vendredi 15 novembre 2024

Les déserts médicaux en France

 

par Henri Schneider

C’est le problème récurrent, une sorte de serpent de mer, qu’utilisaient tous les ministres de la Santé successifs pour faire parler d’eux au début de leur mandat mais qu’aucun n’a vraiment pu (voulu ?) résoudre. Heureusement pour lui, François Braun a une dispense puisqu’il n’est là a priori que pour noyer le dossier des soignants suspendus.

Marisol Touraine, un précédent ministre de la Santé, avait évoqué le problème avec deux solutions préfabriquées et peu ou partiellement réalistes : la maison médicale et l’incitation financière. Les autres avaient à peu de chose près les mêmes non-idées issues du même niveau de non-réflexion. Sans déroger aux figures artistiques obligatoires du patinage politique, Madame Buzyn avait déclaré le dossier comme prioritaire et propose comme solution magique… exactement la même chose mais mâtinée de nouvelles technologie : la télémédecine. Donc évidemment rien ne va changer.

La première chose à faire avant d’aborder un tel sujet est de se débarrasser des images d’Epinal que nous véhicule le journal télévisé. Là un reporter à la voix atone vous lit son script sur un fond d’images sinistres : «regardez ce désert médical, cette campagne arriérée où l’on repère à des kilomètres à la ronde le cabinet médical parce qu’un embouteillage de 2CV hors d’âge se forme dans toutes les directions». En général, hasard ou pas du calendrier, ce genre de reportages hautement documenté est diffusé au moment même où le ministre essaye d’exister médiatiquement en abordant le sujet.

Il faut donc envisager cet épineux souci du désert médical d’une façon beaucoup plus simple, en listant les causes et en essayant de suggérer quelques solutions possibles raisonnablement envisageables. Le pathos et la synthèse ne font pas bon ménage. Il existe en effet des causes structurelles, conjoncturelles et sociales à ce problème qui à force de ne pas être résolu, devient inextricable.

Deux exemples pour comprendre les données du problème

Les deux exemples que nous prendrons sont différents en tout à l’exception d’un seul critère : ils décrivent des situations pour une population de même taille. Considérons le département de la Lozère et la ville de Colombes en proche banlieue parisienne.

Le premier département compte environ 77 000 habitants alors que la ville de Colombes en compte 84 000, c’est-à-dire une différence d’environ 10%. Il y a 41 généralistes et 51 dentistes référencés dans les pages jaunes à Colombes en 2023 (il y en avait respectivement 56 et 43 en 2019) contre 52 généralistes et 27 dentistes dans l’ensemble de ce département du Languedoc (contre respectivement 61 et 42 en 2019). Il y a un hôpital de niveau CHR à Colombes (Louis Mourrier) et un hôpital de jour, tandis que la Lozère en compte onze toujours selon les pages jaunes.

Lequel des deux est un désert médical ? D’après ces chiffres, la Lozère dispose d’un meilleur tissu médical que Colombes à population égale. Mais par km², qu’en est-il ?

Le seul constat évident avec ces chiffres est que dans ces deux exemples, la désertification médicale est en cours.

Un concept qui cache deux réalités

La comparaison absurde que nous avons faite au dessus n’a qu’un seul but : introduire l’idée que derrière ce concept fourre-tout du «désert médical»se cachent en fait deux problèmes bien distincts.

L’éloignement par rapport aux structures de soins

Instinctivement c’est à cela que l’on pense en parlant de désert médical. C’est une réelle difficulté d’accès aux soins voire un obstacle définitif qui gène surtout les personnes peu ou pas mobiles. Évidemment dans cette catégorie rentrent les personnes âgées, les marginaux, les exclus de la société. Ce sont malheureusement statistiquement les personnes qui ont le plus de besoin de prise en charge. Souvent les transports publics n’ont pas la souplesse nécessaire pour palier au problème. Cette situation est évidemment majoritairement rurale et en y réfléchissant bien, on s’aperçoit qu’elle existe depuis toujours.

