mardi 25 mai 2021

Économie du futur proche, le monde français et européen à la croisée des chemins.

 


(Le bocage, source : Larousse.fr)

En quelques mois, une mode s’est emparée de l’actualité et du monde des affaires, sur fond de campagne présidentielle. Partout les allées bruissent des termes de robotisation et d’intelligence artificielle. Les cadres supérieurs d’entreprises de services financiers, bancaires, de conseil et d’audit mais aussi d’informatiques se passionnent pour ce sujet. La robotisation et l’intelligence artificielle, voici les nouveaux horizons de l’économie européenne, non pas pour les dix prochaines années, mais pour l’an prochain, pour dans deux ans.

Nous en voyons les premiers signes. Les automates intelligents remplacent le personnel de bureau dans les agences bancaires et les supermarchés. Les robots deviennent nos interlocuteurs dans les standards téléphoniques de grandes entreprises de téléphonie ou d’alimentation en électricité et en gaz. Les logiciels d’intelligence artificielle deviennent progressivement les adjoints de la recherche scientifique et de l’analyse stratégique des entreprises.

L’engouement est généralisé pour ces nouvelles techniques. Mais ce qui est moins vu, disons plutôt ce qui est caché par crainte des conséquences sociales que cela engendre dès à présent, ce sont les formidables destructions d’emplois que ces nouvelles technologies engendrent dans l’économie des services. En effet, les emplois intermédiaires dans les activités nommées plus haut sont en voie de disparition, par non remplacement des départs en retraite pour l’heure, mais sans doute bientôt aussi par plans sociaux massifs.

Des millions d’emplois sont menacés de disparition. En effet, dans une agence bancaire, là où il fallait un directeur d’agence, ses adjoints, ses guichetiers, son personnel informatique et d’entretien, il sera nécessaire, bientôt, de ne conserver que le personnel de direction réduit au minimum et les postes d’entretien les moins qualifiés. Toute l’échelle intermédiaire est vouée à la disparition. Mais ce n’est pas tout. Dans le conseil et dans l’audit, là où une mission nécessitait un consultant chef de projet et une batterie de cinq ou six collaborateurs, dans l’avenir, le chef de projet et un adjoint seuls suffiront, secondés par un logiciel d’intelligence artificielle et une équipe volante de maintenance de l’appareil informatique, elle-même partiellement robotisée. Dans l’industrie lourde également, les emplois pourront disparaître pour la majorité. Enfin, même dans la recherche scientifique, là où le chef de laboratoire devait s’entourer d’un nombre important de collaborateurs et de doctorants, une poignée d’hommes suffiront.

Face à la destruction inéluctable de millions d’emplois et la mise au chômage de millions d’employés de bureau, d’ouvriers, de cadres dont la plupart semblent inemployables ailleurs que sur des missions de conception assez généraliste, nul mouvement politique ne semble avoir pris la mesure du tournant à opérer dans les choix économiques de la nation.

Seul Benoît Hamon et le parti socialiste envisagent une réponse concrète avec la taxation des robots et la mise en place d’un revenu universel.

Mais cette taxation annulera les économies réalisées sur la réduction du personnel dans l’industrie et par le fait même annulera le regain de compétitivité temporaire dont nous pouvions bénéficier face aux industries plus traditionnelles mais peu coûteuses des pays émergents et en développement.

Le revenu universel ne vaut guère mieux, qui prendra acte, avec fatalisme, de la mise au chômage définitive de millions de travailleurs, devenus des oisifs, consommateurs dociles dans un système économique robotisé, fournissant la masse endormie en vêtements à bas prix, en nourriture industrielle et en électroménager et électronique à l’obsolescence programmée afin de réduire les coûts, biais indispensable pour vendre toute cette camelote à ce peuple de petits revenus.

Une autre voie est peut-être envisageable, afin de recréer des millions d’emplois là où se détruiront ceux de l’industrie lourde et de l’économie des services d’entreprise.

Depuis quelques années également, en parallèle de l’émergence de cette robotisation et de cette artificialisation de l’intelligence, on a vu naître un goût massif pour les produits alimentaires fabriqués localement, suivant des méthodes dites biologiques et respectueuses de la qualité de vie des bêtes autant que des hommes. Ce goût pour le bien manger s’est étendu aux vêtements. Il y a fort à parier qu’il pourrait se déplacer aussi vers l’ameublement, l’équipement électronique et peut-être même la construction.

Ce mode de vie écologique, jadis réservé à une petite élite sociale, se répand et devient massif, à tel point que les réseaux de la grande distribution en ont pris acte, multipliant les produits biologiques, améliorant la traçabilité des aliments, rouvrant des petits surfaces dans les métropoles, s’appuyant sur les producteurs locaux, etc. Aux Etats-Unis, le groupe Walmart finance des programmes de recherche en agronomie pour recréer une agriculture biologique et rentable, sachant susciter des vocations de jeunes agriculteurs. En France, le « consommer local » devient la mode. En France toujours, plusieurs agglomérations, notamment Rennes, ont émis le souhait d’évoluer vers l’auto-suffisance alimentaire par la production locale. Plusieurs propositions de lois ont été déposées allant dans le même sens pour la restauration publique, pour l’instant sans succès, mais montrant l’intérêt du pouvoir politique.

