Si la création d'une monnaie européenne sans souveraineté monétaire, fiscale et budgétaire commune fut une erreur, la sortie de l'euro serait à coup sûr un grand saut dans l'inconnu. La diversité des analyses d'économistes patentés, - Jacques Sapir, Frédéric Lordon, Olivier Pastré, Michel Aglietta, Thomas Brand, académiquement irréprochables et expérimentés -, nous a convaincu qu'il n'y a de solution ni claire ni certaine In girum imus nocte et consumimurigni*
L'idée d'une monnaie européenne commune s'est imposée à partir de 1969 afin de parfaire la réalisation d'un marché unique. Au départ, les traités européens ne prévoyaient pas la création d'une telle monnaie. L'instauration d'une union douanière (abolition des tarifs douaniers sur les marchandises) et la mise en œuvre du principe de libre circulation des marchandises rendent bientôt nécessaire la création d'une monnaie commune pour deux raisons. La première est d'éliminer les interférences de la variation des taux changes avec le principe de la libre concurrence dans un marché unique. La seconde est d'émanciper l'Europe économique de la tutelle du dollar, c'est-à-dire des États-Unis.
Plusieurs systèmes se sont succédé, le Serpent monétaire européen (1972-1978), puis le Système monétaire européen (à partir de 1979) mais ils ne donnent pas pleinement satisfaction pour diverses raisons liées à la fin de la convertibilité du dollar en or (à partir de 1971) puis aux deux chocs pétroliers (1973 et 1979). Afin de relancer l'intégration des économies européennes, le plan de Jacques Delors (1985) puis l'Acte unique européen (1986) prévoient l'extension du principe de la libre circulation des marchandises aux personnes, aux capitaux et aux services, extension mise en oeuvre jusqu'en 1992. La création d'une monnaie unique est formellement décidée par le traité de Maastricht car elle permet de développer les échanges intracommunautaires. Elle est une conséquence de l'effet d'entraînement (spill over) de l'intégration économique européenne. Cette monnaie unique devient monnaie exclusive en 1999.
Une Europe politique écartelée
La création de l'euro n'aurait dû être qu'une étape dans la transformation de l'Union économique en Union politique, et conduire les États à créer une union budgétaire permettant de formuler une politique économique européenne. Mais à partir du début des années 90, l'Union européenne se trouve écartelée entre deux exigences contradictoires, celle de l'approfondissement de l'intégration économique qui doit déboucher sur une union politique, et celle de l'élargissement aux États d'Europe centrale et orientale qu'on ne peut ni ne veut laisser en dehors de l'Union des États de l'Europe de l'Ouest. L'idée même d'une Europe à deux vitesses étant, à cette époque, exclue, c'est le compromis et l'équilibre qui sont recherchés.
Salué au début des années 2000 comme une incontestable réussite par certains, l'euro laisse cependant sceptiques un grand nombre d'économistes qui en devinent la faiblesse et doutent de sa viabilité. L'euro est un vecteur d'efficience économique, en ce qu'il rationalise le fonctionnement du marché, un vecteur d'identité politique, en ce qu'il renforce le sentiment d'appartenance des Européens, un vecteur de puissance internationale, en ce qu'il acquiert rapidement le statut de monnaie internationale, mais il repose sur des bases fragiles qui ne peuvent être consolidées que par l'émergence d'une Europe politique, que les élargissements successifs rendent improbable. Les retards pris dans la signature du traité établissant une constitution pour l'Europe aboutiront à privilégier l'élargissement de l'Union, avec l'entrée de sept nouveaux États le 25 avril 2004, au détriment de l'approfondissement, le traité constitutionnel n'étant signé que le 29 octobre 2004. L'inversion des calendriers initialement prévus est révélatrice de l'ordre des priorités, ce que l'on gagne en extension, on le perd en profondeur et en intégration.
À l'origine de la crise
À partir des années 2000 interviennent trois évolutions majeures, qui expliquent en grande partie la crise traversée actuellement par l'Union européenne. En premier lieu, la création de l'union monétaire sans création concomitante d'une union budgétaire et d'une solidarité fiscale permettant de mener une véritable politique économique européenne crée un déséquilibre structurel entre le cœur économique de l'Europe (la banane bleue) et les États du Sud. L'Allemagne en particulier, qui était déjà l'économie dominante, se spécialise dans des secteurs à haute valeur ajoutée et sous-traite dans les États où les salaires sont moindres. Les autres États, l'asymétrie économique de la zone euro.
À suivre
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