Par ailleurs, il peut exister un éloignement «social»qui est en fait une exclusion. Peu importe la distance, ces personnes n’iront pas voir de praticiens car ils rejettent la société dans son ensemble. Ici la solution n’est évidemment pas médicale.

La sous-dotation médicale

Avec cette notion, nous avons accès à une analyse un peu plus fine que ce que nous aurait donné la simple lecture de la carte. Il convient de considérer le nombre de praticiens par spécialité, médicaux ou paramédicaux, hôpitaux et cliniques… par habitant de la zone géographique concernée. Cette notion est suggérée par l’exemple de la ville de Colombes très peuplée mais où la couverture médicale est assez faible (plus de mille patients par généraliste, un hôpital pour 80 000 personnes…).

Bien sûr en ce qui concerne une région urbanisée comme la région parisienne, il y a des biais dans le raisonnement car une ville en particulier en banlieue n’est pas une entité géographique étanche. Les patients peuvent se faire soigner ailleurs, dans d’autres hôpitaux… ce qui n’est guère envisageable dans un grand département comme la Lozère.

La conséquence de cette situation est l’augmentation des délais d’attente pour obtenir une prise en charge, c’est un éloignement comme dans le paragraphe du dessus mais compris dans le sens temporel.

La combinaison des deux

Malheureusement, dans de nombreux départements de province, la réalité est en fait la combinaison de l’éloignement des malades par rapport aux soignants et de délais d’attente absolument délirants (quelques fois plusieurs mois pour des consultations spécialisées comme l’ophtalmologie). Nous ne sommes plus dans une situation de désert médical mais dans le chaos médical. La nuance est de taille car dans ce cas ni les praticiens ni les patients ne peuvent plus rien gérer. Tout le monde subit.

Les causes

De façon assez étrange, quand la télévision, les pouvoirs publics parlent de déserts médicaux, ils ne proposent aucune analyse sur les causes. Évidemment, ces augustes institutions ont alors le champ libre pour proposer «leur solution» sans qu’aucune critique ne soit possible. Au pire ils accusent les praticiens libéraux de s’installer tous au même endroit et ainsi ils seraient à eux seuls responsables du chaos sanitaire français. C’est confortable mais très éloigné de la réalité.

Les causes structurelles

Le numerus clausus : la France manque de médecins à tel point qu’elle en importe

Tout le monde sait que depuis 1971, le nombre de médecins que l’on forme est régi par un numerus clausus. Formés en grand nombre avant, puis de façon de plus en plus réduite progressivement, avec en plus l’allongement de la durée du cursus médical (nous sommes à dix ans pour un généraliste), les médecins sont de moins en moins nombreux. Ils étaient 8500 au départ admis en deuxième année mais seulement 3500 de 1991 à 1998 pour remonter vers 9300 de nos jours. Il est bien évident que jamais la population française n’a suivi cette évolution démographique.

Sans être trop polémique, on peut légitimement considérer que, sous prétexte de «diminuer les dépenses de santé»1, en clair les remboursements de la branche maladie de la Sécurité Sociale et son déficit abyssal mais néanmoins chronique, les pouvoirs publics ont organisé la pénurie. Diminution de l’offre, sans prise en compte des besoins publics et pour des raisons idéologiques, les Français devraient apprécier à sa juste valeur. On connaît le brillant résultat de cette politique.

Cette cause par ailleurs introduit une seconde notion : le rôle réel du ministère de la santé qui n’est en fait que l’administration en charge du budget des remboursements médicaux. La nuance est de taille.

Mais, une réponse complète à l’existence de déserts médicaux ne peut se réduire à cette cause, même primordiale.

Une réalité non planifiable

Outre la diminution du nombre de praticien par «unité de territoire», c’est aussi l’augmentation de population qui déstabilise le système de soins et qui crée des déserts médicaux.

Ce déséquilibre n’est ni le fait du libre choix du praticien, ni celui des politiques de santé publique mais uniquement du fait de l’organisation du territoire ou de ses transformations.

