« Le “front républicain” a sombré sans doute définitivement : ceux qui ont enfin franchi le pas électoral de préférer un candidat lepéniste à un candidat macroniste ou mélenchonniste ne feront pas de retour en arrière à l’avenir au nom de cette arlésienne de la moralité politique qu’on appelle “valeurs républicaines” ; les auto-désignés “partis de gouvernement” en ont trop usés et abusés pour masquer leurs échecs et garder coûte que coûte le Pouvoir. »
Entretien avec Philippe Randa, directeur du site de la réinformation européenne EuroLibertés.
(Propos recueillis par Guirec Sèvres)
Quel est votre sentiment sur les résultats des élections françaises de cette année 2022 ?
Vous répondre que j’ai été surpris par des résultats que je n’avais pas vu venir aux législatives – perte de majorité présidentielle, une première pour un président réélu et importance inédite du nombre de députés du Rassemblement national – n’est pas très original : pas plus les observateurs de la vie politique que les politiques eux-mêmes ne l’avaient sincèrement prévus, voire même envisagés. En tout cas, d’une telle ampleur dans un cas comme dans l’autre.
Et avec quelles conséquences réelles ?
Ça change beaucoup de choses dans un premier temps, forcément : l’Assemblée nationale ne devrait plus être la simple chambre d’enregistrement des décisions souvent incohérentes du gouvernement qu’elle était devenue depuis des décennies et plus encore sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Quant au « front républicain », il a sombré sans doute définitivement : ceux qui ont enfin franchi le pas électoral de préférer un candidat lepéniste à un candidat macroniste ou mélenchonniste ne feront pas de retour en arrière à l’avenir au nom de cette arlésienne de la moralité politique qu’on appelle « valeurs républicaines » ; les auto-désignés « partis de gouvernement » en ont trop usés et abusés pour masquer leurs échecs et garder coûte que coûte le Pouvoir.
Marine Le Pen a donc bel et bien réussi cette dédiabolisation qui l’a toujours obsédée ?
Est-ce elle qui a réussi cette prétendue diabolisation ou ses ennemis politiques sont-ils plutôt arrivés au bout du bout de leurs crédibilités politiques ? Le rejet de l’offre politique – près de 26 à 28 % d’abstention à la présidentielle et 53 à 54 % aux législatives – a mécaniquement servi le mouvement et sa représentante auxquels, pour cause de « front républicain » justement, on ne peut reprocher la pitoyable gestion des affaires publiques depuis un demi-siècle ; rappelons-le encore : Emmanuel Macron et son Parti Larem, devenu Renaissance, ne s’ont pas une nouvelle offre politique, seulement les nouveaux habits de l’UMPS qui a cohabité au sommet de l’État plus de 30 ans durant (de 1986 avec la première cohabitation entre Jacques Chirac et François Mittterrand à 2017 lorsque ni le candidat du Parti socialiste, ni celui des Républicains/ex-UMP n’ont été qualifiés au second Tour de la Présidentielle).
Marine Le Pen aurait donc simplement bénéficié de l’incompétence de ses rivaux ?
Ce serait oublier son incontestable sens politique, avec une campagne présidentielle axée toute entière sur le pouvoir d’achat qui s’écroule de ses compatriotes et surtout en se voulant la plus « rassurante » possible : son brevet d’élevage de chat dont beaucoup ont bêtement ricané a été d’une redoutable efficacité – n’ayons pas peur des mots : un vrai coup de génie ! – après deux ans où ses compatriotes avaient été littéralement « terrorisés » par les médecins de plateaux et les ukases du gouvernement dans la gestion du Covid, stigmatisant tous ceux, professeurs, médecins, scientifiques ou politiques (ces derniers étant plutôt rares) ayant voulu raison garder face au délire sanitaire. Le dégoût de la Macronie d’une part, la méfiance vis-à-vis des candidats « extrémistes » (ou présentés comme tels par les médias) ont ouvert un boulevard à la candidate du Rassemblement national… On gagne souvent davantage par les faiblesses, les erreurs ou la bêtise de ses ennemis que par ses qualités propres dont Marine Le Pen n’est pas totalement dépourvue, la preuve.
Et Éric Zemmour, comment jugez-vous sa campagne ?
Il a commis deux erreurs de jugement ; l’une de forme, l’autre de fond, me semble-t-il… La première, celle sur la forme, est d’avoir trop appelée à la « nostalgie de la France du passé », qui, certes, peut avoir un sens pour d’électeurs de plus de 30 ans, mais aucunement pour tous les moins de trente ans, sinon pour quelques cinéphiles ou rats de bibliothèques… La deuxième, sur le fond, est que le « Grand remplacement » qui a été le pivot de sa campagne est, comme le « Réchauffement climatique », un thème qui n’est pas porteur électoralement parlant. Est-ce à dire que ces deux thèmes – l’un et l’autre ou l’un ou l’autre – sont simples fantasmes et qu’ils ne préoccuperont pas demain les électeurs, c’est à voir…
« C’est avoir tort que d'avoir raison trop tôt », écrivait si justement Marguerite Yourcenar dans les Mémoires d’Hadrien.
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