Si la peur et la sécurité sont parmi les fondements psychologiques de la légitimité d’un pouvoir, c’est-à-dire de l’adhésion passionnelle d’un peuple à ceux qui le dirigent, ce principe est d’autant plus vrai que l’on s’éloigne de la démocratie. Cette dernière a pour idéal un régime où règne un droit voulu par des hommes raisonnables. Son instauration conduit un pays à vouloir la paix et, selon Kant, la « paix perpétuelle » coïnciderait avec la démocratie universelle. Depuis, les démocraties, ou les régimes qui prétendent l’être, ont un rapport à la peur et à la guerre plus trouble.
D’une part, elles ont tendance à faire la guerre à reculons, de mauvais gré, et toujours en réaction défensive à une attaque. D’autre part, elles trouvent dans l’existence de cette menace un appui à la cohésion nationale et une inhibition spontanée aux dissensions que le débat démocratique introduit dans la société. Les États-Unis ont été timorés contre le communisme lors de la guerre civile chinoise et ils n’ont pas combattu en Corée pour écraser définitivement la Corée du Nord. MacArthur, le stratège du redressement militaire allié lors de ce conflit, et limogé par la suite, avait condamné la politique américaine. Par la suite, le communisme est devenu un ennemi dangereux, certes, mais bien pratique pour consolider la nation. L’effondrement du bloc soviétique a rendu les Américains orphelins de cet adversaire idéal. Il a eu deux successeurs qui ont fait apparaître au grand jour ce que la politique américaine pouvait receler de machiavélisme : le premier est l’islamisme à l’essor duquel, par leurs alliances et leur intervention en Afghanistan pour soutenir les rebelles, les États-Unis n’étaient pas étrangers. Le second est la Russie, héritière amputée de l’URSS, et délivrée de l’idéologie incompatible avec celle du monde « libre ». La guerre menée par Washington contre le terrorisme, après le 11 septembre 2001, n’a pas affronté l’islamisme. L’Arabie saoudite, le pays idéologiquement le plus éloigné, est resté le grand allié, les Frères musulmans ont été soutenus sous Obama. En revanche, les dictatures militaires et nationalistes d’une part, l’Iran chiite d’autre part, sont devenus les cibles privilégiées malgré leur absence de lien avec le terrorisme islamiste.
Le problème qui se pose aux démocraties occidentales qui ont compris qu’aucune politique ne peut se passer d’ennemis, comme le suggérait le sulfureux Carl Schmitt, comporte trois éléments : d’abord, en raison de la composition de plus en plus diverse de leur population et du refus de toute discrimination érigé en dogme, l’ennemi ne doit pas ni sembler proche d’une communauté intérieure, ni apparaître comme contraire aux postulats du politiquement correct ; ensuite, l’individualisme a fait de la vie des vivants, une fois nés, une valeur sacrée, et « zéro mort » est devenu le principe des guerres à coups de drones et avec le moins possible de combattants sur le terrain, professionnels au demeurant ; enfin, en raison de l’idéal démocratique d’une paix universelle, il est préférable que l’ennemi soit celui du genre humain plutôt que d’une nation ou d’une civilisation en particulier.
En raison de leur poids mondial, les États-Unis ne manqueront jamais d’ennemis plus ou moins réels. Ce n’était pas innocent de la part de Trump d’évoquer le virus « chinois ». Pour la France, c’est plus compliqué. La lutte contre l’islamisme met mal à l’aise un gouvernement qui se veut « multiculturel ». Des soldats français meurent au Sahel dans une guerre sans fin, comme d’autres sont morts en Afghanistan dans une guerre qui n’est pas finie, et pendant ce temps, Maliens et Afghans continuent à se réfugier en France, non sans poser des problèmes. De plus, ceux qui sont les plus opposés à leur présence sont considérés comme l’ennemi de l’intérieur qu’il faut empêcher à tout prix d’accéder au pouvoir. On voit par là que le mot de « guerre » n’a pas été employé par hasard par Macron pour désigner l’épidémie du Covid-19.
Christian Vanneste
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