S’il faut au moins dix ans pour former un médecin, il n’en faut pas plus pour doubler la population d’une commune en zone «rurbaine». Or le praticien qui exerçait initialement dans cette ville voit son exercice transformé et sa charge de travail augmentée. C’est ainsi que des communes de province de l’Eure-et-Loir, de l’Eure, de l’Oise, de l’Aisne, de la Marne… à proximité de gares qui les relient directement à Paris ont vu leur population augmenter et ce sont trouvées en situation de «désert médical» sans être pour autant des zones arriérées.

De même, des modifications de l’habitat (des pavillons détruits remplacés per de petits immeubles) peuvent considérablement transformer un quartier et accroître le nombre de patients. Enfin les modifications sociologiques de certains quartiers peuvent les rendre totalement répulsifs (zones de non droit).

Le seul moyen d’éviter ces situations est de maîtriser le développement du territoire et d’être capable de planifier ses modifications. Un Français sur six vit en région parisienne. Un sur deux dans les cinq plus grandes agglomérations françaises et certainement deux sur trois dans les vingt plus grandes villes et leur périphérie. Vaste sujet…

Une attractivité en panne

Le troisième point important est le manque d’attractivité de certains territoires : zones urbaines abandonnées, zones rurales isolées… Ce point sera largement développé dans d’autres paragraphes, en particulier celui de la sociologie médicale.2

Une réflexion des pouvoirs publics en retard de 90 ans

C’est une des conséquences de la remarque finale du premier paragraphe. Le ministère de la Santé a perdu tout rôle de planification, de gestion pour se concentrer uniquement sur la maîtrise des dépenses de la Sécurité sociale, aiguillonné par Bercy, Matignon et l’Élysée on s’en doute. Certes, il a délégué une partie de la gestion aux agences régionales de santé (les fameuses ARS) mais dans la vie quotidienne d’un praticien libéral ARS = zombie.

Ce défaut d’analyse et de prospective, entaché d’une culture politique soviétoïde a réduit les capacités d’analyse du mammouth de l’avenue Duquesne à deux notions simplistes.

  • Médecin = notable. Il gagnera toujours assez d’argent. Aucun investissement n’est envisageable. De plus, en bon notable, c’est forcément un homme et sa femme a arrêté de travailler pour suivre son mari.
  • La médecine est soit libérale, soit hospitalière. Il n’existe pas de situation intermédiaire sauf dans le cas de la médecine administrative qui n’a évidemment pas de vocation curative (médecine du travail par exemple).

Il est clair qu’aucune de ces eux notions ne pourra régler le problème des déserts médicaux, sinon cela se saurait. Donc on sent vraiment que les pouvoirs publics rêvent d’un système de type NHS (sectorisation, attribution obligatoire du praticien, tarifs encadrés…) en le maintenant sous le régime de financement à l’acte prévu par la sécurité sociale (qui est un absolu indépassable de «justice sociale»selon l’idéologie dominante) en laissant les médecins investir à vie dans leur cabinet. Cela ressemble à une collectivisation des contraintes pour le praticien associée à une privatisation de la gestion quotidienne dans l’enveloppe impartie. Qui veut de ce marché de dupe ?

Sociologie médicale

En continuant la réflexion entamée dans le paragraphe précédent, il est intéressant de se pencher sur la réalité des personnes qui exercent la médecine (et oui ce ne sont ni des esclaves, ni des robots).

Les médecins (attention quand j’écris médecin c’est par souci de simplification, il s’agit de l’ensemble des professions médicales et paramédicales, disons les soignants) sont des personnes qui ont une vie sociale et familiale, ou qui n’en sont pas exclus systématiquement sous prétexte d’exercer une profession médicale.

Suivant les évolutions sociales de notre temps, au même titre que tout autre citoyen, ils se lient ou se marient avec des personnes qui elles aussi travaillent ; c’est d’autant plus vrai que ces praticiens sont des femmes. La catégorie socioprofessionnelle de leur conjoint devant être la même que la leur (on peut le supposer – c’est du moins une base de réflexion validée par la statistique) et puisqu’ils ont la volonté de vivre sous le même toit, ils s’éloignent des zones rurales où l’emploi qualifié à très qualifié est rare pour se rapprocher des zones urbaines ou péri-urbaines.

