L'ancien ministre de la Culture de Nicolas Sarkozy, Frédéric Mitterrand, était l'invité de Sonia Mabrouk, ce 18 mai, sur Europe 1. C'est toujours intéressant, d'entendre d'anciens ministres vous dire les choses avec bien plus de sincérité que lorsqu'ils étaient en fonction. On est content d'entendre un peu l'envers du décor, et on a "en même temps" l'impression rétrospective d'avoir été pris pour un imbécile. Rien de tel, disons-le tout net, dans les propos de Frédéric Mitterrand, qui n'a pas le cynisme de certains de ses anciens collègues.
Interrogé sur la haine d'une bonne partie du peuple à l'encontre d'Emmanuel Macron, Mitterrand n'a pas essayé de finasser. Il considère, avec, semble-t-il, une certaine acuité, que les manifestations contre la réforme des retraites ont été en grande partie amplifiées par la détestation que provoque le président de la République. Cette détestation, Frédéric Mitterrand la juge d'abord disproportionnée, injuste, mais... « compréhensible ». On attend alors un discours courageux sur la brutalité présidentielle, son mépris de l'opinion publique, sa volonté de contourner la loi pour imposer un agenda qui semble venir de beaucoup plus loin que le palais de l'Élysée. Que nenni ! Pour Frédéric Mitterrand, si les gens détestent Emmanuel Macron, c'est parce que la société se compose en grande partie de gens qui ont des difficultés... alors que le Président, lui, n'a jamais connu l'échec. Brillant dans son métier, devenu directement président de la République, « jamais plaqué par sa femme », n'ayant pas « d'enfants qui se droguent », il réussit trop, quoi. En somme, ce serait un énième avatar de la haine des ratés pour le succès, des moches pour la beauté, des idiots contre les brillants. Hypothèse qui pourrait être séduisante si elle n'était pas complètement aveugle.
Les ouvrages et les documentaires sur Emmanuel Macron expliquent pourtant les ressorts de son ascension. Intellectuellement brillant, certes, mais au fond, pas tant que ça, notre bon maître doit son parcours à quelques facteurs. La séduction, d'abord : tous les témoins qui l'ont connu à l'ENA ou chez Rothschild s'accordent à lui reconnaître des qualités hypnotiques qui contribuent à expliquer sa fulgurante carrière. Le personal branding, ensuite : la "marque" Macron a été vendue avec une certaine complaisance par la presse aux ordres, qui a acheté des clichés parfaits à Michèle "Mimi" Marchand, reine de la paparazzade. Corollaire de cette propagande, l'art d'enjoliver la réalité. La réalité ? C'est que, tout brillant qu'il est, Emmanuel Macron a échoué par deux fois au concours d'entrée à Normale Sup. Parce qu'il était « trop amoureux pour [le] préparer sérieusement. Le cœur et la raison sont incompatibles », avait-il déclaré à L'Obs, en 2017. C'est beau comme un roman de gare. Comme on dit, l'amour excuse tout.
Alors, la haine contre Macron est-elle une vieille haine rance, une haine de jaloux contre un homme qui réussi tout ? C'est, semble-t-il, un total contresens. Les Français sont un vieux peuple monarchiste. Ils aiment admirer. Ils comprennent très bien que ceux qui décident doivent être plus brillants, plus intelligents, plus capables. C'est même plutôt normal. Ce qui choque les Français, ce qui provoque leur haine, n'en déplaise à Frédéric Mitterrand, c'est plutôt le contraire : Macron n'est pas quelqu'un à qui tout réussit, c'est une baudruche, un pur produit du parisianisme et des réseaux financiers, monté en épingle par un monde médiatique totalement partial. Les gens ont voté pour lui en 2017 parce que, justement, ils croyaient à cette fable du candidat jeune et parfait. En 2022, les gens ont revoté pour lui parce qu'on leur disait que Marine Le Pen, c'était Himmler avec des boucles d'oreille. Voilà ce qui arrive quand on regarde la télé.
Frédéric Mitterrand a un train de retard. Les gens ne détestent pas Macron parce qu'il est trop bon ou trop parfait : c'est, au contraire, parce qu'ils ont découvert qu'il était médiocre et méprisant, parce qu'ils ont appris à connaître sa cour de petits hauts fonctionnaires interchangeables, que les gens en ont marre. Au point de voter pour Marine Le Pen, madone de la diagonale du vide, égérie de "ceux qui ne sont rien", qui, elle, ne fait pas profession d'excellence, ne jette pas de poudre aux yeux ? Pourquoi pas...
Arnaud Florac
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