Une farce ?
PRESENT – Correspondant permanent aux Etats-Unis. – Les Palestiniens sont invités à accepter une souveraineté toute symbolique sur un Etat fantôme et à faire leur deuil de toute revendication territoriale où les Israéliens se trouvent solidement établis. Les éventuelles colonies juives encore en gestation ne seront pas l’objet de négociations, pas plus que le statut de Jérusalem ne sera discuté puisque l’ambassade américaine y a été déjà solennellement installée. Si d’aventure les Palestiniens se montrent déçus par le découpage d’une terre qui, en d’autres temps, fut la leur, on les incite à considérer avec sérieux les 50 milliards de dollars offerts par les monarchies pétrolières comme lot de consolation. Voilà ce que le président Donald Trump, avec à ses côtés Benjamin Netanyahu, Premier ministre israélien, a appelé dans les salons de la Maison-Blanche « l’accord du siècle pour la paix au Moyen-Orient ».
Quelle sorte d’accord pour quel type de paix ? Le document officiel de 180 pages ne le dit pas. Qu’importe aux deux compères qui avaient surtout besoin d’un effet d’annonce, de gesticulations théâtrales. Ce vieux conflit usé jusqu’à la corde leur servit de diversion à un moment périlleux de leur carrière politique. L’instinct et le calcul les ont réunis à Washington car, curieusement, les obstacles auxquels ils font face sont communs. Trump n’a pas le droit à l’erreur dans son procès devant le Sénat et Netanyahu est guetté par une inculpation pour corruption. L’un et l’autre doivent assumer des échéances électorales – Trump en novembre, Netanyahu en mars – qui exigent de leur part une opération psychologique. Enfin, nous sommes en présence de deux pragmatiques, deux froids manœuvriers pour qui seuls comptent les réalités du terrain et les avantages que l’on peut en retirer. Trump se pose en ficeleur d’un accord jugé impossible. Et Netanyahu se prend pour l’homme qui a fait plier l’Amérique.
Les ambassadeurs des Emirats arabes unis, de Bahreïn et d’Oman jouèrent les figurants – à noter l’absence de celui d’Arabie Saoudite – tandis que parmi les parlementaires présents, républicains et démocrates confondus, plus d’un a dû se demander à quelle mascarade exactement il avait été convié. Cet accord n’est qu’un vaste bluff et la paix qu’il annonce reste un mythe. L’événement médiatisé ressemble à un bulldozer qui écrase de son puissant mépris des décennies d’efforts diplomatiques, des marathons de patientes discussions. Les accords d’Oslo en 1993, le sommet de Camp David en 2000 volent en éclats qui retombent sur des promesses trahies, des illusions perdues, une plaie plus béante que jamais autour de laquelle Netanyahu clame son enthousiasme pour un plan sur mesure et Trump sa confiance dans une économie surestimée. Chaque personnage a bien tenu son rôle dans une pièce en duo sans histoire, sans metteur en scène et sans spectateurs. Rien qu’une immense affiche et rien derrière.
Christian Daisug
Ou une perspective ?
De notre correspondante à Beyrouth. – Inespéré ou au contraire injuste ? Ou les deux ? S’il est vrai que le plan de paix proposé mercredi conjointement par Donald Trump et Benjamin Netanyahu donne une occasion historique à Israël d’étendre sa souveraineté nationale à l’ensemble des colonies juives de Cisjordanie, clause jamais apparue auparavant dans les plans précédents, il offre également, et pour la première fois, la reconnaissance par l’administration Trump du droit des Palestiniens à fonder un Etat en bonne et due forme avec sa capitale à Jérusalem-Est, avec en prime la promesse d’une assistance économique de développement s’élevant à 50 milliards de dollars en cas d’accord formel. Le plan reconnaît un Etat palestinien et implique que la solution de deux Etats est la meilleure qui soit.
C’est la première fois que l’administration Trump mentionne ainsi clairement le droit des Palestiniens à l’autodétermination. Toutefois, des conditions préalables sont exigées, à savoir la reconnaissance d’Israël comme un Etat juif à part entière, la condamnation de toute forme de terrorisme et l’arrêt du versement de fonds de soutien aux Palestiniens détenus pour terrorisme dans des prisons israéliennes. De plus, les incitations à la haine d’Israël et des juifs devront être supprimées des manuels scolaires. L’Etat palestinien devra être démilitarisé, disposant seulement de forces de sécurité intérieure, la protection de ses frontières, de son espace aérien et de ses eaux territoriales étant à la charge de l’armée israélienne. Une majorité de Palestiniens considèrent cette exigence comme une extension de l’« occupation » sioniste et estiment que l’établissement de leur Etat devrait se faire immédiatement, sans conditions préalables.
Par ailleurs, ils avaient déjà rejeté à maintes reprises toute reconnaissance d’un Etat dit spécifiquement juif, craignant que les citoyens arabes de cet Etat ne soient réduits de facto à un statut de citoyens de seconde zone dans un régime d’apartheid.
Du côté israélien, une bonne partie de la droite et de l’extrême droite est vigoureusement opposée à la création d’un Etat palestinien, arguant du fait qu’un tel Etat ne pourrait que devenir un Etat failli supplémentaire au Proche-Orient, contrôlé par des groupes islamistes radicaux comme le Hamas dans la bande de Gaza.
Frontières, enclaves… et mainmise
Quant aux frontières de cette Palestine, contrairement au plan Obama qui se référait aux frontières antérieures à la guerre des Six Jours avec l’assurance d’avoir Jérusalem-Est pour capitale, le plan Trump affirme qu’Israël « n’est pas légalement obligé d’assurer 100 % du territoire antérieur à 1967 mais qu’un compromis juste exigerait toutefois de leur assurer un territoire comparable à celui de la Cisjordanie et de Gaza d’avant 1967 », et offre pour capitale une enclave symbolique dans Jérusalem-Est. En clair, Trump propose aux Palestiniens, outre Gaza, 70 % des territoires occupés de Cisjordanie (zone C), 30 % restant sous contrôle israélien, les colonies existantes demeurant israéliennes mais toute expansion future étant interdite.
Concernant la vieille ville de Jérusalem et le mont du Temple, les plans précédents s’étaient orientés vers la reconnaissance d’un statut international afin de préserver respectivement le lieu le plus saint du judaïsme et le troisième lieu saint de l’islam. Le plan Trump place les deux zones géographiques sous contrôle israélien, le mont du Temple demeurant géré par le Waqf islamique (donation faite par un ou plusieurs particuliers à une œuvre pieuse, et ce à perpétuité ; le bien devient juridiquement inaliénable) mais devenant physiquement accessible aux juifs qui pourront également y prier, alors que ce lieu est jusqu’à ce jour formellement interdit aux infidèles, à l’instar de La Mecque.
Enfin, une des préoccupations majeures soulevées tant par les Palestiniens que par les Israéliens concerne d’éventuels échanges de territoires et déplacements de populations, le plan Trump précisant que « les échanges de territoires effectués par l’Etat d’Israël pourront concerner des zones non peuplées comme peuplées » et mentionnant un certain nombre de zones géographiques juives de factoqui pourraient être transférées sous contrôle palestinien, notamment la région dite du Triangle et ses 24 villages. De son côté, Netanyahu a promis qu’il n’y aurait pas de déracinement forcé d’Arabes israéliens, sans préciser si ces derniers seront rattachés à un éventuel Etat palestinien.
Le chemin est abrupt mais se pencher sans naïveté ni parti pris sur la question d’une paix durable au Proche-Orient pourrait s’avérer la meilleure façon de contrer les terrorismes de tous bords.
Sophie Akl-Chedid
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