Par François Stecher, correspondant en Allemagne de Polémia ♦ Deux semaines après une élection au Bundestag que tous les observateurs lucides s’accordent désormais à considérer comme un échec personnel pour la chancelière, et alors que les négociations en vue de la formation du futur gouvernement n’ont même pas encore débuté avec les partenaires de coalition envisagés, Frau Merkel et son parti ont à nouveau vécu une éprouvante fin de semaine. Les médias français, tout à leur « macronphilie », ont traité cette question avec leur superficialité habituelle, accaparés qu’ils étaient par la première intervention télévisée du jovial occupant de l’Élysée. Dans cette Lettre d’Allemagne notre correspondant François Stecher fait le point pour Polémia.
Certes, Angela était parvenue, après une négociation étonnamment brève – cela seul suffit à laisser flairer le loup, à conclure un accord avec le matamore Horst Seehofer, patron de la CSU bavaroise, sur la fameuse « Obergrenze » à 200.000 « réfugiés » par an. Cet accord, qui n’a pas manqué de provoquer les protestations indignées des Écologistes (die Grünen) comme des Libéraux (FDP) – est-ce seulement une protestation sincère, ou bien une contribution à la farce qui se joue actuellement ? –, c’est-à-dire les partenaires envisagés de la coalition « Jamaïque », ne fixe en réalité qu’un objectif souhaitable, réaffirmant la volonté allemande de respecter scrupuleusement ses obligations internationales – Convention de Genève sur le droit d’asile – comme ses propres dispositions nationales. Lorsqu’on sait que seules 44% des demandes de droit d’asile sont acceptées – tous les migrants n’en déposent pas, tant s’en faut – et que seul un nombre infinitésimal des déboutés est effectivement reconduit à la frontière, on comprend que la manœuvre n’ait pas vraiment convaincu.
Elections en Basse Saxe : « La question des réfugiés écrase tout le reste »
Jusqu’à dimanche dernier, 15 octobre, Angela pouvait encore caresser le très mince espoir d’une « Große Koalition » avec les sociaux-démocrates. Las, la SPD est sortie grand vainqueur de l’élection au Landtag de Basse-Saxe : tous y voient, à juste titre, la confirmation qu’une cure d’opposition est absolument nécessaire au parti. Les quelques voix, ultra-minoritaires, qui pouvaient encore tenter d’en appeler au bien du pays, se sont tues, irrémédiablement. Le piquant, dans cette affaire, est que la SPD n’est pas pour autant sortie renforcée de cette élection. Il faut rappeler ici que celle-ci devait avoir lieu début 2018. Elle fut provoquée, de manière anticipée, par la démission de son groupe politique d’un député écologiste, Elke Twesten, qui rejoignit la CDU en août dernier, faisant ainsi perdre sa majorité absolue à la coalition Rot-Grün (SPD-Ecologistes) aux affaires en Basse-Saxe. Au sortir de l’élection de dimanche, il fallut déchanter : à cause de l’effondrement des Verts, la coalition Rot-Grün manquait la majorité absolue de deux voix et ne pouvait être reconduite. La FDP affirmant aussitôt son refus catégorique de s’associer à la SPD dans le cadre d’une « Ampelkoalition » (vert-jaune-rouge ; c’est la position constante de la FDP depuis plusieurs années), il reste au patron de la SPD bas-saxonne le choix peu plaisant de… la « Große Koalition » – certes en position de partenaire majeur.
La CDU de Basse-Saxe, sortie affaiblie de l’élection, ne remercie ni la transfuge – elle a fait une apparition très brève et très discrète à la réception électorale du dimanche soir, mais a préféré disparaître, à cause des amabilités dont elle était l’objet – ni la chancelière, tant il est clair pour tous qu’au-delà du succès modéré remporté par l’AfD, c’est bien l’ombre néfaste du « Wir schaffen das » qui s’est étendue sur la campagne. Comme l’a répété hier soir avec véhémence l’ancien patron de la CSU, Edmund Stoiber, lors d’une émission de télévision, « La question des réfugiés écrase tout le reste » (« Die Flüchtlingsfrage erschlägt alles »).
L’onde de choc des élections autrichiennes
Comme si cela n’était déjà pas suffisamment compliqué en « Allemagne de l’intérieur », voici que les Allemands du Sud ont été pris, ce même funeste dimanche, de l’envie d’envoyer à la chancellerie viennoise un blanc-bec de 31 ans, qui renvoie le fringant de l’Élysée au placard des antiquités. Ce jeune homme pressé n’en est pas pour autant un novice en politique. Il s’y est même fait un nom comme ministre des Affaires étrangères, un nom qui gratte sérieusement à Berlin : il est celui qui a fermé la route des Balkans. « Wir schaffen das », il peut le dire tout autant que la chancelière. La différence, essentielle, c’est qu’il en a obtenu la confiance d’une majorité – certes relative – d’Autrichiens, alors que son parti en était réduit, depuis si longtemps, à jouer les seconds rôles. Mieux : la sympathie dont il jouit au sein du FPÖ, autre grand vainqueur de l’élection au Bundesrat de ce dimanche, laisse espérer la formation rapide d’une coalition de gouvernement, sur la base d’un accord qui devrait déplaire autant à Berlin qu’à Paris ou Bruxelles.
Les médias germanophones bruissent déjà de rumeurs sur la volonté du futur chancelier de rejoindre le groupe de Višegrad – voire de son ambition d’en prendre la tête. Quel impact, me dira-t-on, sur le grand voisin du Nord ? Ecoutons la principale intéressée : « Le résultat de l’élection [en Autriche] ne signifie pas que les problèmes sont déjà réglés » ou encore « Je ne trouve pas que l’actuelle configuration politique soit un exemple à suivre pour l’Allemagne ». La dame a vu le danger. Il est jeune, il est charismatique, il a redonné vie à une formation politique dont rien ne semblait pouvoir enrayer le déclin, et, surtout, il tient compte des attentes des petits et des humbles. Et de ce côté-ci des Alpes, c’est une petite musique qui n’a pas tardé à se faire entendre : « Tu felix Austria ». Et pourquoi pas nous aussi ?
Merkel est entrée en agonie politique
Les seules options qui restent désormais à la chancelière [NdA : voir ma précédente « Lettre d’Allemagne »] sont donc la coalition « Jamaïque », dont les chances n’ont pas favorablement évolué depuis deux semaines : conflit sur les réfugiés, refus de Lindner (FDP) d’accepter un ministre de l’Économie issu des rangs de la CDU, le même déclarant que l’Allemagne n’est pas actuellement en mesure de prendre des décisions – au moment-même où des négociations importantes s’ouvrent à Bruxelles, négociations auxquelles le patron de la chancellerie Peter Altmeier (CDU) doit précisément représenter l’Allemagne en remplacement de Wolfgang Schäuble – et accusant Merkel de vouloir hâter certaines décisions européennes dans le dos de ses futurs partenaires de coalition… ou de nouvelles élections, dont la probabilité se renforce chaque jour.
Mais c’est bien la chancelière elle-même qui sort une nouvelle fois affaiblie de cette conjonction électorale germanique. Il serait raisonnable qu’à Paris on modère l’emphase des discours et que l’on tempère les espoirs européo-bruxellois : quoi qu’en ait le valet de monsieur Schäuble, la Kaiserin, à Berlin, est politiquement entrée en agonie – et elle est sans descendance politique, ce dont elle a pris soin, tandis que la vieille capitale des Habsbourg resplendit d’un éclat nouveau.
François Stecher 17/10/2017
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