Ainsi, hommes et femmes intégrés à leur époque, les médecins se comportent comme leurs contemporains. Ils vivent aux endroits qu’ils connaissent, avec des personnes du même monde qu’eux, du même niveau de formation souvent et ont les mêmes aspirations. Et aucun de ces aspects ne correspond plus à l’image d’Épinal qu’on nous ressert à chaque évocation des «déserts médicaux».

Le ministère et les politiques nous donnent l’impression que l’image du «médecin de famille»est immuable. Il doit être à la fois désintéressé, notable et enraciné (notons que c’est le dernier indigène de la République qui a le devoir d’arborer encore ces attributs). Sa réalité est tout autre : il est soumis à toujours plus de tracasseries administratives dont il ne comprend ni les tenants ni les aboutissants, sous payé, servant d’amortisseur social d’un monde en pleine transformation, prêtre, moine et esclave d’un système d’assurance maladie obligatoire à bout de souffle. On le veut gardien des derniers moutons de nos campagnes et missionnaire laïc des quartiers difficiles où l’État se refuse à exercer ses fonctions régaliennes. Ce dernier préfère culpabiliser les quelques initiatives privées et personnelles qui s’y risquent encore, mais ce serait oublier bien vite qu’il a sa part de responsabilité aussi dans l’aménagement du territoire, à cause d’une nouvelle répartition de la population et donc de déséquilibres ponctuels du ratio patient/praticien.

Les causes rurales

Les étudiants qui se destinent aux professions médicales sont issus pour leur très grande majorité, voire presque exclusivement, des classes moyennes et classes moyennes supérieures. Ces catégories professionnelles vivent quasi exclusivement en ville car elles ne peuvent exercer un emploi à la mesure de leur qualification qu’en zone urbaine ou péri-urbaine. Les futurs carabins sont des citadins à plus de 80% et si on poussait les statistiques encore plus loin on verrait qu’ils sont issus moins des villes moyennes provinciales que des périphéries des très grandes zones urbaines. Donc, à moins d’un attachement régional très fort, une installation en zone rurale ou très rurale serait un déracinement. Vivre à la campagne ne signifie pas vivre à la ville avec moins de personnes autour.

Enfin les études sont longues, au moins dix ans pour un spécialiste en médecine générale. Pendant cette période, l’étudiant est à la charge de ses parents. Si ces derniers habitent loin des centres de formation, qui sont tous dans des capitales régionales, ils doivent payer, c’est en fait l’essentiel du coût de la formation, le logement et la nourriture de leur enfant pendant au moins six ans.

Au-delà, passé l’internat, l’étudiant bénéficie d’une rémunération, faible mais qui lui permet de s’assumer.

En France, le système des bourses n’est guère préformant et les logements étudiants publics sont assez rares. Il devient donc difficile de penser à de telles études pour un jeune homme ou une jeune fille issue du monde rural et défavorisé, même s’il en a les capacités intellectuelles.

À titre de comparaison, un étudiant capable d’intégrer les grandes écoles sera pris en charge beaucoup plus tôt. L’État se montre ici beaucoup moins performant que l’Église des temps plus anciens qui formait gratuitement dans ses séminaires les futurs clercs.

Le dernier point est lié à l’organisation totalement chaotique de la première année du concours médical. C’est une véritable machine à détruire les candidats, un rouleau compresseur. Il est très difficile de s’en sortir sans recourir à des formations complémentaires très onéreuses. Ainsi, les étudiants les moins aisés sont éliminés des carrières médicales avec la caution vertueuse de la méritocratie républicaine alors que c’est juste un abattoir sordide. C’est d’autant plus vrai ces derniers temps, que ce cursus connaît une réforme par an.

Les causes urbaines

Éliminons d’entrée la tarte à la crème : personne (au sens statistique bien sûr, il peut exister quelques expériences individuelles) ne veut librement s’installer dans une zone de non droit si caractéristique de nos banlieues miteuses. À titre d’exemple, il n’y a plus de gynécologue libéral à Épinay sur Seine depuis plusieurs années. Ce n’est même plus un «défaut d’attractivité compétitive du territoire»comme dit Bercy, c’est une question de survie.

