L’essai d’Herbert van Leisen sur Mirabeau a la valeur d’une découverte. Car il y a des découvertes en histoire comme dans les sciences. Et les pages qu’il a écrites renouvellent en entier l’histoire des origines de la Révolution.
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Par Jacques Bainville
Il n’est pas excessif de dire que, jusqu’à une date tout à fait récente, ces origines ont été incomprises et méconnues. En étudiant Mirabeau, en pénétrant sa pensée, en expliquant son action, M. Herbert van Leisen fait apparaître et corrige une longue suite de contresens.
En gros, Mirabeau a été le seul vrai monarchiste de son temps. Il était dans l’esprit de Louis XV, selon une conception dont Louis XVI s’était écarté, comme nous l’avons indiqué brièvement dans notre Histoire de France. Ceci demande un mot d’explication.
La monarchie française existait depuis huit siècles et elle n’aurait duré aussi longtemps si, au cours des âges, elle ne s’était transformée et adaptée. Le pouvoir royal n’était pas sous Louis XIV ce qu’il était sous Robert le Pieux ou Louis le Gros, ni même sous Louis XIII, quand l’habitude du « ministériat » avait prévalu et quand le premier ministre gouvernait au nom du roi.
Au XVIIIe siècle, un besoin de réformes profondes était apparu. La monarchie dans la tâche de gouverner et d’administrer, trouvait devant elle un obstacle. Et cet obstacle était un pouvoir judiciaire et législatif, les Parlements, munis d’une telle autorité qu’ils étaient capables de tenir la royauté en échec. Défenseurs des traditions, des coutumes et des droits acquis, les Parlements interdisaient tout progrès. La suppression des abus n’était qu’un mot lorsqu’une institution puissante et indépendante comme celle-là intervenait pour les maintenir et repoussait jusqu’aux impôts les plus nécessaires. À la fin, Louis XV voulut en finir avec cette espèce de Fronde sèche. Le Parlement de Paris fut cassé. Un nouveau régime judiciaire, qui retirait aux corps de magistrats leur omnipotence, fut établi. Ce fut ce que les contemporains, qui avaient bien compris l’importance de cet acte politique, appelèrent la « révolution » de Maupeou.
Lorsque Louis XV mourut, le nouveau système était en voie d’application. Le pouvoir royal affranchi et renforcé pouvait travailler aux réformes. Des agents directs de ce pouvoir, animés d’un esprit réformateur, de grands intendants comme Turgot, ont incarné cette politique qui, sans bouleversement violent, devait moderniser la France. En résumé, Louis XV, en brisant la puissance parlementaire, résidu de la féodalité, avait continué ses prédécesseurs, fondateurs de l’État français.
Louis XVI succède à son grand-père. Qu’arrive-t-il ? La politique de Louis XV est abandonnée. Et pourquoi l’est-elle ? Parce que Louis XVI avait été élevé et nourri dans des idées entièrement différentes. Louis XV suivait la méthode de Louis XIV. Louis XVI suivait l’école du duc de Bourgogne.
On s’est demandé souvent, non sans soupir, ce que le règne du duc de Bourgogne eût été. On en a fait une sorte de Marcellus. Inutile de chercher à reconstituer l’histoire et de se perdre en regrets. Le duc de Bourgogne a régné sous le nom de Louis XVI et cela n’a pas bien fini.
Louis XIV, qui ne détestait pas Fénelon sans cause, avait vu le danger. La petite chapelle des beaux esprits chimériques qui entouraient le duc de Bourgogne était imbue d’idées féodales accommodées au goût d’une sorte de démocratie chrétienne. Le duc de Saint-Simon, intraitable sur les privilèges de la noblesse, bien que la sienne ne fût pas de date si ancienne, y collaborait avec Télémaque. Ce mélange était purement rétrograde avec des prétentions réformatrices.
Selon une formule véritablement romantique, le goût de l’archéologie s’y mariait au snobisme du progrès. On était vieille France, on ressuscitait d’antiques institutions d’ailleurs mal comprises, et l’on se peignait un âge d’or qui devait assembler le passé et l’avenir, le présent seul étant une corruption effroyable.
Les chapelles politiques ressemblent aux chapelles littéraires, à cette différence près qu’elles sont beaucoup plus dangereuses. La chapelle fénélonienne et saint-simonienne qui avait entouré le duc de Bourgogne avait laissé une tradition qui fut transmise à Louis XVI par son père. Dès que Louis XVI fut le maître, quel fut son premier mouvement ? Il rétablit les Parlements. Louis XVI estimait que Louis XV avait altéré le caractère de l’ancienne monarchie patriarcale et féodale, appuyée sur les grands corps intermédiaires et sur le peuple, idylle et chimère de Fénelon, par où, depuis, avait passé Montesquieu.
Sans nous étendre plus longuement, car il faudrait des développements considérables, on s’explique ainsi ce que la politique de Louis XVI eut de décousu et d’irritant, de déconcertant et de contradictoire. Ce fut aussi puérilement réactionnaire que puérilement progressif. Un acte presque inintelligible, qui l’eût été certainement pour Louis XIV, comme la réforme militaire de Ségur et l’exigence des quartiers de noblesse pour les officiers, se comprend quand on sait le rôle que le « second ordre » tenait dans la théorie. Et la théorie voulait aussi la convocation des États généraux, la consultation des trois ordres et du bon peuple, alors que la convocation des États généraux devait faire tout sauter, ce qu’on savait fort bien depuis 1614, si bien que Louis XIV et Louis XV n’avaient jamais voulu de ce remède qui était un poison, de cette dernière et périlleuse ressource des temps difficiles et troublés.
Lorsque Louis XVI eut rappelé le Parlement, l’eut restauré dans sa puissance, il ouvrait la Révolution. Car le conflit entre la monarchie et le Parlement ne manqua pas de renaître. Il redevint tout de suite aigu, il le fut plus encore par la crise financière et, pour le résoudre, il fallut faire appel à l’arbitrage des États généraux.
Dans la grande confusion d’aspirations et d’idées qui éclata alors, on comprend ce que voulait Mirabeau. M. Herbert van Leisen rend son rôle tout à fait clair. La politique de Mirabeau c’était de reprendre celle de Louis XV. Il ne fut pas compris et il ne pouvait pas l’être. Cléry, le valet de chambre de Louis XVI, a raconté qu’un jour, pendant la Révolution, traversant aux Tuileries la bibliothèque, le roi murmura en désignant les œuvres de Voltaire et de Rousseau : « Voilà ce qui a perdu la France ». Il aurait pu, à tout aussi juste titre, montrer les œuvres de Fénelon. Sans le rappel du Parlement, faute initiale de son règne, nous aurions eu un État moderne en épargnant à la France des convulsions terribles, un hiatus immense avec le passé et les funestes exagérations de la table rase révolutionnaire. Toutes les bonnes intentions de Louis XVI ont été anéanties par un système faux.
On a déjà réhabilité la politique extérieure de Louis XV. Il resterait à réhabiliter sa politique intérieure. Ce travail éclairerait toutes les origines de la Révolution. Je me permets de le conseiller à M. Herbert van Leisen qui fait preuve, dans ce Mirabeau, de la plus vive perspicacité historique.
https://www.actionfrancaise.net/2025/02/19/mirabeau-un-monarchiste/
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