TRIBUNE – Il est logique que les dissensions entre le gouvernement et le Parlement aient atteint de telles proportions sur une question devenue existentielle pour notre pays, argumente l’essayiste et ancien membre du Haut Conseil à l’intégration. Dernier ouvrage paru : Les Dindons de la farce (Albin Michel 2022)
Il n’y a point de hasard à ce que la crise politique qui s’est soudainement imposée avec le vote d’une motion de rejet se soit cristallisée autour de l’immigration. Aux yeux d’une majorité des citoyens, il ne fait plus de doute que c’est du destin de la France qu’il s’agit, et qu’au travers de la question de son peuplement, c’est la question existentielle qui est posée, qu’un compte à rebours est enclenché.
En 2015, 69% des Français estimaient qu’il y avait trop d’immigrés, ce qui représentait déjà 20 points de plus qu’en 2009 (Cevipof). En 2017, selon l’Insee, « 44% de la hausse de la population provient des immigrés ». Toujours selon l’Insee, près de 40% des enfants de 0 à 4 ans ont un lien à l’immigration sur 3 générations, une immigration majoritairement issue du continent africain, Maghreb inclus.
Dans une telle situation, la question qui s’impose est de savoir si l’intégration culturelle réussit pour une majorité, et si les migrants et leurs descendants adoptent la France comme patrie de cœur et d’esprit. Comme l’avait très justement exprimé, en 2022 sur RTL, le patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux, « on ne peut pas décider d’une politique migratoire simplement en fonction des besoins économiques. Parce que c’est un sujet d’intégration, de valeurs. » Et d’enfoncer le clou en juin 2023 : « on n’est pas demandeur d’immigration économique ou de régularisation massive ».
Convictions religieuses
Dans son rapport sur l’école maternelle remis en 2007 au ministre de l’Éducation nationale, Alain Bentolila évoque l’existence de problèmes de compatibilité culturelle entre l’école et la maison pour ces « enfants venus d’ailleurs ». En 2009, deux chercheurs pointent que dans les familles du Maghreb, de Turquie et d’Afrique, « 72% des parents estiment important que leurs enfants pensent comme eux », et que « La prescription d’obéissance imposée aux enfants se double d’une demande d’allégeance spirituelle et intellectuelle ». En 2000, trois chercheurs soulignent que dans le cas où « la figure du maître s’avère, aux yeux de l’enfant, trop différente de celle parentale, il doit, consciemment ou inconsciemment, décider quel savoir adopter ».
Et de conclure que « certains enfants issus de l’immigration échouent à l’école car l’enfant s’oppose à l’élève ». La chute libre de la France dans le classement Pisa prépare des jours sombres pour l’économie française et pour la cohésion sociale et nationale. Pourtant, dès 1991, comme en atteste un rapport du Comité des ministres des États de l’Union européenne, tout était déjà parfaitement su : « pour de nombreux immigrés l’identité culturelle se confond largement avec la religion et des problèmes peuvent surgir lorsque les pratiques ou les sensibilités religieuses des immigrés sont étrangères ou contraires aux traditions de la société du pays d’accueil ». Les gouvernants ont-ils servi, ou desservi, la cause de leurs peuples ?
Partout à travers l’Europe, l’intégration culturelle a régressé. En France, l’école n’est plus guère en capacité d’accomplir sa mission de formation des citoyens de demain, ni même de protéger ses enseignants, dont la moitié déclare s’autocensurer par peur. Nous sommes ici au cœur du conflit de valeurs ou d’identité. Les chiffres sont sans appel : 74% des musulmans de moins de 25 ans déclarent « faire passer leurs convictions religieuses avant les valeurs de la République » – alors qu’ils sont 25 % pour les 35 ans et plus (Ifop).
Au collège, en Algérie, où la culture familiale et celle de l’école coïncidaient, nous étions 40 par classe et ne disposions que d’un seul et unique surveillant pour plusieurs centaines d’élèves. Nous n’avons jamais connu un seul incident. En France, l’Éducation nationale constitue le premier budget de l’État, et l’OCDE chiffre à 33 milliards d’euros par an la perte, pour la France, sur le poste immigration. Comment expliquer que d’aucuns persistent à réduire tous ces défis à une dimension socio-économique ?
L’électoralisme culturel
Les faux diagnostics se sont succédé, fatalement suivis de mauvaises décisions politiques qui ont condamné la France au châtiment du tonneau des Danaïdes. Lors des émeutes de juillet, la situation semblait, à tout moment, pouvoir échapper à tout contrôle. L’État a perdu son autorité. Et c’est dans ce contexte que le gouvernement s’entête à vouloir imposer un énième projet de loi immigration qui entend récompenser ceux qui auront réussi à se maintenir et à travailler sur le sol français, en toute illégalité, créant ainsi un gigantesque appel d’air.
Comment un tel État peut-il être respecté et espérer faire respecter la France ? Que les Français ne s’y trompent pas, la version adoptée par le Sénat ne répond en rien aux enjeux et défis des temps présents. Faire de surcroît peser le fardeau sur les épaules des préfets, qui ne pourront résister aux diverses pressions locales, rappelle furieusement la méthode Jospin, qui s’était dérobé lors de l’affaire du voile de Creil en 1989, renvoyant la balle à d’autres quand il aurait dû faire face. La suite est connue.
Année après année, la surface des « territoires perdus de la République » s’étend. Mais qui les a cédés au juste ? L’État a échoué à intégrer. L’importance des flux migratoires a rendu cette mission quasi impossible. Comme je l’avais développé devant Simone Veil qui m’auditionnait en 2008 dans le cadre de la révision du préambule de la Constitution, un groupe qui tire sa force de sa taille n’a aucun intérêt à laisser ses membres présumés s’intégrer. J’alertais alors sur la libanisation progressive de la France. Nous y sommes, et c’est pourquoi nombre d’élus versent dans l’électoralisme culturel. La souveraineté du peuple s’enfuit. La démocratie, c’est un homme, une voix. Or le code civil, qui imposait que l’octroi de la nationalité française, donc le droit de vote, soit subordonné à la réussite de l’assimilation, a été violé par ceux-là mêmes qui avaient la charge de veiller sur l’unité nationale.
Faut-il être frappé de cécité, cultiver le cynisme ou être dénué de tout amour pour ce « vieux sol béni déjà de tant de moissons » – pour paraphraser le résistant Marc Bloch – pour ne pas sentir que l’heure est grave, qu’elle exige une mobilisation générale et la restauration d’un gouvernement pour le peuple ? La politique du « en même temps » n’est plus de mise, pas davantage que les calculs politiciens ou partisans car, « tôt ou tard, la patrie submergée flotte à la surface et reparaît. Le vol d’un peuple ne se prescrit pas. Ces hautes escroqueries n’ont point d’avenir » (Victor Hugo).
MS
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