Ensuite, l'élargissement de l'Union européenne vers l'Est entraîne un déplacement des aides de la politique régionale du Sud vers l'Est du continent et ces aides restent notoirement insuffisantes en raison de l'absence d'union budgétaire et de la limitation consécutive des politiques économiques européennes. L'Europe centrale et orientale rattrape une petite partie de son retard économique tandis que l'Europe du Sud perd à nouveau du terrain. L'euro renforce la domination structurelle de la zone économique que les géographes appellent la banane bleue.
À partir de 2007 la crise économique mondiale engendre des déficits publics considérables dans les États, mais dans proportions très variables en raison de l'asymétrie de l'économie européenne. La conséquence est que les écarts entre les économies des États s'accentuent davantage et ne peuvent plus être compensés par des politiques nationales de dévaluations monétaires, rendues impossibles dans la zone euro. L'Allemagne, économie dominante, qui a consenti un sacrifice important en abandonnant la monnaie la plus forte de l'Europe avant la création de l'euro, le mark, impose une politique rigoureuse de lutte contre les déficits publics et de réformes structurelles, qui engendrent une augmentation des impôts et une baisse des salaires.
Cette évolution met en évidence la justesse d'une analyse formulée depuis longtemps la zone euro n'est pas une zone monétaire optimale, c'est-à-dire une zone géographique capable de partager une même monnaie. Aucun des trois critères nécessaires à la réalisation d'une zone monétaire optimale n'est satisfait, à savoir la convergence macroéconomique, la mobilité des travailleurs et l'existence d'un budget central. Dans ces conditions, ne pouvant mettre en œuvre de réelles politiques économiques d'investissements ou de solidarité, la zone euro produit des effets délétères sur les économies nationales les moins performantes. La zone euro est en effet une zone économiquement hétérogène, dont l'hétérogénéité est renforcée par le fonctionnement actuel de l'euro et n'est pas compensée par des transferts fiscaux entre États que pourrait seule réaliser une fédération puissante.
Retour aux États ou recours au fédéralisme ?
Les solutions proposées à la crise de l'Euro sont nombreuses et diverses. Elles traduisent l'impuissance et l'incertitude. On a proposé, pêle-mêle, la sortie de l'euro, la recréation de deux zones euro pour le Nord et pour le Sud, le retour à la monnaie commune, la sortie de l'Allemagne de la zone euro (l'État le plus fort), la sortie de la Grèce et du Portugal (les États les plus faibles), la création d'une communauté politique de l'euro, le recours au fédéralisme. Presque toutes les solutions impliquent d'en revenir au principe de la souveraineté monétaire, aujourd'hui neutralisé dans le cadre des institutions existantes. Mais ce retour à la souveraineté monétaire peut se faire selon deux axes diamétralement opposés, le retour aux États ou le recours au fédéralisme. Les solutions proposées peuvent se ramener, nolens volens, à une alternative, la récupération de la souveraineté monétaire par les États ou la création d'une souveraineté monétaire européenne. Dans les deux cas, elles impliquent de rompre avec l'ordo-libéralisme fondateur.
Selon une thèse en vogue, que l'on prête à Jacques Sapir, la France et, d'une manière générale, les États européens, auraient plutôt intérêt à sortir de la zone euro. La position de Jacques Sapir est en réalité beaucoup plus nuancée qu'on ne la résume souvent. S'il envisage la sortie de la France de la zone euro, c'est par défaut d'une autre solution et en précisant que cette solution n'est pas la meilleure possible. Il serait plus avantageux de procéder à une évolution de la zone euro vers le principe d'une monnaie commune mais non unique ou, autre solution, en la fragmentation de l'euro en deux zones, du Sud et du Nord. Mais c'est parce qu'il juge ces solutions optimales irréalistes qu'il se rabat sur un scénario de crise consistant en une sortie unilatérale de l'euro. C'est donc par réalisme, et non par conviction, .qu'il pense que la sortie de l'euro est inéluctable. Il faut anticiper le pire.
Jacques Sapir semble ici rejoindre Joseph Stiglitz et considérer que ceux qui sortiront de la zone euro les premiers s'en tireront le mieux. Après plus de soixante ans d'intégration européenne en vue de créer une « union sans cesse plus étroite entre les peuples européens », cette course dans la débandade serait assurément la marque d'un grand succès ! Il est peu probable que l'Union européenne y survive.
La logique de la sortie de la zone euro
L'un des principaux intérêts de la sortie de l'euro et du retour au franc (à vrai dire, « retour » est une expression courante mais trompeuse car il s'agit bien d'un franc nouveau et non un retour à l'ancien franc de 1999) serait de pouvoir recourir à la dévaluation compétitive qui redonnerait un dynamisme à notre économie nationale. Remarquons, au passage, que si tous les États de la zone euro agissaient de la sorte, les gains espérés parla dévaluation compétitive s'annuleraient, du moins pour la part, majoritaire, du commerce intracommunautaire. La logique de la sortie de la zone euro, qui est une logique du « sauve-qui-peut » implique inévitablement qu'il y ait des gagnants et des perdants. Imaginons en effet que tous les États sortant de la zone euro pratiquent la même dévaluation et connaissent la même inflation, hypothèse évidemment théorique, cela signifie que, pour ce qui concerne ces États considérés du point de vue des échanges qu'ils ont entre eux, l'effet est nul. Pour que l'effet soit bénéfique pour quelques États il faut nécessairement qu'il soit maléfique pour quelques autres.
Un deuxième intérêt de la sortie de l'euro, sur lequel n'insiste pas Jacques Sapir, au contraire de Frédéric Lordon, qui soutient par ailleurs des positions voisines, serait de retrouver une efficience de la souveraineté populaire. Frédéric Lordon se prononce en faveur d'une sortie coordonnée de l'euro et d'un retour à la monnaie commune et aux monnaies nationales. Les États récupéreraient ainsi leur souveraineté monétaire, laquelle est une expression nécessaire de la souveraineté populaire dans une société démocratique. « Sortir de l'euro présent, écrit Frédéric Lordon, est bien moins une affaire de macroéconomie c'en est une, assurément ! que de conformation à l'impératif catégorique de la démocratie qui s'appelle « souveraineté populaire ». Si les conditions de possibilité passionnelles de cette souveraineté populaire à l'échelle supranationale sont encore lointaines, alors le réalisme commande d'en rabattre sur l'« ambition européenne » ce qui ne signifie pas l'abandonner en tout. »
La seule sortie de l'euro n'est pourtant pas la panacée. Elle est nécessaire mais non suffisante et devrait être accompagnée de mise en place d'institutions alternatives à celle du néolibéralisme existant, comme des mesures protectionnistes, une politique de réindustrialisation de la France, une définanciarisation partielle de l'économie française, la mise en place d'un contrôle sur les revenus et les prix visant à orienter l'évolution du partage de la valeur ajoutée. La sortie de l'euro se conçoit dans le cadre général d'un retour à une économie dirigée.
À suivre
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