L’engouement pour la permaculture est un autre avatar de cet immense retour à la terre.

Dans le monde de l’industrie, après les vagues de délocalisation, dont la source n’est d’ailleurs pas encore tarie (Quoique la robotisation devrait y mettre un sérieux frein.), nous assistons au phénomène inverse de retour en France et en Europe d’industries spécialisées dans des produits emblématiques, non pas seulement du luxe, mais aussi de la consommation courante. (Ainsi, Solex est venu en Normandie récemment, après une éphémère aventure chinoise.)

Ce mode d’alimentation, s’il venait à se généraliser et à devenir celui de tout un peuple, nécessiterait la recréation d’un très grand nombre d’exploitations, l’ouverture de centaines de milliers de postes, car ce fonctionnement de l’agriculture biologique ou de la permaculture nécessite de petites parcelles et une main d’œuvre abondante.

Il y aurait alors, si la tendance actuelle non seulement se poursuit mais se généralise, de quoi éponger une partie des pertes dans le domaine des services par la création de postes fort nombreux dans l’agriculture.

Ce repositionnement de l’économie française vers le secteur primaire aurait, à n’en point douter, des effets sur l’aménagement du territoire. En effet, le besoin de trouver des terres agricoles au plus près des grandes agglomérations ralentirait, voire stopperait l’artificialisation des terres auprès des principales zones urbaines, et rétablirait une biodiversité perdue dans les zones urbaines.

L’impossibilité de nourrir, par exemple, la petite quinzaine de millions d’habitants de l’Île de France avec une agriculture uniquement locale et biologique nécessiterait également le rétablissement de zones agricoles auprès des villes moyennes de province par exemple du Vexin, du Perche, de la Beauce, de la Champagne, de la Picardie, de la Brie, etc. Le même phénomène se rétablirait sans doute partout, par exemple dans les montagnes des Cévennes ou les contreforts des Alpes, permettant de rouvrir voies de chemins de fer, administrations, petites industries, commerces et artisanat dans ces communes aujourd’hui en voie d’endormissement. Ce rééquilibrage du pays, déchargeant les mégapoles de leur fardeau et redynamisant les petites et moyennes agglomérations serait bénéfique certainement, en irriguant de nouveau les parties délaissées de la France et en rendant un avenir social aux peuples périphériques qui en étaient privés.

Il y a fort à parier que, par capillarité, l’homme préférant des navets produits sur le pas de sa porte plutôt qu’au bout du monde, préférera aussi des chaussures faites dans sa ville, ou une montre à remontoir plutôt qu’à piles venues du Levant. Tout comme il préférera sans doute faire changer la tapisserie de son fauteuil par un artisan plutôt que de le déposer à la déchetterie. C’est une question de cohérence mentale dont on peut supposer et espérer qu’elle accompagnerait ce mouvement déjà en cours concernant les produits alimentaires.

Parions, là aussi, que ces nouveaux emplois d’artisans épongeraient les pertes dans l’économie des services et de l’industrie lourde. De même espérons que ce souci de la proximité permettrait de rendre aux centres urbains embourgeoisés une diversité sociale qui leur fait défaut et entretient, par la sectorisation géographique, un esprit de lutte des classes d’autant plus mal venu qu’il s’appuie sur le ressentiment.

Mais, cette nouvelle économie serait également génératrice de biens de consommation courante autrement plus onéreux qu’ils ne sont aujourd’hui.

Les hyper-promotions permanentes sur les fruits et légumes venus du Kenya et les ballerines produites en Inde avec des simili-cuirs en vrais plastiques de synthèse issus de l’industrie du pétrole ne sont pas l’avenir, mais la queue de la comète d’une ère industrielle en train de succomber sous les coups de boutoir de la robotisation et de l’émergence de l’intelligence artificielle (Les soldes permanentes font perdre aux consommateurs le sens de la valeur des biens, mais sont aussi les ultimes avatars d’un monde industriel et financier devenu fou.). Les taxes sur les robots et le revenu universel maintiendraient ce système artificiellement. Mais pour combien de temps ? Le rattrapage inexorable des pays émergents et en développement et le renchérissement de ces produits de consommation courante provoqueraient une paupérisation générale qu’il vaut mieux prévenir par la relocalisation.

Cependant, en effet, la nourriture issue d’exploitations locales mobilisant un personnel nombreux, les vêtements, les chaussures, les montres ou le mobilier issus de l’artisanat sont autrement plus coûteux. Là aussi, les structures de prix sont appelées à évoluer et à retrouver, sans doute, celles des siècles passés. Par exemple, en 1900, un ouvrier consacrait une part plus important de son salaire à l’habillement et à l’alimentation qu’au logement.

