François Patrick Lusinci
Avec Courage ! (La Nouvelle Librairie Éditions, 12 €), François Bousquet signe un livre de combat qui, au-delà de la notion de courage, nous appelle en première ligne. Nous avons posé quelques questions à l'auteur de ce manifeste revigorant.
Le constat est sévère mais juste. Vous prenez exemple sur Homère (« le premier mot de l'Europe », le début de notre épopée) et la Grèce antique qui ont valeur d'exemple pour nous aujourd'hui. Vous précisez que « le courage est partout dans la société grecque comme le confort est partout dans la nôtre »...
La Grèce se caractérise par son aptitude à transformer en logos, autrement dit en discours, le réel, à travers non pas seulement la raison, à l'instar de Socrate, mais aussi du mythe, comme les présocratiques (car il y a une raison du mythe), dans un élan unique de clarification et de verbalisation du monde. Ce geste inaugural, la Grèce l'a accompli en amont de son histoire, dans les deux poèmes homériques qui ont fixé les traits du courage, indifféremment physique et civique, parce qu'indivisible. L'Iliade et l'Odyssée constituent des exempta, comme les « vies » de Plutarque ou le théâtre de Corneille, qui nous font tant défaut aujourd'hui. Peut-être est-ce là la fatalité propre aux sociétés d'abondance, de longévité et de confort qui les conduit à produire de tout en excédent, sauf de la bravoure. Quand plus personne ne risque rien, plus personne ne prend de risques.
Le capitalisme mondialisé qui est le nôtre hélas ne portait-il pas dans son essence même la mort du courage et du héros. L'auteur du « laisser faire laissez passer », Adam Smith, ne s'était-il pas réjoui, vous le rappelez dans votre livre, en écrivant : « L'esprit héroïque est presque totalement éliminé. »
La lâcheté est de toutes les époques, mais aucune jusque-là ne l'avait érigée en impératif catégorique et idéal clinique. Ce qui n'exclut pas les manifestations de courage, loin de là, mais elles sont vouées à entrer en opposition avec la philosophie du libéralisme, de l'individualisme et de l'utilitarisme dont les présupposées reposent sur la recherche inconditionnelle du seul intérêt. Le courage, qui était jadis la vertu suprême, apparaît ainsi comme une infirmité mentale, socialement inutile, sinon même contre-productive, puisqu'il ne relève pas de la théorie du choix rationnel qui postule la recherche du plus grand bénéfice au moindre coût par tous les agents économiques. Au contraire, il s'en remet à la loi de la dépense somptuaire, pour parler comme Georges Bataille dans La Part maudite. Il est flamboyant, il dépense sans compter, il maintient les sociétés à un certain niveau d'exigence et de hauteur sans quoi elles se transforment en ruches avides et égoïstes telles que décrites dans la sinistre Fable des abeilles de Mandeville. Pour se faire une idée du changement de paradigme induit par le capitalisme, il suffit de relire les sept péchés capitaux à l'aune de la philosophie libérale : ce ne sont plus des péchés capitaux, mais les vertus mêmes du Capital.
Il y a une partie très intéressante qui s'adresse à nous. Vous dénoncez à raison la trouille, l'autocensure, le manque d'intransigeance et l'acceptation des règles posées par le Système... J'ajouterais aussi que 99% des nôtres arrêtent tout effort militant dès le premier travail ou enfant arrivés... Je mettrais juste un bémol (qui repose sur mes 33 ans de militantisme) : quand vous exercez certains métiers, il faut bien entendu militer et s'afficher, mais savoir aussi où s'arrêter pour ne pas prendre la porte et continuer à faire vivre sa famille. On peut se carboniser et ne jamais avoir de promotion, cela nous l'acceptons, mais aussi éviter de finir au RSA ou sous un pont (où l'on sera encore moins utile). C'est une question d'équilibre et ça n'empêche pas d'être très actif et efficace...
Vous avez raison : objection retenue. Le mieux est l'ennemi du bien. Il y a en outre des situations où il est plus avisé d'avancer masqué, ou, comme disent les Chinois, de se cacher dans la lumière. Je m'adressais en fait aux aveugles, aux indifférents, aux démissionnaires, aux abstentionnistes, à ceux qui ne défilent pas, mais se défilent, à ceux qui s'imaginent pouvoir faire leur salut tout seul, qui enragent contre les conséquences sans concevoir qu'elles sont le résultat de leur apathie, à l'armée en déroute des gémissants qui nous expliquent que tout va de mal en pis, que tout est foutu, raison pour laquelle, on s'en doute, ils ne foutent rien. Tout, sauf ces déplorations de vaincu, cette attente paresseuse de la fin du monde - quand bien même elle devrait advenir pour nous identitaires.
Vous dites que nos idées sont devenues majoritaires dans ce pays. Alors pourquoi Macron a-t-il été élu à 66 % il y a deux ans ? Vous dites aussi à raison que nous péchons à nous faire entendre. Quelles pistes privilégiez-vous pour y remédier ?
C'est le paradoxe souligné par le baromètre annuel d'image du Rassemblement national réalisé par l'institut Kantar Sofres-onepoint Deux tiers des Français plébiscitent les idées du RN, mais deux tiers, pour partie les mêmes, rejettent la marque FN/RN. Ce qui démontre que l'infréquentabilité des Le Pen est relative, puisqu'elle affecte leur personne sans écorner leur doctrine. Les gens ne veulent pas du médium, mais adhèrent au message. Les choses changeront peut-être en 2022. D'ici là et ne me présentant pas devant les Français, je suis obligé de me cantonner à ce que je sais faire : le combat culturel. L'idée de ce manuel repose sur la conviction que nous ne sommes pas en mesure d'affronter notre adversaire sur le terrain de la guerre culturelle, au sens conventionnel du terme, eu égard à la faiblesse de nos moyens. Si jamais nous nous aventurions à le défier frontalement, nous serions balayés. Le rapport de force joue en notre défaveur. Tout, sauf l'affrontement direct. Notre modèle stratégique doit être plutôt la guerre asymétrique, la guérilla, du faible au fort C'est le seul moyen de corriger le déséquilibre des forces. L'asymétrie est un conflit pour la légitimité puisqu'on ne reconnaît pas les lois tacites de l'adversaire. On lui dénie toute légitimité, suivant en cela la stratégie de rupture de Jacques Vergés. L'objectif, c'est de substituer notre système de valeurs au sien, en déplaçant le théâtre des opérations sur un terrain qui nous est plus favorable.
Réfléchir&Agir N°64 Hiver 2020
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