Pierre-Yves Rougeyron, fondateur du Cercle Aristote, est l’un des meilleurs connaisseurs actuels de la géopolitique française. Son Enquête sur la loi du 3 janvier de 1973 est capitale pour comprendre comment l’origine de la crise économique actuelle est monétaire, c’est à dire structurelle. Il nous explique ici ce qui peut se passer après la fin de ce que l’on appellera la mondialisation américaine.
Propos recueillis par l’abbé G. de Tanoüarn
Qu'est-ce que la mondialisation que nous sommes en train de vivre recèle de nouveau ?
Contrairement aux grands mouvements qui l'ont précédée, qui avait toute l'anarchie des commencements, la phase actuelle de la mondialisation est très organisée par une planification américaine. Exemple le transfert d'usines n'a pas eu heu dans les années 60, il était interdit. L'État national avait alors pouvoir sur la vie économique. Ce qui manquait ? Un dessein politique, une organisation et une idéologie. L'idéologie cosmopolite existait dans l'Antiquité mais elle ne concernait qu'une petite élite culturelle.
Ce qui caractérise la mondialisation d'aujourd'hui, c'est que l'idéologie anticipe sur la réalité. Elle la structure. En France, le patronat français dans les années 80 répète la formule de Rothschild - « Le verrou qui doit sauter est la nation ». À l'époque de De Gaulle, déjà, Ambroise Roux tenait ce discours, en provenance des États-Unis, qui sera aussi celui d'un Jean-Jacques Servan-Schreiber par exemple. Les États-Unis, quant à eux, reprennent à leur compte la théorie de l'impérialisme anglais, développée par Ricardo. Quand on est fort technologiquement, le libéralisme est une arme qui coûte beaucoup moins cher que l'occupation militaire bêtement coloniale. Les Américains, dans leur dessein hégémonique mondial, se sont servis des innovations techniques de la fin de la guerre l'aviation, le container, l'intranet militaire qui deviendra Internet, en faisant sauter un à un les verrous des États récalcitrants. Ils ont ainsi organisé, planifié, une mondialisation à leur profit. Le discours de l'américanisme tient dans la petite phrase de Mickey Mouse : It’s a small world. Si le monde est petit, les nations sont minuscules et donc rétrogrades. Le temps des nations est terminé, exception faite de la nation américaine.
Que reste-t-il de cette idéologie impérialiste ?
Cette politique globale est morte dans son cœur même, aux États-Unis. Lorsque Trump prononce le fameux slogan qui résume son mandat présidentiel : America first, lorsque Boris Johnson articule son Global Britain (la Grande Bretagne par et pour le monde), l'un et l'autre affirment leur intention qui est de redonner vie à leur nation, face à un monde divers et incertain, où les pays émergents, la Chine, la Russie, la Corée du sud manifestent eux aussi une politique nationale. Et au milieu de ce grand branle-bas international, il n'y a pas de politique de la France. Notre pays ne pense qu'à coller à la dernière grande Institution née de la Guerre froide : l'Union européenne.
Vous pensez que l'Union européenne fait partie du vieux monde ?
L'Union européenne est une idée américaine des années 20, qui a des agents à la SDN avant la Guerre, comme Jean Monnet on sait cela, on connaît sa trahison de manière certaine maintenant que les Américains ont déclassifié les archives le concernant. Aujourd'hui, à travers des auteurs comme Douglas North dans La grande dissimulation ou à La Sorbonne Christophe Réveillard, on sait comment ce sont les Américains qui ont structuré l'européisme dominant. L'Union européenne est l'un des grands projets de la mondialisation à l'américaine, avec le FMI, la Banque mondiale, la BRI, l'OMC (issue du GATT) et le pendant militaire de toutes ces organisations qui est l'OTAN. Tout ce mondialisme américano-centre a pris un coup définitif. Ces institutions apparaissent de plus en plus comme ce qu'elles sont en réalité des coquilles vides. L'agressivité utilitaire des États-Unis s'explique parce que leur Empire « colonial » vacille.
Boris Johnson a lancé le slogan Global Britain. Mais comment voyez-vous la France globale ? Quels arguments nous reste-t-il ?
L'avenir de l'Europe n'est pas cette Union Européenne à laquelle nous autres Français, nous voudrions tout donner, nos entreprises, nos capacités diplomatiques et stratégiques, notre argent. Il faut nous ressaisir comme république française. Il nous faut mener une géopolitique française. Nous sommes une république maritime, le deuxième espace maritime du monde, nous avons accès au Pacifique par nos propres terres. Nous sommes le cœur de la francophonie à l'heure où le français va être parlé par un milliard de personnes. Nous sommes un pays méditerranéen, potentiellement capable de construire une Union méditerranéenne, comme Sarkozy en avait eu la velléité avant que Madame Merkel ne lui dise Nein. Nous sommes un pays atlantique les États-Unis aujourd'hui cherchent des alliés, capables de les soutenir, ils n'ont plus besoin de caniches. Nous sommes un pays eurasien, beaucoup plus regardé et attendu en Chine que nous ne l'imaginons depuis Paris. Xi Jin Ping a été très choqué récemment qu'Emmanuel Macron ait ironisé parce que lui, président de la Chine, faisait donner une éducation française à ses enfants. La France représente pour les Chinois une alternative occidentale au modèle anglo-saxon. Enfin nous sommes un pays latin et il y a aujourd'hui 700 minions de Latin, souvent d'une francophilie magnifique. Il faut seulement que nous acceptions d'être nous-mêmes, dans un monde où la mondialisation américaine a vécu et qui est définitivement poly-centré.
Monde&Vie 31 mars 2020 n°984
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