Face à ce renchérissement des produits de consommation courante, la fiscalité et le système de protection sociale doivent être refondus pour libérer des revenus. Ce système, en effet, correspond à une économie aujourd’hui en voie de dépassement. La sécurité sociale sous monopole d’État, issue des grandes nationalisations-confiscations d’assurances privées en 1945 et la gestion de leur actif par les syndicats soit-disant représentatifs, était en adéquation avec une économie de grands groupes d’entreprises aux régimes sociaux relativement homogènes.

Tel ne sera plus le cas d’une économie ayant renoué avec une malléabilité et une diversité de situations qu’elle avait perdu. Ce nouvel état des choses est plus aisément acceptable pour un réseau de compagnies d’assurances privées adaptables et souples.

Par ailleurs, les prélèvements sociaux obligatoires représentent, aujourd’hui, à peu près 45 % du coût total de l’employé pour l’employeur. Les bas salaires ne sont exonérés qu’artificiellement, puisque le financement de leur protection sociale n’étant pas assurée par les prélèvements sociaux, il l’est par des dotations venues du budget de l’État et financées par d’autres impôts qui, eux, ont augmenté (impôt sur le revenu, CSG, TVA, etc.) En vérité, le poids des prélèvements sociaux sur le coût total employeur dépasse même les 50 % puisqu’à cela il faut ajouter les cotisations volontaires auprès d’assurances privées devant pallier à l’insuffisance de la protection publique.

Une étude du ratio efficacité de remboursements/taux de prélèvements entre les compagnies d’assurances privées et publiques milite, également, pour la disparition des prélèvements obligatoires et du monopole d’État de la sécurité sociale (assurances maladies, allocations familiales, assurance vieilles, accidents du travail et maladies professionnelles) qui non seulement ne correspondra plus à la réalité économique des prochaines années, mais empêchera également l’adaptation salutaire de la société et les indispensables créations d’emplois agricoles, dans le commerce et l’artisanat, en immobilisant des revenus considérables.

Sur la base d’un transfert total du coût employeur vers le salaire net débarrassé de prélèvements sociaux obligatoires, on pourrait envisager sans crainte la création de revenus suffisants, sans coûts supplémentaires pour les entreprises, afin d’accompagner cette renaissance agricole et de l’artisanat. (Seuls seraient maintenus, peut-on supposer, une protection sociale d’urgence pour les plus démunis, financée par une CSG fusionnée avec l’impôt sur le revenu, indépendamment de leur appartenance au monde du travail.)

Dès lors, cependant, comment protéger ces agriculteurs, ces artisans et ces commerçants isolés, face à un État toujours puissant, des compagnies d’assurances remplaçant par leur poids celui de la sécurité sociale, et des groupes de distribution et de financement qui, seuls, auraient la masse suffisante pour faire circuler tous ces produits issus d’une économie plus individualisée ?

Une solution peut résider dans l’émergence d’une syndicalisation massive comme elle se pratique pour l’instant en Suisse, en Allemagne ou au Danemark ; comme elle ne se pratiqua jamais en France, après que les députés libéraux de la IIIe République, pour une fois alliés aux socialistes, aient préféré tordre le cou aux propositions d’Albert de Mun et du marquis de La Tour du Pin, frayant ainsi la voie à un syndicalisme révolutionnaire non-représentatif dont la culture de lutte pénalise notre monde du travail encore aujourd’hui.

Ces syndicats de masse auraient en main l’application et en vérité même la production de la plupart des normes du droit du travail et de la protection sociale, par branches professionnelles, comme cela se fait dans les pays déjà nommés.

Ce retour à une forme de corporations, accompagnera avec efficacité le ré-enracinement des professionnels dans l’agriculture, l’artisanat et le commerce de proximité.

Mais, pour achever de consolider le corps social dans cette immense restructuration, il convient aussi de donner aux particuliers un enracinement dans le temps qu’ils ont perdu et qui consolidera leurs bases face à une économie plus mouvante et fragile.

Le meilleur moyen d’y parvenir est de réviser le régime successoral français, par la suppression des droits de succession et le rétablissement de la liberté testamentaire au moins pour les biens fonciers, enracinant un peu plus les hommes et libérant des revenus supplémentaires sur plusieurs générations.

Dès lors, le mouvement, visiblement inéluctable de la robotisation et de l’évolution de l’intelligence artificielle ne serait-il pas l’occasion inespérée de prendre le chemin d’une société dont les membres, plus libres et plus enracinés, disposant plus réellement de leurs revenus, auraient opéré leur retour vers une économie réelle, relocalisée et moins lourdement financiarisée ? Certainement !

La France et l’Europe sont à une croisée des chemins, entre la voie facile du maintien artificiel du système actuel, par la taxation sur les robots et le revenu universel faisant émerger un immense prolétariat oisif et paupérisé abreuvé de produits de basse qualité ; et la voie plus exigeante de la remise à plat d’un système né de la révolution industrielle et poussé à son paroxysme au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Les signes avant-coureurs des deux voies sont devant nous. Reste à savoir ce qui sera choisi… Il s’agit là d’un choix de civilisation !

https://gabrielprivat78.wordpress.com/2017/04/08/economie-du-futur-proche-le-monde-francais-et-europeen-a-la-croisee-des-chemins/#more-1571

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