Une analyse de Francis Goumain, fin observateur de cette guerre absurde qui n’en finit pas :
Tout le monde a les yeux rivés sur Pokrovsk, la plaque tournante de la logistique ukrainienne dans le sud du Donbass. Las ! Depuis fin août, plus aucune avancée russe dans cette direction, ce qui fait dire aux commentateurs ukrainiens & Cie : voyez, notre offensive sur Koursk a stoppé net l’avancée russe dans le Donbass.
Visiblement les Ukrainiens n’ont pas chez eux l’équivalent d’un capitaine Lepic : en 1914, Lepic avait vu que l’armée du Kaiser ne marchait plus vers l’ouest pour encercler Paris, mais qu’elle se dirigeait vers le sud. Grâce à Lepic, Joffre avait pu concevoir sa contre-attaque de la Marne sur l’adversaire qui désormais prêtait son flanc.
2024, rebelote, les Russes, après s’en être suffisamment rapproché pour la neutraliser dans son rôle de plaque logistique, n’avancent plus en direction de Pokrovsk, ni d’est en ouest, ni du sud vers le nord : ils bifurquent plein sud et retombent sur les arrières des derniers assiégeants de Donetsk.
Le point d’orgue de la manœuvre, cela va être la chute d’Ugledar, c’est le point clé à retenir maintenant : Ugledar va tomber avant Pokrovsk. Pokrovsk n’est pas intrinsèquement une ville stratégique. Elle l’est que dans un certain contexte, mais d’ores et déjà, elle n’a plus aucune valeur offensive pour le camp ukrainien. Elle va éventuellement changer de rôle, elle ne serait plus le centre de la toile d’araignée autour de Donetsk, mais elle va devenir un verrou contre une éventuelle offensive russe vers le Dniepr – mais ce n’est pas demain la veille, ni techniquement, ni politiquement.
Dans l’immédiat, le point très positif, c’est qu’après plus de 900 jours de siège – record de Leningrad battu, 872 jours de siège à l’époque, durant la Seconde Guerre mondiale – le blocus de Donetsk s’achève. Comme par hasard, Ria Novosti s’est fendu d’une vidéo: 872 jours d’horreur et d’espoir : images d’archives de Leningrad. En attendant mieux, évidemment.
Ci-dessous, une carte schématique qu’on peut commenter en trois points :
I – La bifurcation vers le sud autour de Selydove
La case orange représente le point maximal de l’avancée russe vers Pokrovsk par la route nord. À partir de là, on s’attendait à la prise de Hrodivka et de Myrnohrad, mais au lieu de cela, on assiste à la prise de tout un archipel de petites localités au niveau de Slydove. Au début, on pouvait penser qu’il s’agissait de nettoyer les arrières en vue d’une offensive sur Prokovsk, mais au fur et à mesure, il devenait évident que les Russes avaient obliqué vers le sud, voire, revenaient sur Donetsk.
On peut rapidement citer Mezhove (21 août = début effectif du virage vers le sud), Orlikva (26 août), Komyshivka (27 août), Mykolaïvka (29 août), Novozhelanne (29 août), Ptyche (31 août), Skuchne (2 septembre) Karlovka (3 septembre = première impression nette d’un retour vers Donetsk), Zavitne (4 septembre), Zhuravka (5 septembre), Kalynove (6 septembre) , Novogrodivka (7 septembre) Memryk (8 septembre), Galitsynivka (ou Halystsunivka, le 9 septembre). Bien travaillé, n’est-ce pas, c’est ce que les Ukrainiens appellent une stagnation en direction de Prokovsk.
II – Échelon intermédiaire Kourakhove
Mais effectivement, Prokovsk n’a plus d’intérêt, les Russes repiquent vers le sud, et tout ce cheminement vers le sud vise Kourakhove, l’échelon logistique intermédiaire entre Prokovsk et Ugledar, le mouvement participe donc à l’isolement d’Ugledar. Cela dit, Kourakove est aussi attaqué depuis l’est, c’est ainsi que viennent de tomber hier Grigorovka (Heohiivka) mitoyen côté est de Kourakhove et Krasonohorivka, un tout petit peu au nord et à l’est de Kourakhove.
III – Pression directe sur Ugledar
Cette avancée (et sans doute prise imminente) de Kourakhove n’est qu’une des voies vers la prise d’Ugledar. Il y en a deux autres :
* À l’ouest d’Ugledar, les Russes ont coupé une autre route d’approvisionnement depuis Prokovsk. C’est ainsi qu’Urozhaine est tombée le 11 juillet et Prechistovka (3 septembre)
* Et puis, le plus spectaculaire, cette diagonale qui part de Marinka (juste au sud-ouest de Donetsk) :
Marinka est tombée le 26 décembre 2023,
Konstantinovka le 29 août (sachant que Novomykhailivka, mitoyenne de Konstantinovka à l’est, était tombée le 28 avril 2024,
Vodyane vient de tomber (9 septembre)
Quant à Pavlika, immédiatement au sud d’Ugledar, elle est déjà aux mains des Russes depuis novembre 2022.
Conclusion
On ne voit pas comment le système défensif ukrainien autour d’Ugledar pourrait tenir encore très longtemps. Il est certain maintenant qu’Ugledar tombera avant Prokovsk, voire avant Kourakhove.
La chute d’Ugledar marquera quasiment la fin du siège de Donetsk. Pour être tout à fait au clair, il faudrait quand même que la ville de Toretsk, au nord de Donetsk, tombe, mais cette dernière ville est déjà bien encerclée, avec New York (sic…) qui est tombée le 19 août, Zalizne qui est tombée le 18 août, Pivnichne qui est tombé le 29 juillet et Shumy qui est tombé le 28 juin.
On voit bien qu’avec tout ce qui est déjà tombé dans le Donbass, la soi-disant plaque tournante de Prokovsk n’a plus grand-chose à desservir. Mais ce qui va devenir intéressant à partir de maintenant, c’est de voir les intentions, les ambitions des Russes : est-ce qu’ils vont viser une victoire a minima et se contenter du Donbass ? On peut le craindre en voyant ce qui s’est passé dans la république de Loughansk. Les Russes n’ont pas cherché à aller plus loin que la limite administrative de l’Oblast. Ou est-ce qu’ils vont reconquérir l’Ukraine et infliger une défaite à l’OTAN qui ne l’aura pas volé ?
Francis Goumain
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