Le revers de la médaille est que les zones urbaines huppées sont au pire bien dotées mais le plus souvent surdotées médicalement. La liberté s’exerce d’autant mieux qu’elle est associée à la qualité.

D’un autre côté on peut écarter l’encombrante épine de la rémunération des praticiens. En effet grâce aux miracles de la collectivisation à outrance de la prestation d’assurance maladie, les tarifs médicaux sont opposables (les praticiens ne sont pas censés les dépasser) quelques soient les frais fixes du praticien. Inutile de préciser qu’un loyer dans le triangle d’or du huitième arrondissement n’a que peu de choses en commun avec un loyer à Noisy-le-Sec. En conséquence, la rémunération des praticiens devrait être bien meilleure après charges dans cette riante commune de Seine Saint Denis plutôt que dans cet arrondissement parisien. Bizarrement personne n’y va.

Pour conclure ces deux derniers paragraphes on ne pourrait écrire qu’une seule phrase : il n’y a plus de médecin de campagne en France parce qu’il n’y a plus de France rurale.

On pourrait bien sûr rajouter dans ce développement qu’il n’y aura pas de médecins dans les «quartiers» tant qu’ils ne seront pas eux-mêmes issus des «quartiers». Mais auront-ils à cœur, comme beaucoup de leurs aînés des générations précédentes, de retourner où ils ont grandi pour contribuer à l’amélioration sanitaire de ces zones urbaines ? En tous cas, malmenés par les «expériences» éducatives de l’Éducation nationale, ces candidats partent tout de même avec un sérieux handicap au concours face à leurs concurrents des quartiers bourgeois qui ont pu recevoir grâce à leurs parents une éducation bien plus solide et très souvent payante.

Le rôle délétère de l’assurance maladie obligatoire

La responsabilité de l’État est aussi évidente dans la perte d’attractivité du statut médical libéral.

Ce statut est historiquement celui de l’exercice hors de l’hôpital, de la clinique. Il est difficile et exigeant et impose de celui qui y adhère d’être à la fois un technicien de son métier mais aussi un chef d’entreprise, un employeur parfois, un psychologue… bref beaucoup plus qu’un professionnel du diagnostic, du traitement ou de la prescription.

Ce ne sont pas les oboles des tarifs obligatoires de la sécurité sociale qui vont contribuer à rendre le statut libéral follement enthousiasmant. D’ailleurs qui les fixe ? Le ministère de la dépense publique d’assurance maladie ; encore lui ! En théorie c’est conventionnel mais en pratique les syndicats se voient imposer les diktats étatiques à chaque fois. Pour exemple je citerais le tarif de la consultation en France qui est de 25€, 45 € en Irlande, Espagne et Portugal, plus encore en RFA, Italie et Suisse.

Les contraintes fiscales

Même si l’État est encore une fois responsable, il n’a pas délégué la catastrophe au ministère des solidarités mais à leur collègue du quai de Bercy.

Les contraintes idéologiques du collectivisme ambiant de notre social-démocratie performante imposent une imposition progressive, donc d’autant plus élevée que les revenus le sont. Malheureusement ces catégories sont celles des médecins qui se voient donc imposer au maximum sur leurs tranches les plus élevées. De ce fait, comme nous avons affaire à des scientifiques pas trop stupides, ils se posent la question de savoir si une augmentation de leur temps de travail a un réel impact sur leur niveau de vie. Comme la réponse est non, il n’est pas étonnant de les voir aller au tennis, à la pèche, au golf… qu’au cabinet pour transformer des dépenses d’assurance maladie obligatoire en recettes fiscales.

L’offre de soins en diminue d’autant, amplifiant le phénomène de sous dotation médicale.

La féminisation

La cause suivante est la féminisation des métiers médicaux que nous avons déjà évoquée et développée au dessus. Il y a d’ailleurs une telle sur représentation des filles dans les études médicales (je ne parle pas des infirmières ni des sage-femmes qui sont historiquement fortement féminisées) qu’on peut se demander si le concours de première année n’est pas une machine à sélectionner les filles.

