Il n’y a pas de communication politique efficace qui ne contienne une bonne dose de magie.
Faire croire à l’impossible ou encore faire disparaître une situation problématique ne s’improvise pas et nécessite la maîtrise des meilleures techniques à même de modifier notre perception de la réalité.
Parmi celles-ci, le détournement d’attention permet d’attirer le regard du spectateur sur autre chose que l’action principale à l’aide d’un mouvement, d’un son ou d’une image.
Prenez la situation à Bakhmout. Depuis plusieurs mois, Volodymyr Zelensky a transformé la ville assiégée en symbole de la résistance ukrainienne et promesse de la victoire à venir. Les Américains lui ont conseillé d’abandonner la position pour préserver ses forces, mais il n’a rien voulu entendre. Arrivé au moment où le rouleau compresseur russe s’apprête à écraser les derniers carrés de béton encore aux mains des troupes de Kiev, que fait-il, alors ? Il lance une contre-attaque de part et d’autre de la ville, là où la résistance russe est moindre, et transforme un échec annoncé en un succès médiatique démontrant la résilience de son armée. Une très belle opération de communication.
Une autre technique à laquelle recourt l’illusionniste expérimenté est l’effet d’annonce. L’attention du spectateur est ici détournée de l’action principale et du moment présent par la description d’un événement à venir qui stimule son imagination. Prenons, cette fois, l’exemple de la « grande contre-offensive » ukrainienne. Annoncée depuis plusieurs mois, elle maintient les opinions publiques dans la perspective d’une reconquête à venir des territoires perdus et justifie, par là même, les efforts endurés et les escalades consenties.
Il est vrai que ces derniers temps, les magiciens de la communication ont eu fort à faire. Entre les fuites du Pentagone et la perspective de la chute de Bakhmout, le camp des faucons avait de gros cailloux dans les rangers. Comment, en effet, continuer à vendre la guerre quand sont dévoilées les évaluations extrêmement pessimistes de vos propres services de renseignement ?
Le 3 mai dernier, le secrétaire d’État américain Antony Blinken se voulait rassurant. D’après lui, il ne fallait pas tenir compte de toutes ces révélations décrivant une armée ukrainienne en difficulté et une contre-offensive à venir peu susceptible d’obtenir des gains importants. Les fuites dataient d’il y a quelques mois et, depuis, la situation avait évolué. Le secrétaire d’État se disait donc convaincu que les Ukrainiens allaient réussir « à regagner une plus grande partie de leur territoire » et, pour ce qui était de la Russie, elle faisait déjà face à « un échec stratégique ».
Au même moment, Kiev manœuvrait habilement, profitant des fuites révélant ses faiblesses pour demander toujours plus d’armes mais aussi plus de temps pour préparer sa contre-offensive. « Avec [ce que nous avons déjà], nous pouvons aller de l'avant et, je pense, réussir », déclarait, récemment, Zelensky à la BBC. « Mais nous perdrions beaucoup de monde. Je pense que c'est inacceptable. Nous devons donc attendre. Nous avons encore besoin d'un peu plus de temps », ajoutait-il.
On attendra donc et, pendant ce temps-là, le président ukrainien fait la tournée de ses soutiens européens qui ne savent plus quoi lui donner pour éviter que la contre-offensive ne se termine en tragédie. De Londres à Paris en passant par Rome et Berlin, les annonces fracassantes se sont ainsi multipliées dans une course à celui qui en donnerait le plus ou qui oserait franchir le cap d’une nouvelle escalade.
Londres brise un tabou en livrant des missiles à longue portée à Kiev, s’émerveillait la presse, il y a quelques jours. « Bravo le Royaume-Uni ! Cela donnera à l'Ukraine la capacité de rendre la Crimée intenable pour les forces russes », tweetait, dans la foulée, le général Ben Hodges, ancien commandant de l’armée américaine en Europe. L’enthousiasme était revenu. Samedi dernier, l’Allemagne annonçait une aide militaire record d’un montant de 2,7 milliards d'euros. Quant à la France, la promesse était faite de la formation et de l’équipement de plusieurs bataillons avec des dizaines de véhicules blindés et de chars légers.
Résumons-nous : la stratégie poursuivie pour mettre un terme au conflit est donc celle du bâton. Pas de carotte à proposer (retrait des sanctions, concessions territoriales, statut neutre de l’Ukraine…), juste un dernier bon coup de bâton qui va faire plier Vladimir Poutine. Dans le cas présent, le problème tient alors à l’épaisseur du bâton. Les fuites indiquent que le renseignement militaire américain ne croit pas que l’armée ukrainienne ait la capacité de remporter une victoire décisive ni d’obtenir des gains significatifs. Quant aux experts qui refusent de faire le jeu de la propagande, ils « disent qu'il sera difficile, voire impossible, de repousser les Russes sur leurs positions d’avant le début de l'invasion », reconnaissait le Washington Post, le 6 mai dernier. Par ailleurs, les Occidentaux ont vidé leurs stocks pour l’assaut à venir et ne disposent pas d’une industrie de guerre capable de tenir un conflit de haute intensité sur le long terme. C’est donc, probablement, l’offensive de la dernière chance.
Cependant, faute d’un gros bâton, une hypothèse doit être envisagée : celle d’une contre-offensive épuisant l’essentiel des ressources de l’armée ukrainienne et aboutissant à une impasse. Ce qui pourrait alors encourager la Russie à redoubler d’intensité, consciente que, faute de perspective de négociations sérieuses, les seuls gains possibles s’obtiendront sur le champ de bataille. En réalité, derrières leurs rodomontades, les dirigeants occidentaux, en poursuivant une guerre à laquelle ils ne croient plus vraiment, ne font que jouer à la roulette russe avec la vie des Ukrainiens.
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