
par Mohamed Lamine Kaba
L’Europe vacille, divisée et affaiblie économiquement, marginalisée géopolitiquement et incapable de s’affirmer dans un monde multipolaire. Cette trajectoire de déclin est-elle encore réversible ?
L’Europe se trouve actuellement dans une position de vulnérabilité géopolitique et géostratégique, naviguant au cœur d’un triptyque de la peur formé par les États-Unis, la Russie et la Chine. Malgré son aspiration à une autonomie stratégique, l’Europe subit une dépendance marquée envers les États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, particulièrement dans le domaine de la défense et de la sécurité. Créée en temps de paix froide en 1949 et largement influencée par Washington, l’OTAN illustre cette subordination où les décisions européennes s’alignent tristement sur les intérêts américains. Cet alignement (vassalité et servilité) limite l’indépendance internationale de l’Europe, l’enfermant dans une relation asymétrique où l’influence militaire et diplomatique de Washington domine.
Par ailleurs, le conflit permanent avec la Russie depuis la Guerre froide – accentué par des tensions géopolitiques telles que la guerre par procuration ou par alliés interposés en Ukraine – exacerbe cette vulnérabilité, notamment à travers les tensions énergétiques dues à la dépendance européenne au gaz russe. En parallèle, l’essor de la Chine redéfinit les équilibres économiques globaux, plaçant l’Europe dans une position complexe de partenaire commercial crucial mais aussi de rival systémique. Ce contexte met en lumière une Europe en proie à ses propres fragilités structurelles, une fragmentation politique et un manque de vision stratégique, s’étant laissée reléguer à l’arrière-plan d’un monde multipolaire.
Cet article adopte une approche sociométrique pour analyser la dynamique complexe des relations entre l’Europe et les trois superpuissances mondiales – les États-Unis, la Russie et la Chine – caractérisée par un «triptyque de la peur» dans les interactions stratégiques et les enjeux géopolitiques.
La dépendance stratégique aux États-Unis, une autonomie en illusion
Historiquement fervents protecteurs de l’Europe, les États-Unis semblent aujourd’hui prendre leurs distances d’avec leur allié traditionnel. Menée par l’alliance transatlantique (OTAN) depuis sa création, la stratégie transatlantique visant à endiguer la Chine et la Russie n’a pas atteint ses objectifs escomptés. Cet échec reflète un glissement stratégique des États-Unis qui se tournent désormais davantage vers une concurrence directe avec la Chine. Ce qui alimente la peur à Bruxelles et à Londres où les élites de va-t’en guerre continuent d’armer l’Ukraine en la poussant à violer l’accord de cessez-le-feu tripartite entre les États-Unis, la Russie et l’Ukraine. Ce signal fort rappelle à Moscou l’importance de poursuivre ses objectifs militaires et de n’accorder aucun répit à ses adversaires impliqués dans ce conflit par procuration. Car, ni les États-Unis, ni l’Europe bruxelloise anglo-saxonne, encore moins l’Ukraine, ne sont dignes de confiance. Tout comme des terroristes, ils n’ont peur qu’une seule, c’est l’action, et donc la puissance de feu.
Nonobstant ses ambitions d’émancipation et de puissance, l’Europe bruxelloise anglo-saxonne reste étroitement liée aux États-Unis, ce qui entraîne une illusion d’autonomie stratégique. Sous le parapluie sécuritaire de l’OTAN dominée par Washington, le continent peine à construire une souveraineté militaire et diplomatique authentique. Cela expose une dépendance notable aux forces américaines pour la défense et le renseignement. Les crises géopolitiques, comme les conflits en Irak et en Ukraine, soulignent l’incapacité de l’Europe à adopter des positions indépendantes sans l’accord américain, révélant une fragmentation interne et une absence de leadership mondial.
