"Gaël Brustier: Le FN est aujourd'hui une caisse enregistreuse. Il a été un acteur de la reconfiguration idéologique dans les années 1980,
avec la préférence nationale, il a réussi à politiser la question de
l'immigration, et contribué avec Bruno Mégret à politiser la question de
l'identité. Mais aujourd'hui le FN n'est plus un acteur de la
recomposition idéologique, mais une caisse enregistreuse électorale des
paniques morales. Les Le Pen sont les rentiers du malheur. Ils
se sont positionnés dans les années 1980 sur un puits de pétrole,
l'immigration, et depuis ils ne font que récolter. [...]
François-Xavier Bellamy: Le FN a
considérablement changé. Il y avait une dimension de transgression avec
Jean-Marie Le Pen, la volonté d'assumer un risque politique, qui tend à
disparaître avec le renouvellement des générations, et la mise en valeur
par le parti de nouveaux profils de techniciens et d'experts. Aujourd'hui,
le FN ne joue plus de rôle idéologique majeur: il s'aligne sur le
profil type du parti institutionnel, c'est-à-dire un parti qui ne
propose plus tant une vision du monde qu'un ensemble de propositions
inspirées par une doxa. L'un des symptômes de ce glissement, c'est le fait que
le FN, comme tous les «partis de gouvernement», totalement dépassé par
ce qui s'est produit l'année dernière: il s'est montré incapable de
comprendre ce mouvement de fond, et plus encore de le capter.
Gaël Brustier: Le FN aujourd'hui a moins de cadres politiques formés, moins d'intellectuels, moins de haut-fonctionnaires que le FN de 1998.
[...] Le FN est tiraillé aujourd'hui entre le populisme identitaire et
la ligne Wilders (du nom du leader de l'extrême droite néerlandaise très
critique de l'islam, sioniste et anti-européen). Entre Saint Nicolas du
Chardonnet et le Marais, il va falloir faire un choix ! C'est un des
rares partis qui arrive à gagner un nouvel électorat sans en perdre un
autre: ça fait trente ans qu'ils rajoutent de nouvelles tranches
d'électorat les unes aux autres qui parviennent très bien à cohabiter
les unes sur les autres. Ils surfent sur des aspects contradictoires:
quand Marion va défiler, Marine rassure une autre frange de l'électorat.
[...]
François-Xavier Bellamy: Du point de vue
du contexte, la situation actuelle présente une différence considérable
par rapport à d'autres évènements comme Mai 68: c'est la crise économique.
Il y a aujourd'hui une fragilité économique considérable, qui augmente
la tension latente. [...] Et le résultat, inédit, c'est que la majorité va mal, mais sans que l'opposition en tire aucun bénéfice en termes de confiance ou d'espoir. Ce phénomène est inquiétant, parce qu'il risque de favoriser l'émergence de formes non politiques d'expression de l'opposition ou de la colère.
Cela ne pourrait aboutir qu'à la violence, puisque la politique n'est
rien d'autre, au fond, qu'une façon non-violente de canaliser et de
structurer l'expression du désaccord dans une société.
Le clivage gauche-droite n'est pas périmé, mais il s'exprime différemment aujourd'hui. Finalement, la question sociale n'est plus centrale pour la majorité parlementaire. [...] L'année dernière, la gauche n'a pas promu le mariage: elle a voulu déconstruire une certaine idée traditionnelle du mariage.
L'exposé des motifs de la loi Taubira était révélateur, de ce point de
vue: le but affiché par ce texte législatif était d'accomplir une
exigence de laïcité radicale. [...] Les racines philosophiques de cette
déconstruction sont faciles à retrouver dans le travail de fond que la
gauche intellectuelle a mené dans la deuxième moitié du XXème siècle. C'est
autour de cette tentative de déconstruction que s'articule aujourd'hui
le nouveau clivage gauche - droite, ce qui explique précisément pourquoi
la question du libéralisme est dépassée."
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