jeudi 14 janvier 2021

Révolution : des traces de sang dans notre mémoire

Tout a-t-il été dit sur la Révolution française ? Sans doute, mais on en oublierait l’essentiel : au nom du peuple et du rasoir national, pendant plusieurs années, toutes les valeurs ont été inversées. C’est ce que Xavier Martin, le spécialiste bien connu, appelle La France abimée. Son dernier livre vient d’être publié en collection de poche. 

Il ne s’agit pas d’une nouvelle chronologie de la Révolution française et de ses convulsions successives, mais d’une étude sur l’âme révolutionnaire, à travers les témoignages des contemporains. Sébastien Mercier est célèbre pour avoir écrit ces fameux Tableaux de Paris, à la fin du règne de Louis XVI. 

On connait moins un petit texte abondamment cité par Xavier Martin et dont le titre offre le programme de ce livre La France abimée : « Précis de l’influence des révolutions sur le caractère moral des Français ». Voila le projet de Xavier Martin : montrer comment « le caractère moral des Français » s’est ressenti de deux ans de terreurs et de massacres. Et pour cela citer des contemporains, la plupart du temps des témoins qui ont pris fait et cause pour la Convention, ou qui sympathisent avec le mouvement des Lumières et son aboutissement révolutionnaire. Parmi ces témoins, l’avis de Madame de Staël, célèbre pour la manière dont elle soutient les idées nouvelles, est particulièrement éloquent : « Toute morale d’amitié de société, de bonté est-elle finie ? » se demande la fille de Necker en 1800, et elle ajoute : « Après une longue révolution, les cœurs se sont singulièrement endurcis ». On peut se demander pourquoi elle se pose encore une telle question quelque cinq ans après la fin de la Terreur comme si les cœurs n’avaient pas encore cicatrisé. Xavier Martin répond, citant Stendhal

« La malhonnêteté et la licence effrénée furent les traits dominants de la société de 1797 à 1800 ». Avec son cynisme ordinaire, Napoléon nous donne la clé qui manifeste à quel point la France est abimée par la Révolution : en 1798, il confie à son frère Joseph son intention de devenir « bien vraiment égoïste » parce que, dit-il, « je suis ennuyé de la nature humaine ». Cet ennui produira plus tard des centaines de milliers de morts...

Ce ne sont pas les massacreurs révolutionnaires d’abord qui posent problème. Ceux-la se sont disqualifiés d’eux-mêmes. Le problème c’est la lâcheté avec laquelle le peuple le plus intelligent de l’univers (ou en tout cas se croyant tel) est devenu révolutionnaire dans son ensemble. Comment expliquer par exemple l’euphorie qui régnait autour de la guillotine, alors que on reconnaissait dans le chariot fatal un ami ou un parent dont on savait bien qu’il n’avait rien à se reprocher ? La décapitation était devenue la dernière liturgie à Paris, après la fermeture de toutes les églises en 1794, N’est-ce pas scandaleux en soi ?

La violence révolutionnaire, la lâcheté qui a accueilli cette violence demeurent jusqu’aujourd’hui comme un péché originel franco-français, qui ressurgit dans les situations extrêmes. Cela a été la violence cynique des collabos pendant la guerre, les dénonciateurs obscurs décrits par Jean Dutourd dans L’assiette au beurre. Ce pêché originel se retrouve dans l’indifférence avec laquelle les Français, il n’y a pas si longtemps, ont accueilli les violences de l’Epuration, tout aussi arbitraires souvent, et de nature ouvertement révolutionnaire et communiste. C’est la même indifférence avec laquelle les Parisiens accueillirent naguère les listes journalières de proscription du sinistre Fouquier-Tinville.

Les mots qui tuent

Que s’est-il passé, qui explique une telle lâcheté ? Ce qui a pris le pouvoir, ce ne sont pas des personnes : les révolutionnaires, cela avait frappé un Joseph de Maistre, n’étaient que des médiocres dans leur ensemble. C’est une rhétorique qui s’est imposée, en terrorisant la population. La Harpe est l’un des témoins les plus attachants qu’ait cité Xavier Martin dans son livre. Ancien membre éminent du parti philosophique, d’abord très attaché à Voltaire qu’il appelait « papa grand homme », il commence la Révolution en exaltant la Terreur purificatrice : « Le fer amis le fer, il boit le sang ». (sic) Mis en prison, parce qu’il n’était sans doute pas assez révolutionnaire, il se convertit au christianisme. Il n’a pas de mots trop durs désormais pour ce qu’il nomme « la chimère de perfection » qui est « un des caractères distinctifs de l’esprit révolutionnaire » Cette perfection chimérique, voila le véritable fanatisme, non pas le fanatisme religieux que dénonçait Voltaire, mais celui qui a coupé les têtes au nom des mots, qui lorsqu’ils sont plus importants que les choses deviennent des mots qui tuent.

Xavier Martin, La France abimée ed. DMM, collection de poche, 9,95 €

Joël Prieur monde&vie 12 septembre 2019 n°975

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