Actuellement, plus de soixante pourcents des étudiants admis en première année sont des jeunes femmes qui deviendront par la suite des femmes avec des responsabilités, des mères.

De façon schématique il est difficile de demander à une femme de choisir entre être mère ou médecin. Celles qui ont choisi cette profession doivent pouvoir concilier les deux aspects de leur vie. Le statut libéral et l’exercice en zone sous médicalisée imposent des choix exclusifs.

Les jeunes praticiennes n’ont ni le même parcours professionnel que leurs confrères hommes, ni les mêmes aspirations, ni les mêmes obligations sociales ou familiales. Elles choisissent plus volontiers un exercice salarié et des horaires réduits car en tant que femmes et mères pour une partie de leur vie, la plus importante car la première, elles exercent en toute légitimité ce droit immémorial de se consacrer à leur famille.

Le phénomène de sous dotation médicale augmente d’autant et l’offre diminue avec.

Les solutions

Pour contrebalancer l’éloignement des structures de soins

C’est presque le plus simple à régler en essence et dans le temps. Encore une fois séparons la situation en deux catégories.

Je rappelle quelques contraintes à surmonter : des médecins majoritairement urbains, peu enclins à s’installer en zone rurale qu’ils ne connaissent pas, une activité très mal rémunérée, un exercice qui ne favorise pas la socialisation du praticien.

1. La première est celle des soins courants

Des traitements réguliers, de la prévention, des soins de ville, de la surveillance des patients à risque… Pour cela il y aurait deux possibilités :

  • la présence à temps partiel de praticiens en des points donnés (par exemple les maisons médicales) avec des contrats à inventer car l’exercice libéral strict serait un carcan dans ces cas-là.
  • créer un maillage territorial d’officiers de santé, des infirmiers confirmés formés en conséquence qui remplaceraient les médecins sur des zones reculées, qui seraient des intermédiaires entre les patients et tout le corps médical plus spécialisé. Cette solution permettrait d’avoir des acteurs de santé efficaces, enracinés (les infirmiers sont issus en général de milieux sociaux plus modestes que les médecins), moins coûteux que les médecins, aussi efficaces sur la plupart des suivis et reliés dans des réseaux régionaux. On pourrait envisager ces officiers de santé comme des officiers ministériels et rémunérés non à l’acte mais fonctionnaires. Leur mission de service public semble ici évidente.

Malheureusement, aucune de ces solutions ne résout les contraintes liées à la médecine technologique ou nécessitant des investissements importants (radiologie, analyses médicales, chirurgie). Dans ce cas, seul le déplacement du patient est envisageable, ce qui signifie des transports en ambulance.

La télé médecine pourrait trouver dans cette organisation une place de choix, l’officier de santé serait alors un excellent relais du médecin opérateur à distance.

Depuis plusieurs années des réformes vont dans ce sens avec des possibilités de spécialisation technique des infirmières, des assistantes dentaires voire des passerelles entre professions paramédicales et médicales. Il n’existe cependant pas de réelle profession d’«officier de santé» telle que définie plus haut.

2. La seconde catégorie est celle de soins d’urgence

Dans ce cas la rapidité d’action est gage de réussite et de survie du patient.

En analysant ce que signifie survie, nous pourrons dégager et comprendre comment organiser un tel service.

Dès la déclaration de la situation d’urgence il faut avertir une personne compétente en médecine. Les services téléphoniques des SAMU, les éventuels officiers de santé, les pompiers secouristes, les simples citoyens formés au secourisme peuvent jouer ce rôle de premier intermédiaire.

Il n’est pas nécessaire d’avoir immédiatement un médecin urgentiste sur place (sinon il en faut un dans tous les chefs lieus de canton avec un taux d’activité de l’ordre de cinq pourcents, très cher et très peu efficace).

Si le malade demande une hospitalisation ou une prise en charge plus lourde, il faut pouvoir le transporter vite, voire très vite.

