Fin mai, je serai au rendez-vous de Béziers.
Organisé par Robert Ménard dans la ville dont il est l’édile, ce rendez-vous d’un week-end rassemblera peut-être tout ce que la « droite » sérieuse compte de représentants. Je dis « droite sérieuse », je pourrais dire : « assumée », « conséquente » ou « déterminée », mais je pourrais dire plutôt : « orpheline ». Car oui, toute cette droite saucisson-pinard, traditionnelle, catholique ou presque, « hors les murs », mousquetaire, nationale, souverainiste, identitaire, libérale et/ou colbertiste – intellectuelle surtout – oui, toute cette droite est désormais orpheline, turbide et angoissée à l’idée que la course de 2017 puisse partir sans qu’aucune de ses écuries n’y concourent.
Une société française passée à droite
Cette droite bouillonne comme jamais, échauffée tous les jours par l’état de la société française. Précisément, celle-ci ne semble jamais avoir été autant « à droite » dans ses idées et désidératas. C’est, en tous cas, ce que montrent les enquêtes d’opinions. Pour résumer brièvement : l’immigration est désormais rejetée ; la peur de l’Islam est revendiquée ; le besoin de sécurité est assumé ; les impôts et les taxes sont exécrés ; l’Union Européenne ne revêt plus le rêve dont elle s’était parée au départ ; la morale permanente des droits de l’homme et des valeurs sont tournées en dérision ; la gauche enfin, avec tout ce qu’elle représente, est haïe. En somme, tout porte à croire que l’heure de la droite a sonnée.
2017 sans candidat de droite ?
La grande peur des bien-droitards est de ne pas pouvoir supporter pleinement un homme ou une femme pour 2017. Aux Républicains, les sondages et la tendance donnent Juppé, un radical de gauche comme Chirac, dont il fut d’ailleurs un de ses ministres. Un représentant « des élites mondialisées » comme on dit, un retraité qui n’a pas dépassé les années 90 et leur cortège de rêvasseries sur la mondialisation heureuse, le métissage idéal et le libéralisme comme seul « way of life ». Donné pour le moment gagnant aux primaires, le grand parti de droite français risque donc bien de présenter à la présidentielle un orléaniste usé ayant plus en commun avec François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel Macron qu’avec Laurent Wauquier, Philippe de Villiers et Marion Maréchal Le Pen.
Le problème du FN
Cette droite a essayé, essaie encore, et essaiera à nouveau, de se rapprocher du FN. Hormis quelques irréductibles anti-lePen, ses représentants ont tous voulu, un jour, frayer avec le mouvement frontiste. Cette droite, parce qu’un peu bourgeoise, n’était pas très courageuse : elle tremblait à côté du père Le Pen et son parfum sulfureux. Cependant, la dédiabolisation opérée par la fille l’a interpellée, et nombre de ses membres ont décidé de montrer l’exemple en passant au dessus du cordon sanitaire. La plupart s’en sont retournés depuis, échaudés par les signaux toujours plus prégnants de Marine Le Pen et Florian Philippot envoyés à la seule gauche, et le mépris – voire la haine assez irrationnelle – que semblent parfois avoir ces deux dirigeants frontistes à l’encontre du cadre de droite à la raie sur le côté, catholique et un tantinet libéral. Dans l’échec patent de ce mariage autrefois annoncé, celui de la droite zemmour et d’un front mariniste, les torts sont sans doute à trouver des deux côtés. Marine Le Pen pense que sa stratégie ni-droite ni-gauche, souverno-chevenementiste, est la meilleure qui soit, et que ces hurluberlus de droite sont tous des traitres en puissance obsédés par le mariage pour tous et leur compte en banque. Les droitards pensent que Marine Le Pen est désormais sous la coupe d’un énarque de gauche qui, avec ses petits copains, se moque des valeurs et des traditions pour ne privilégier qu’une stratégie anti-européenne aux allures dogmatiques. Autrement dit, la mésentente est consommée, les caricatures sont partout, le mariage n’eut pas lieu et n’est, pour le moment, même pas remis à une date ultérieure.
