La mode est aux nouveaux réactionnaires. Faut-il se pâmer devant le courage de ces nouveaux non-conformistes ? Sans doute. Mais quel est leur projet? Eux-même auraient du mal à le dire… Sur quelle réalité concrète peut-on fonder la résistance spirituelle aujourd'hui ? C'est la question que ces intellectuels nous obligent à poser
On demandait à Jacques Lacan, célèbre psychanalyste français : « Qu’est-ce que le principe de réalité ? - Le principe de réalité, c'est quand on se cogne et que ça fait mal ». C'est en ces termes que Laurent Fabius commentait la relative mauvaise prestation de Nicolas Sarkozy, prestation qui n'a jamais été si mauvaise, notons-le bien, que lorsqu'il a été question d'immigration. Il était difficile au président sortant de défendre son bilan. Il s'est heurté au principe de réalité. Va-t-on voir, sous le prochain quinquennat, le retour du refoulé ? Les yeux vont-ils se déciller ? Le réel va-t-il enfin être pris en compte ?
À Paris, les nouveaux réactionnaires, Ivan Rioufol, Elisabeth Lévy, Alain Finkielkraut, Renaud Camus, Richard Millet, Eric Brunet, Eric Zemmour militent, chacun à sa manière, pour que l'on accepte enfin de voir la réalité en face, pour que l'on fasse droit au principe de réalité, qu'une « correctness » éhontée nous interdit de prendre en compte. Les livres se multiplient. Les arguments s'affinent. C'est une nouvelle culture, une véritable contre-culture qui pourrait se faire jour. Chacun de ces auteurs milite pour une redécouverte de l'identité française. Paradoxe qu'indique bien leur fragilité ils en appellent au peuple, mais c'est du fond de la Brasserie Lipp à Saint-Germain-des-Prés.
Dernier exemple en date de ces productions fragiles : le livre d'Elisabeth Lévy, La gauche contre le réel. Le titre est flamboyant. Mais le texte déçoit : la directrice de Causeur règle ses comptes avec ceux qui ont osé s'attaquer au clan des nouveaux réacs. Elle profite du grand ménage pour égratigner au passage quelques-uns de ses proches. Zemmour est ainsi défendu et attaqué tout à la fois. Qu'est-ce que les « nouveaux réactionnaires », quand on lit Elisabeth Lévy ? On sent un sentiment commun. Utilisons le franglais un « feeling », un monde vague d'impressions et de représentations communes. Pas une contre-culture. Pas encore. Elisabeth Lévy pense sous les canons de l'adversaire. Elle ne s'est pas totalement affranchi de l’emprise sur elle des Maîtres censeurs. Elle écrit et on la sent obnubilée par ce qu'« ils » pourraient bien dire contre elle.
Ces nouveaux réactionnaires seront-ils des dandys, juste capables d'articuler face aux maîtres censeurs encore un instant monsieur le bourreau. Laissez-nous encore un instant notre liberté de penser. Seront-ils juste des « indignés de droite » ainsi que feint de le penser, l'espace d'un court chapitre, Ivan Rioufol dans De l'urgence d'être réactionnaire ! Il y a eu la mode des catho-indignés, au début de l’année. Elle a passé aussi vite qu'une mode. S'il faut maintenant supporter les « réac-indignés », en admirant leur courage et leur clairvoyance, alors même qu'ils sont restés bien en deçà de la réalité, se contentant de réagir, c'est-à-dire simplement d'agir en retour ou, plus modestement encore, de parler en retour, à quoi cela sert-il ?
Le communautarisme c'est la guerre
Cela étant dit une bonne fois, à lire complètement Ivan Rioufol, on sent parfois davantage que de l'indignation, un frémissement vrai, une lueur. Réactionnaire, c'est comme indigné : le terme reste limité. On réagit à ce que l'on ressent Mais que propose-t-on ? Dans les colonnes du Figaro pas grand chose. Le Figaro n'est pas là pour ça.
Mais dans son livre, Ivan Rioufol a des instants de vrai courage, que l'on ne trouverait pas sous la plume d'Elisabeth Lévy. Il fait ainsi, droit à la thèse de Renaud Camus sur le grand remplacement de population qui crée dans notre pays de véritables enclaves multiethniques il cite Philippe Nemo sur « la régression intellectuelle de la France » (Philippe Nemo veut parler, sous ce titre, de la Pensée unique et du terrorisme intellectuel des lois Gayssot). Il accepte le terrible désenchantement de Richard Millet, qui a publié voici quelques mois une méditation, par bribes, sur l'évolution ethnique de la France, Fatigue du sens.
Le problème français est-il ethnique ? Certains de ces nouveaux réactionnaires voudraient le dire sans trop oser l'articuler, étant donné la législation en vigueur.
Alors quoi ? Faut-il se contenter de tourner inlassablement autour du pot sans rien apporter au débat ?
Rioufol se fait voler par Mitterrand
A la fin de son livre sur L'urgence d'être réactionnaire, Ivan Rioufol ouvre une piste . « Le nationalisme, c est la guerre, disait François Mitterrand, tirant les leçons des deux guerres mondiales. Le communautarisme, c'est la guerre peut-on soutenir aujourd'hui au regard de l'état du Liban, de l'incertitude européenne et des tensions urbaines ». Et notre auteur ajoute : « C'est pourquoi il appartient aux Français de dire avec qui ils veulent vivre, selon quelles règles et sous quelles conditions ».
On a l'impression à le lire que Rioufol s'est définitivement fait voler le nationalisme par François Mitterrand (partisan pendant la Guerre d'une collaboration avec l'Allemagne). Aujourd'hui, il a raison de le souligner, partout, c'est le communautarisme qui est la guerre. Non seulement au Liban, mais en Libye, en Syrie et en Afghanistan. Et au contraire, c'est le nationalisme qui est la paix. Voilà ce qui manque à bon nombre des nouveaux réactionnaires ! Voilà pourquoi un bon nombre d'entre eux tombent dans l'ethnisme ou imaginent un contrat social sur mesure où l'on pourra « dire avec qui on veut vivre ». La vraie vie ne nous offre jamais une telle opportunité. En revanche, dans la vraie vie, il y a des nations qui, comme disait Jean Paul II à l'Unesco en 1980 sont « les grandes institutrices des peuples ». Ce n'est pas à nous à choisir « avec qui nous voulons vivre ». Il faut réinventer un nouveau pacte social, au sein duquel la nation soit le vrai et le seul creuset du vivre ensemble. Les nouveaux réacs ne le sont pas encore assez pour avoir compris cela.
Elisabeth Lévy, La gauche contre le réel éd. Fayard 2012
Ivan Rioufol, De l’urgence d'être réactionnaire, éd. PUF 2012
Joël Prieur monde & vie 5 mai 2012 n° 859
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