lundi 5 novembre 2018

Le point Godwin du président Macron

6a00d8341c715453ef022ad3bd774e200b-320wi.jpgDans un entretien, publié le 1er novembre par Ouest France, le chef de l'État a cru pouvoir exhiber ce qui lui tient lieu de culture historique. Et il n'a pas manqué l'occasion qui lui était offerte de déclarer : "Je suis frappé par la ressemblance entre le moment que nous vivons et celui de l'entre-deux-guerres".
Il ne suffit pas de convoquer le passé pour construire l'avenir. Encore faut-il ne pas laisser de côté l'essence même de l'Histoire, tissée de conquêtes.
D'un tel point de vue, toutes les périodes se ressemblent en ce sens que les États prédateurs s'emparent trop souvent, surtout par la force, parfois par la séduction hypnotique, de peuples proies. On pourrait donc, sans craindre, à ce stade, le ridicule, jouer à la comparaison de notre temps avec celui des fameux dictateurs de XXe siècle. Ils étaient issus de la décennie 1920, celle de Lénine, Mussolini, de Primo de Rivera, Kémal, Horthy, Salazar etc. plus encore que de sa suivante.
On ne saurait donc trop conseiller au jeune Macron, puisqu'il n'en finit pas de repasser un grand oral, la lecture d'un petit livre de Paul Valéry. Ce recueil a été publié, sous le titre de Regards sur le monde actuel, précisément à l'époque à laquelle notre faux-lettré prétend faire référence. Poète, l'auteur s'était senti fasciné en 1920 par "la mer toujours recommencée"[1]. Essayiste, il conviendra prosaïquement en 1931 que "l'histoire justifie ce que l'on veut, n'enseigne rigoureusement rien, car elle contient des exemples de tout et donne des exemples de tout".

On sait que la loi de Mike Godwin conduit au point du même nom. Elle applique en effet le principe selon lequel "plus une discussion se développe, plus il est probable qu'elle aboutisse à évoquer Hitler." Apparu en 1979, le premier réseau de forum Usenet a ouvert la voie à ces mécanismes de discussion automatique des internautes. Depuis lors la toile a donné la parole à n'importe qui pour dire, de façon anonyme, n'importe quoi, sur une échelle qui relègue au rayon du bricolage l'invention de l'imprimerie par Gutenberg. Tout le monde se croyant désormais autorisé à donner son avis sur tout, et à dévier les débats, sans se voir rappeler à l'ordre, certains pourraient se résoudre à subir ce grave et significatif déclin de la raison.
À partir de 1990, cependant, certaines personnes sensées ont commencé à se reconnaître et à faire face au phénomène, en attribuant des points dits Godwin. Ceci intervient lorsque la fameuse loi se confirme au cours d'une discussion. Et bénéficie, dès lors, de cette attribution, celui qui vient de se discréditer en s'éloignant du sujet d'origine. Depuis les années 2000 s'est introduit, chez les meilleurs, l'usage bienséant de ne pas en rester au virtuel. On commence ainsi à donner un véritable mauvais point, matérialisé à la manière, inversée, des images pieuses que les enfants sages recevaient autrefois quand ils avaient bien appris leur catéchisme.
L'espoir qui inspire les déclarations présidentielles tendrait redresser une popularité plus que déclinante. Tel un habile joueur de bridge qui "squeeze" ses adversaires, c'est-à-dire qui les force à jouer contre leur intérêt, le chef actuel de l'État s'emploie donc à forcer le vote futur des électeurs. La manœuvre binaire se présente plus grossière encore que celle de 2017. "Moi ou le chaos" suggérait le fondateur de la cinquième république. S'adressant à un peuple qu'il pense effrayer, Jupiter Macronien leur dit aujourd'hui :"moi ou le croque-mitaine". Il conçoit ainsi son invocation historique comme lui conférant un sordide avantage stratégique. La rhétorique vise les méchants du film, ceux auxquels personne ne souhaite être identifié, les super méchants. Pas besoin, j'imagine, de vous faire un dessin pour savoir qui se cache derrière le masque du populiste Zorro.
Tel a toujours caractérisé le recours argumentaire que stigmatise l'attribution d'un point Godwyn.
JG Malliarakis  
Apostilles
[1] cf. Le cimetière marin. (…) La mer, la mer, toujours recommencée !/Ô récompense après une pensée / Qu’un long regard sur le calme des dieux !

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