samedi 9 janvier 2021

Vers la communautarisation de l’islam (texte de 2019)

 Le « toilettage » de la loi de 1905 souhaite mieux contrôler l’islam en France. Certains pensent que la laïcité va passer aux oubliettes, d’autres s’inquiètent d’une institutionnalisation du communautarisme. Explications.

On est prié de ne pas y voir un symbole malheureux, voire un affront à la mémoire des victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher. C’est pourtant le 7 janvier, quatre ans jour pour jour après ce drame, qu’Emmanuel Macron, Edouard Philippe et Christophe Castaner, rien de moins, ont reçu le CFCM. Certes, pas d’amalgame, le Conseil français du culte musulman avait vigoureusement condamné les attentats, mais il s’était plusieurs fois dressé contre « l’islamophobie » du journal satirique… et c’est tout de même au nom de l’islam et au cri de « Allahou Akbar » que les djihadistes ont tué 17 personnes.

Plus gênant encore est le simple fait que cette réunion ait eu lieu. Elle visait a préparer la réforme de la Loi de 1905. Pourquoi un tel traitement de faveur envers les porte-paroles de l’islam alors que les représentants de tous les cultes étaient reçus trois jours plus tard ? Une prévenance qui n’aura pas empêché Abdellah Zekri, l’un des représentants du CFCM, vexé de ne pas avoir été convié, de dénoncer « l’approche coloniale » de l’Élysée. Malgré cet accroc, les pontes musulmans sont ressortis « satisfaits » et « rassurés » de leur réunion avec les têtes de l’exécutif.

Il faut dire que cette réforme est taillée sur mesure pour les musulmans, qui ne s’y trompent pas « Toute modification de la loi doit venir des cultes. C’est donc a leurs représentants de travailler sur le sujet », indique Ahmet  Ogras, président du CFCM. Une manière de dire qu’il compte bien peser sur le débat.

Bientôt, un financement public des mosquées

Naturellement, pour le gouvernement, pas question de revenir officiellement sur le « principe de séparation des Églises et de l’État » ni sur celui de « neutralité de l’État ». Pourtant, derrière cette déclaration de (beaux) principes, la réalité pourrait être plus complexe.

Dans l’avant-projet qui avait fuité en novembre dernier, les principales mesures concernaient le régime des cultes et sa police. Concrètement, le gouvernement voudrait pousser tous les lieux de culte qui utilisent la Loi 1901 sur les associations (c’est le cas de la plupart des mosquées, qui préfèrent ce système plus opaque) a passer sous le régime des associations cultuelles de la Loi de 1905, avec à la clef des incitations fiscales. Bonus : elles pourraient tirer des revenus de biens immobiliers et même toucher des aides « pour réparations et rénovation énergétique ».

Alors qu’actuellement, les associations cultuelles ne peuvent toucher aucune aide publique (« La République ne reconnait, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte »), ce dernier point créerait un précédent, une brèche qu’il sera ensuite aisé d’élargir. Il est à craindre ailleurs qu’en échange des mesures destinées a empêcher le financement étranger des mosquées par le Qatar, l’Arabie saoudite, le Maroc, l’Algérie ou la Turquie, certains ne poussent dans le sens de financements publics.

Certes, ils existent déjà sous forme détournée, les élus locaux ne se privant pas de subventionner la construction de bibliothèques et autres salles d’étude d’associations culturelles attenantes a des mosquées, mais pourquoi ne pas aller plus loin ? Macron a déjà lancé quelques inquiétants ballons d’essai sur une forme de concordat avec l’islam via la publication du rapport Au cœur de la Fabrique de l’islamisme, de Hakim El Karoui, un de ses proches de l'Institut Montaigne (voir M&V 960).

D’autant qu’il est aussi prévu que l’État délivre un label authentifiant la « qualité cultuelle » des associations, avec des contrôles portant notamment sur les membres du conseil d administration pour éviter les prises de contrôle de mosquées par des radicaux. De même, l’État aurait un droit de regard sur le recrutement des imams et le contenu de leurs prêches.

Si l’intention de lutter contre l’islam radical est louable, le résultat sera une plus grande ingérence de l’État dans les affaires de culte, ce que dénoncent les mouvements laïques.

Mais ce « toilettage » de la Lot de 1905 s’inscrit dans un plan plus vaste d’organisation de l’islam « de » France sur le modèle anglo-saxon des « arrangements raisonnables ». Dans le rapport d’El Karoui figurait déjà le souhait de couper le lien financier entre les mosquées françaises et l’argent des pays musulmans, le financement des lieux de culte ou la formation des imams qui se dessinent en filigrane du projet de réforme de la Loi de 1905.

Reste a organiser le culte musulman, ce à quoi Macron compte s’attaquer prochainement, malgré l’échec patent de toutes les précédentes tentatives dans ce sens. Tout cela sera pour dans quelques mois : il a été décidé de ne pas agiter le chiffon vert… devant les Gilets jaunes : l’examen des amendements à la Loi de 1905 et l’organisation de l’islam en France est reporté après les Européennes.

Richard Dalleau monde&vie 17 janvier 2019 n°965

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