouverture des frontières
européennes aux produits OGM. Le blé Monsanto, qui n’avait, parait-il,
pas quitté les laboratoires pousse actuellement gaiement dans l’Oregon.
Après demain, les
multinationales de l’Internet exigeront que les Européens respectent les
règlementations américaines en matière de protection des données.
Autant dire que l’Agence de sécurité
nationale américaine (NSA) aura un accès plus facile encore à nos
conversations téléphoniques, nos échanges de courriels, et notre
intimité.
Non, l’exception culturelle n’est pas négociable. Car avec elle c’est l’art de vivre européen, ce sont les valeurs de notre continent qui seraient mises à l’encan.
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