Sur le plan économique, les tensions commerciales et les restrictions imposées par les États-Unis témoignent d’une relation asymétrique qui relègue l’Europe au rôle de partenaire subordonné. Malgré des initiatives pour développer des technologies stratégiques et réduire sa dépendance, l’Europe reste tributaire des innovations américaines dans des secteurs clés tels que l’intelligence artificielle, les semi-conducteurs et la cybersécurité. Cette dépendance entrave la capacité de l’Europe à devenir un acteur géopolitique autonome et respecté, affectant ses relations mondiales, notamment avec les pays en développement d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine. Dès lors, le rêve d’une Europe forte et indépendante devient de plus en plus illusoire, prisonnière de ses propres contradictions.
La Russie, un voisin perçu comme une menace permanente
Depuis des décennies, l’Europe reste prisonnière de sa perception alarmiste de la Russie, héritée de la Guerre froide (1947-1991), la considérant invariablement comme une menace existentielle. Ce paradigme a conduit à de politiques de confrontation coûteuses pour le continent, tant économiquement que géopolitiquement. L’incapacité de l’Europe à initier un dialogue constructif avec Moscou a exacerbé les tensions et révélé les failles internes de l’Union. En cherchant à isoler la Russie, l’Europe a fragilisé sa propre position, comme en témoigne la crise énergétique liée à sa dépendance au gaz russe. Les actions précipitées pour rompre les liens avec Moscou ont déstabilisé les économies européennes et alourdi les coûts pour les citoyens. Cette approche réactionnaire a renforcé l’image d’une Europe fuyant ses problèmes. L’antagonisme envers la Russie a également creusé les divisions au sein de l’Union, où manque de cohésion et absence de vision commune affaiblissent sa stature internationale. Les politiques de sanctions et de confrontation ont négligé les intérêts stratégiques européens, tandis que le rapprochement de la Russie avec d’autres puissances, comme la Chine, marginalise l’Europe sur la scène géopolitique mondiale. Cette perception de la Russie comme menace permanente enferme l’Europe dans une mentalité obsolète qui entrave sa capacité à embrasser le dialogue et la coopération comme instruments de prospérité dans un monde multipolaire.
La Chine, un partenaire économique devenu un rival systémique et une menace pour l’Europe
Autrefois simple partenaire économique, la Chine s’est imposée comme une puissance incontournable, redéfinissant les équilibres mondiaux à son avantage. Dotée d’une stratégie claire et ambitieuse, illustrée par le plan «Made in China 2025», elle se positionne en leader dans des domaines stratégiques tels que la technologie, la fabrication et les énergies renouvelables. Pendant que l’Europe est freinée par ses divisions internes et une bureaucratie paralysante, elle voit sa capacité à rivaliser sérieusement remise en cause, la rendant dépendante et vulnérable. Les initiatives comme la Nouvelle Route de la Soie ne sont pas seulement des projets économiques, mais de véritables instruments géopolitiques renforçant l’influence de Pékin à l’échelle mondiale. Dans des régions telles que l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique latine, la Chine s’impose assurément comme un partenaire stratégique, laissant l’Europe dans un rôle secondaire. Parallèlement, l’acquisition d’infrastructures critiques européennes par des acteurs chinois souligne la perte progressive de souveraineté économique du continent. Dans ce contexte multipolaire, la Chine, visionnaire et gagnante, s’affirme, tandis que l’Europe, incapable de protéger ses intérêts ou de s’adapter, se marginalise progressivement, témoignant d’un basculement des forces globales.
Pour faire court, paralysée par ses divisions, ses dépendances et son incapacité à s’adapter, l’Europe s’enfonce inexorablement dans l’insignifiance sur la scène mondiale. Cette trajectoire n’est réversible que si l’Europe arrête de regarder la Chine et la Russie comme des menaces existentielles et coopère avec elles dans un monde multipolaire.
On peut dire que l’Europe oscille entre dépendance stratégique, menaces chimériques et rivalités économiques, incapable de s’affirmer pleinement sur la scène géopolitique mondiale.
source : New Eastern Outlook
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