Mariage de raison
La modernité transpire décidemment par tous les pores de la peau politique, car si mariage d’amour il ne peut y avoir entre cette droite et le Front National, la tradition eut poussé, au moins, à un mariage de raison. Les deux auraient en effet tout à y gagner. Si ce mariage avait eu lieu, la droite se serait trouvée un leader charismatique en la personne de Marine Le Pen, ce qu’elle n’a pas. Elle y aurait trouvé aussi l’électorat populaire qui, additionné à l’électorat petit-bourgeois/classe moyenne (à qui cette droite parle très bien), peuvent seuls dépasser les 50% que l’élection demande. Le FN, lui, aurait trouvé une crédibilité, des cadres, de l’argent et des relais médiatiques. Et peut-être, aussi, un peu d’intelligence. En effet, qu’on le veuille ou non, si le peuple français n’est peut-être ni de droite ni de gauche comme les pensent les chefs frontistes, les cadres, eux, le sont. En France, il existe des cadres de gauche et des cadres de droite. Marqués. Le cadre chevènementiste et exclusivement souverainiste, n’existe pas, ou du moins pas encore. C’est la raison pour laquelle autour de Florian Philippot ne virevoltent presque que des jeunes gens à peine sortis du lycée, car ce type de cadres collant au caractère et à la stratégie purement mariniste est peut-être en gestation, mais, je le répète, n’existe pas encore en quantité suffisante. De même pour les intellectuels. On est encore de droite ou de gauche. Ceux, comme Sapir, qui se sont essayés au dépassement des clivages, ont bien vu de quoi il en retournait : partout, ils ont reçu une fin de non-recevoir. On peut le regretter, mais la politique n’est pas faite pour le regrets. Le temps que se forment autour de Marine Le Pen et de Florian Philippot des cadres souveraino-souverainistes, en quantité et en qualité suffisantes, il sera sans doute trop tard pour la France. Il faut, alors, composer le plus possible avec ce que l’on a sous la main.
Âmes en peine
Les conséquences politiques de cette idylle qui n’a jamais eu lieu et qui n’arrivera peut-être jamais (ou arrivera trop tard…), sont désastreuses. Sans cette droite, le Front National reste sous la menace d’un nouveau Sarkozy qui pourrait lui refaire le coup de 2007, c’est à dire savoir parler à ses électeurs sans pour autant mener une politique en ce sens une fois élu. Sans cette droite et sans toutes ses personnes âgées qu’elle rassure, le FN est condamné à réaliser de gros scores mais jamais assez pour triompher. Sans cette droite, le FN ne peut rester qu’à son stade « populiste », entrainant avec lui les mécontents sans pour autant devenir un parti de gouvernement. Sans le FN et sa puissance symbolique et populaire, la droite, elle, est condamnée à ne jamais pouvoir mener une politique véritablement « de droite ». Qu’un Sarkozy revienne et refasse du Buisson, qu’un Fillon continue sur son chemin droitier ou qu’un Wauquier émerge : celui-ci pourra gagner une élection, mais sans le Front, il partira nécessairement avec tout son lot de centristes, de radicaux, de simili-socialistes, d’orléanistes type Juppé complétement à côté de la plaque. Une fois au pouvoir, il devra composer avec cette aile là, ô combien influente. En somme, il devra (sauf coup à la Poutine…) trahir à nouveau ses électeurs. Pour résumer briévement : le FN a besoin de la droite pour prendre le pouvoir, et la droite a besoin du FN pour l'exercer. Voilà le tragique destin de la vie politique française : un électorat entier et majoritaire qui aime la France pourrait s’unir mais se trouve divisé en deux. Séparés, la droite et le FN échoueront chacun dans leur genre, et le jour où une nouvelle génération comprendra enfin l’intérêt d’un rapprochement, il sera peut-être trop tard pour la France.
On verra à Béziers
J’irai voir cette droite à Béziers. Dans le spectre politique, c’est sans doute d’elle que je me sens le plus proche. Pour autant, je n’ai pas d’illusion et je connais bien ses défauts. J’ai besoin d’aller voir pour essayer de sentir si cette agitation droitière, en ce moment remarquable, n’est que le symptôme de soubresauts poussifs ou, au contraire, l’annonce d’une force en train de naître. N’y verrai-je que des bourgeois de droite tout contents de se retrouver pour parler de leurs « valeurs » entre eux, les gants blancs sans mains à l’intérieur ? Ou y verrai-je des gens véritablement disposés à s’engager pour ce qu’il reste du pays, en y mettant les moyens, la force et l’envie ? Sans doute y verrai-je un peu des deux. Charge aux meilleurs d’entre nous de séparer le bon grain de l’ivraie. Je rendrai compte, quoiqu’il en soit, de ce que je verrai et ressentirai.
J’irai donc à Béziers. Sans illusions sans doute, mais avec tout de même un peu d’espoir.
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