mardi 22 décembre 2020

Les origines de la franc-maçonnerie


Parmi les anniversaires qui marquent l'année 2017, il y a le troisième centenaire de la Maçonnerie Nous avons demandé au Père Michel Viot d'évoquer pour nous les origines de cette institution condamnée par l'Église.

Entretien avec le Père Michel Viot

Nous apprenons que, le 27 février prochain, le président François Hollande va être reçu Rue Cadet par le Grand Orient de France pour célébrer le troisième centenaire de la Franc-maçonnerie. Ce sera la première fois qu'un président de la République en exercice est reçu en loge...

C'est un homme de transgressions, François Hollande. Il joue dans ce registre comme le font des enfants encore potaches pour se démarquer de parents trop bien-pensants. En éprouve-t-il cette joie aussi mauvaise que honteuse, appelée par les Allemands schaden Freude et qui pousse toujours à aller plus loin ? Il a l'air benêt, mas c'est un calculateur ambitieux. Gageons que cette transgression est calculée. En tout cas, elle est double : il y a d'abord le fait d'aller en loge en tant que président en exercice : il y a ensuite le fait de se rendre au Grand Orient, alors que cela ne correspond pas à la Maçonnerie initiale, celle qui a trois cents ans cette année…

Pourtant le Grand-Orient de France est si je ne m'abuse la première obédience française ?

Le Grand Orient de France est effectivement la première obédience régulière française, mais il a été reconnu seulement en 1773, avec à sa tête le Duc de Chartres, le futur Philippe Égalité et comme député grand-maître le Duc de Montmorency-Luxembourg, qui sera l'un des premiers aristocrates à émigrer sous la Révolution. Il y a eu des loges en France bien avant, autour de 1725 de façon sûre et peut-être même avant 1717. En effet, Jacques II, le roi Stuart qui s'était converti au catholicisme en secret, a été déposé du trône d'Angleterre. Il arrive en France, exilé au château de Saint-Germain en Laye dès 1689. Or on sait que les premières loges spéculatives sont stuartistes, d'où ce que l'on appelle du reste le rite écossais. Cette date est souvent revendiquée par chauvinisme, car c'est une occasion pour les Français de montrer aux Anglais qu'il y a eu des loges en France avant la Grande Loge d'Angleterre en 1717 !

On dit couramment que la Maçonnerie a été fondée en 1717...

En 1717 a été créée la Grande Loge d'Angleterre, par la réunion de quatre loges de Londres. C'est l’origine de la notion d'obédience, qui a été créée par les Anglais. En 1723, cette obédience va se renforcer en rassemblant des constitutions que l’on nommera les constitutions d'Anderson. James Anderson, pasteur presbytérien, était l'assistant de Jean-Théophile Désagulier, anglican d'une famille de Huguenots venue de La Rochelle. Il rédigera une nouvelle édition remaniée en 1738. La première édition se contentait d’évoquer : « cette religion à propos de laquelle tous les hommes sont d'accord », c'est-à-dire le christianisme. La seconde édition se réfère, elle, à l’alliance noachique, l’alliance qui, dans la Bible, fut conclue par Dieu avec Noé (Gen. 6-8). Mais du coup, on abandonne la référence chrétienne. Le texte de ces Constitutions fait référence simplement aux « anciens devoirs » (old charges) que l’on trouve dans deux manuscrits, le Regius de 1390 et le manuscrit Cook de 1410. À l'époque, il s'agit bien sûr de ce qu'on appellera la Maçonnerie opérative. On ne pouvait pas construire des églises si l'on n'avait pas de véritables valeurs morales. Dans le Regius, au XIVe siècle, le maçon doit croire en Dieu et « chérir l'Église ». On ne retrouve pas une telle expression dans la Maçonnerie spéculative issue de 1717. Quant au secret maçonnique, c’était le secret des métiers. Ce secret crée une tradition, une transmission. Pour Anderson, maçon spéculatif, ce secret, désormais métaphysique, remonte à Adam lui-même.

Dans quel contexte naît la Maçonnerie ?

Il faut comprendre qu'historiquement, pour nous Français, les Guerres de religion commencent en 1534, avec l'affaire des placards (des placards insultant la présence réelle avaient été affichés sur la porte de la chambre du roi François Ier) et se terminent en 1598, avec l'Édit de Nantes. Pour les Anglais les Guerres de religion commencent vers 1531 quand le pape Clément VII déclare invalide le mariage entre Henri VHJ et Anne Boleyn. Et cela se termine en 1712 avec l'accession au trône d'un Hanovre. En France les rois sont tous restés catholiques. En Angleterre, les Stuart essaieront d'utiliser l'ambiguMé de l'anglicanisme pour recatholiciser le Pays, mais ce sera un échec. La question religieuse a pris en Angleterre une violence et une durée qu elle n'a pas sur le Continent. La Maçonnerie a pour fonction de relativiser les discords religieux. Il y a des assemblées où fraternisent des chrétiens de différentes confessions. On accepte comme Maçons « tous ceux qui font partie de l'honorable société » : d'où l’expression de « maçons acceptés ». Mais bien sûr, dans cette fraternisation, l'Église catholique n'a pas sa place, puisqu'elle revendique d'être l'unique Église de Jésus-Christ.

Les conflits étaient si forts en Angleterre ?