«Peu de temps»signifie soit faible distance et donc une multiplication de petites structures de soins (donc très chères et à faible taux d’activité) soit des moyens de transport rapides comme l’hélicoptère et une centralisation des moyens techniques sur un ou quelques hôpitaux par département. L’armée libère chaque année de nombreux pilotes expérimentés qui pourraient parfaitement convenir. Il reste à financer le parc aérien.

Dans ces deux cas le principe pour régler l’éloignement médical est assez simple :

 faire un maillage de proximité avec des professions paramédicales formées pour l’occasion

 centraliser les moyens lourds et coûteux (praticiens et plateaux techniques qui ne vont pas l’un sans l’autre),

 relier les deux avec des moyens mobiles rapides pour les cas les plus graves.

 utiliser la télémédecine en appui d’un professionnel sur place.

Contre la sous-dotation médicale

Il s’agit de considérer par zone géographique le nombre moyen de patients par praticien, par hôpital, par infirmier-ère, par ce que l’on veut en fait. Certes l’approche est simpliste car de nombreux facteurs peuvent rentrer en considération. L’exemple le plus connu est celui des centres-villes qui attirent une forte proportion de praticiens alors que la population vit plutôt en périphérie. Il faut donc pour ce critère prendre des zones de cohérence.

Un des facteurs très influent sur ce ratio est la modification de la structuration urbaine. En effet, nombre de banlieues pavillonnaires voient leur population augmenter car les anciens pavillons qui abritaient jadis une seule famille se voient transformées en petits ou grands immeubles et logent désormais quinze, voir plus de familles. Rarement, les structures de soins s’adaptent aussi vite. Jamais en fait.

Il faudrait que des organismes publics, et le travail est assez simple, centralisent les informations démographiques sur une zone géographique donnée. Les ARS trouveraient ici une réelle mission.

En compilant les constructions de logements, l’âge des populations, les départs, la démographie professionnelle, elle pourrait faire une carte utile à la fois pour les pouvoirs publics et les praticiens.

Les premiers constateraient les zones de réels besoins où un système identique à celui décrit pour les campagnes pourrait être mis en place (maisons médicales, officiers de santé…)

Les seconds sauraient où leur activité libérale aurait un sens et leur assurerait un niveau de vie digne de leur formation, de leur investissement. Dans ce cas, l’intervention de la collectivité ne dépasserait pas celle que nous connaissons avec la Sécurité sociale.

Le second point important qui va jouer sur ce rapport est la diminution du nombre de médecins formés sans rapport avec les besoins réels de santé. Il nous faut donc des professionnels de santé, si possible parlant le français. Là encore, il y a un moyen très simple mais que jamais l’idéologie dominante acceptera : dispenser les praticiens d’impôts sur le revenu pour les sommes issues de leur exercice. Immédiatement nous aurions de la prestation médicale de qualité en attendant la relève.

Nous pouvons remercier ici la gestion calamiteuse du numerus clausus par les pouvoirs publics et par le ministère qui n’est plus «de la santé»depuis longtemps. Il n’est que l’administration de gestion des dépenses d’assurance maladie obligatoire. La mission à laquelle il échoue avec opiniâtreté chaque année est de faire rentrer les dépenses effectives dans le PLFSS décrété aussi arbitrairement qu’un plan quinquennal soviétique. Cette stratégie rate si régulièrement qu’on peut légitimement se poser la question si le but du PLFSS n’est pas d’être dépassé de sorte qu’on puisse justifier de nouvelles mesures coercitives envers les professionnels de la santé tandis que l’exécutif s’évertue à distribuer des droits à n’importe qui ou presque avec des financements plus que fantaisistes.

Autres considérations

Le dernier point auquel il faudrait sérieusement réfléchir aussi est sur l’efficacité du système de financement de la Sécurité sociale, en particulier pour sa branche maladie. Le système est tellement complexe qu’il génère une véritable insécurité sociale de l’employeur qui se doit d’être un expert en cotisations sociales.

