La propagande révolutionnaire a fait des lettres de cachet un symbole de l'arbitraire royal. Un livre revient sur cette légende noire.
Symbole de l'absolutisme, les lettres de cachet ont disparu au moment de la révolution française. Pourtant, celui qui consulte les sources de l'époque est étonné de la quasi-absence du roi dans la signature de ces fameuses lettres qui vous embastillaient pour une durée généralement indéterminée… Certes, les cas de Fouquet ou de Condé sont bien connus, mais après ? L'historien Claude Quétel, pourfendeur de la fausse légende de la Bastille, s'attaque ici à un autre mythe révolutionnaire, celui de ces lettres considérées longtemps comme un « instrument de répression aveugle et totalement injuste ». Dans une étude passionnante aux accents d'enquête policière, l'auteur nous invite à lever le voile sur cette légende noire, en nous faisant découvrir tous les aspects de cette procédure « judiciaire » propre à la monarchie française des temps modernes.
Apparues au XVIe siècle, les lettres cachetées signifiaient de manière générale « la volonté personnelle et immédiate du souverain dans l’exercice normal et quotidien de son pouvoir ». Leur objet n'était pas obligatoirement répressif, car il visait soit à convoquer un individu, soit à donner une simple instruction, ou bien à ordonner un Te Deum… Ce n'est qu'avec le temps que la lettre va prendre un caractère répressif. En effet, la généralisation de la procédure va de pair avec la croissance d'une administration qui se centralise doucement. Car le pouvoir, depuis Richelieu et son organisation des intendants de police, de justice et de finances, « acquiert enfin les moyens de diffusion et d'exécution des ordres ».
Il vaut mieux « De par le Roy » qu'une procédure judiciaire
Quel était l’avantage du procédé ? L’ordre était donné « De par le Roy ». Cela signifiait qu'il ne relevait pas du Conseil, et donc de la Justice, mais bien du pouvoir royal. Etait-ce un avantage ou inconvénient ? À lire Quétel, il valait mieux voir son sort confié à un ordre « De par le Roy » qu’à une procédure judiciaire dépendant des Juges. En quelque sorte, la lettre de cachet était un moyen expéditif destiné avant tout à punir des actions plus ou moins graves la lettre, dit Quétel, « fonctionne comme un éteignoir », en évitant des procès publics coûteux. « Il s agit le plus souvent de prendre la justice de vitesse pour substituer à la répression prévisible une correction par protection du roi […] La correction n est pas une atténuation de la peine afflictive. C'est autre chose. Par sa discrétion la lettre de cachet est moins infamante qu'une peine ».
Pour étayer sa thèse, l'historien s'est plongé dans les sources afin d'évaluer le nombre de victimes. En 120 ans, la Bastille n'a accueilli que 5 729 prisonniers. La Régence a embastillé en moyenne et par année 52 personnes quand Louis XVI s'est contenté d'y en envoyer 20. Et nous savons que le fameux 14 juillet 1789, sept « malheureux » prisonniers furent trouvés et portés en triomphe par une populace avide de sang.
Les statistiques nous enseignent aussi que pour plus des deux tiers des emprisonnés, la durée de détention n’excédait pas six mois… Seuls quelques individus sont restés plus de vingt ans derrière les barreaux de l'ancienne forteresse.
Mais le plus surprenant est le rôle prépondérant des familles dans l'utilisation des lettres de cachet. Ce sont en effet les pères, les mères, parfois les enfants qui, pour éviter le malheur d'une condamnation judiciaire à un membre de leur fratrie, y recourent régulièrement. C'est dire le véritable consensus autour de ce moyen politique, décrit ici par une étude stimulante et étonnante, fourmillants d'anecdotes.
Claude Quétel, Les Lettres de cachet, Une légende noire, Perrin, 372 pages, 22 €.
PROSPECTION
Christophe Mahieu Monde&vie 14 mai 2011 n°843
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