Prenez par exemple le fameux incendie de Londres en 1666, s'il a duré trois jours, c'est d'abord parce que les Londoniens, qui porteront bientôt le presbytérien Cromwell au pouvoir, ont refusé l'aide que leur a proposée le roi Charles, un Stuart, considéré comme catholicisant. Résultat : les dégâts sont considérables. À Londres la cathédrale Saint-Paul et 54 églises sont détruites. Christopher Wren sera chargé de reconstruire la cathédrale et les autres églises détruites. C'est lui aussi un royaliste, un stuartiste catholicisant. En 1683, vénérable de la loge de Saint-Paul, il est élu grand maître de la « Très ancienne et vénérable confrérie des Maçons libres et acceptés d'Angleterre ». Il sera réélu à cette charge en 1698, mais s'en démettra après avoir été destitué de ses fonctions d'architecte de la Couronne par le roi Guillaume III d'Orange, d'origine calviniste.

Et en France, que s'est-il passé à l'origine de la Maçonnerie ?

Le cardinal de Fleury que l'on appelait par dérision pour son grand âge Son Éternité est le premier ministre du jeune roi. En 1737 il fait fermer plusieurs loges, prenant la Maçonnerie pour une initiative stuartiste : cela le gêne car il est allié avec les Hanovre. Mais voyant les Princes de sang qui s'y rendent, et comprenant que la Maçonnerie stuartiste n'existe plus, il refusera de faire enregistrer par le Parlement de Paris la condamnation papale de 1738 (bulle In eminenti du pape Clément XII ). L'encyclique Providas signée par son successeur Benoît XIV en 1751 aura le même sort.

Quelle est la critique de Clément XII ?

Les critiques de la Maçonnerie sont les mêmes dans les deux documents : les papes condamnent le secret maçonnique et interdisent à un catholique d'être Maçon sous peine d'excommunication. Clément XII affirme avoir « d'autres raisons de nous seuls connues », mais il ne développe pas et, en France, pays catholique, ces deux textes pontificaux ne sont guère diffusés. La situation était assez confuse. Les jésuites par exemple soutiendront les loges stuartistes, en y voyant un espoir de recatholicisation de l’Angleterre. Bien plus tard, le Père Barruel, grand pourfendeur des francs-maçons du Grand Orient français, se fera initier dans une loge anglaise. Il faut dire qu'en 1753, Lawrence Dermott, un catholique irlandais, fonde « la Grande Loge des anciens Maçons », dans laquelle il insiste sur les formules chrétiennes dans les rituels. En 1736, le fameux discours du chevalier Ramsay (qui fut secrétaire de Fénelon jusqu'en 1715 et se convertit au catholicisme) a eu un succès fou. Il s’agissait d'attirer la noblesse dans la Maçonnerie, en insistant sur une dimension chevaleresque, que l’on ne trouve pas à l'origine. Outre les grades classiques d'apprentis, de compagnons et de Maître, on va voir apparaître des grades chevaleresques, y compris dans les grades de vengeance.

C'est à partir de là que l'on fait le rapprochement entre la Maçonnerie et l'ordre du Temple...

Le mythe des Templiers a fait beaucoup de mal à la Maçonnerie. Au début, on choisissait de venger la mort d'Hiram, constructeur du Temple de Jérusalem et figure du juste persécuté. Mais quand on introduit le mythe templier, on voit la vengeance changer d'aspect désormais il faudra venger Jacques de Molay et ses compagnons contre le Roi et contre le pape. Joseph de Maistre se plaint de cette Franc-maçonnerie devenue « chevaleresque ». Dans son Mémoire au Duc de Brunswick, pour le Convent de Wilhemsbad (1782), il écrit : « On doit proscrire absolument dans la nouvelle formation tout ce qui peut tenir à la chevalerie (…) Qu’est-ce qu'un chevalier créé aux bougies dans le fond d'un appartement et dont la dignité s'évapore dès qu on ouvre la porte ? » Dans le rite rectifié, Joseph de Maistre a été entendu, il n'y a plus que les trois grades classiques et au-dessus le Maître écossais de Saint-André.

Quand est-ce que la Maçonnerie se radicalise ?

Napoléon III tenait fermement les rênes de la Maçonnerie. En 1862, il désigne le Maréchal Magnan pour être Grand Maître, alors qu'il n’était même pas franc-maçon. Le 8 février, Magnan reçoit les 33 degrés du "rite écossais ancien et accepté" dans la même journée. Sous sa grande-maîtrise la formule d'ouverture de la Loge demeurait chaque fois : « À la gloire du grand Architecte de l'Univers, au nom de la Franc-maçonnerie universelle et sous les auspices du Grand Orient, j'ouvre cette loge au grade ». Après la chute de l'Empire, il n'en est pas de même. C'est un pasteur libéral qui est élu, Frédéric Desmons. En 1877 il abolit l'invocation au Grand Architecte de l'Univers : « Nous demandons la suppression de cette formule parce que, embarrassante pour les vénérables et les loges, elle ne l'est pas moins pour bien des profanes qui se voient tout à coup arrêtés par cette barrière dogmatique que leur conscience ne leur permet pas de franchir ». Immédiatement, la Grande Loge d'Angleterre fit savoir qu'elle ne reconnaissait pas le GOF, devenu une obédience irrégulière. Mais Frédéric Desmons fut cinq fois Grand Maître et la ligne qu'il incarnait demeure jusqu'aujourd'hui celle du GOF. Vous voyez l'ironie de Hollande, allant au GOF célébrer l’anniversaire de la Maçonnerie !

Propos recueillis par l'abbé G. de Tanoüarn monde&vie 23 février 2017 n°936

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