Les conséquences sont simples : la fuite du travail en dehors des frontières et donc des cotisations attenantes, la fuite des capitaux et donc des contributions correspondantes, les montages financiers qui permettent de la défiscalisation et donc une fuite des capitaux.

Le système de contribution n’est pas aussi exempt de reproche sur le fondement de son calcul. En effet la France est, à moins d’une erreur, le seul pays à faire de la cotisation sur un montant déjà dépensé en cotisations avec la CSG et la CRDS «non déductible»mais bien payante. Ce mensonge d’État tourne à l’escroquerie, à l’abus de puissance publique caractérisée.

Enfin il existe un dernier point qui prend une importance alarmante ces dernières années et dans lequel il est possible de dégager la responsabilité publique sur une longue durée, non forcément par l’intermédiaire du ministère de la santé, mais aussi par celle de l’Éducation nationale. Les jeunes praticiens refusent massivement de s’engager dans une activité libérale traditionnelle à cause des contraintes qu’elle implique et par paresse structurelle. Les exercices salariés sont plébiscités ; la rentabilité du système est très faible, les praticiens en âge de prendre leur retraite sont ruinés à cause de la dévaluation de leur cabinet, de leur vie de travail. Cette frange de la classe moyenne s’appauvrit.

Les mesures ministérielles

Les maisons médicales sont-elles une solution à tous ces problèmes ?

Leur principal avantage est de regrouper au même endroit plusieurs praticiens ou plusieurs spécialités. Les médecins pourront peut-être en tirer profit en diminuant leurs charges mais de façon marginale. Elles risquent au contraire de détendre encore plus le maillage géographique des zones rurales en restreignant toute installation à ces dites maisons médicales. Les praticiens en fin de carrière perdraient la valeur de leur cabinet, du travail d’une vie. Malheureusement c’est déjà fait.

Le véritable souci est l’attractivité d’un territoire mal desservi. La solution nous l’avons vu passe par l’enracinement des futurs praticiens et par le développement économique des trois quarts de notre pays. Malheureusement, elles pourraient être un premier pas vers une organisation étatique et administrative de l’offre de soins dont les praticiens ne veulent pas.

A la lumière de ce que nous avons exposé au dessus, on peut cependant envisager la maison médicale comme un poste avancé de soins, une «gendarmerie»sanitaire, dépendant non de l’initiative personnelle des praticiens qui n’y viendront jamais mais de la volonté de l’État qui doit manifester son rôle régalien en considérant la santé de sa population comme une richesse et non comme une dépense.

Une révolution culturelle à faire !

Quant à l’incitation financière, ce n’est qu’une carotte grotesque car le souci de ces zones n’est pas tant le revenu que l’on peut en tirer mais le temps et la qualité de vie que l’on peut y avoir. D’autant plus que le recours systématique des pouvoirs publics à des médecins étrangers dans les zones et les hôpitaux en déshérence laisse mal présager des suites possibles et réelles de ces mesures. Les précédents où des départements ont payé à des jeunes une partie de leurs études en contrepartie d’un «temps d’exercice obligatoire»n’ont pas connu un succès massif.

Enfin la télémédecine est un dispositif intéressant mais limité justement à la médecine. Il n’est pas sans risque. Ce concept est incompatible avec la chirurgie même petite (pensons à la chirurgie dentaire par exemple), avec la médecine technologique. Elle doit être intégrée à un réseau centré sur la présence d’un professionnel. Donc elle ne peut être une solution globale. Le présenter comme cela dans les médias relève de la magie, pas de la réflexion (mais la magie est bien plus payante que la réflexion. Il paraît que certains exemples récents le prouvent très bien…)

Au final, au fil de ce développement, nous nous apercevons que le pouvoir politique est responsable de cette situation par aveuglement, incurie, imprévoyance et idéologie. Nous pouvons sincèrement émettre des doutes sur ses capacités à y mettre fin. Les mesures coercitives n’aboutiront à rien d’autre qu’à mettre la médecine française, déjà largement éventrée par la Sécurité Sociale, au pire rang des pays collectivistes.

source : Stratpol

https://reseauinternational.net/les-deserts-medicaux-en-france/

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