Le
Premier ministre turc Erdogan a semblé s’engager d’une façon radicale
dans la crise de Gaza et semblé, dans les un et deux premiers jours,
devoir y jouer un rôle important. Cette impression s’est rapidement
dissipée, pour être remplacée par celle d’une action d’une importance
mineure, notamment au regard du rôle dirigeant de la crise qu’a tenu
Morsi. Il s’agit bien entendu d’une question de perception, mais l’on
comprend évidemment que cette perception joue un rôle fondamental dans
cette époque dominée par la puissance du système de la communication. Au
demeurant, la perception, éclairée par divers faits, reflète sans aucun
doute une vérité de la situation d’Erdogan.
On
donne ici, comme exemple de la situation de la perception deux sources
ayant rassemblé des appréciations d’experts sur le rôle qu’a tenu
Erdogan. On dispose ainsi d’un matériel de communication pour pouvoir
mieux apprécier la position générale d’Erdogan, et tenter de
l’expliciter. On découvre qu’Erdogan est critiqué dans tous les sens, à
la fois pour avoir tenu un rôle effacé, à la fois pour n’avoir pas assez
soutenu les Palestiniens et le Hamas d’une façon efficace, à la fois pour être trop anti-israélien…
•
D’un côté, il y a une appréciation générale selon laquelle Erdogan
s’est trouvé dans cette crise à la remorque de Morsi, tandis que son
attitude durant ces quelques jours est perçue plutôt comme de la
gesticulation sans beaucoup de substance. Cette appréciation est surtout
sensible en Turquie même, selon un article du New York Times dont PressTV.com donne un résumé, ce 22 novembre 2012, article fait surtout de quelques citations d’experts et d’universitaires turcs.
«The
analysts stressed that while Turkey became a vocal defender of
Palestinians and a critic of the Israeli regime, “it had to take a back
seat to Egypt on the stage of high diplomacy.” “Egypt can talk with both
Hamas and Israel,” university professor Ersin Kalaycioglu said, adding,
“Turkey, therefore, is pretty much left with a position to support what
Egypt foresees, but nothing more.”
»The
analysts also criticized Turkish Prime Minister Reccep Tayyeb Erdogan
for being initially silent on the outbreak of the Israeli attacks on
Gaza and being slow to address the offensive publicly. “While most of
the region’s leaders rushed to the nearest microphone to condemn Israel,
the normally loquacious prime minister was atypically mute,” said Aaron
Stein from a research center based in Istanbul. Stein added that while
Erdogan was touring a factory that makes tanks, Egypt President Mohamed
Morsi had “put his stamp on world reaction by kicking out the Israeli
ambassador and dispatching his prime minister to visit Gaza.”»
• Une autre source, le journaliste Tulin Daloglu, dans le quotidien Al Monitor du 20 novembre 2012,
restitue, également au travers d’avis d’experts et d’universitaires, la
perception de l’attitude et du comportement d’Erdogan vus d’Israël. Il
s’agit d’appréciations très extrêmes et très hostiles, qui impliquent
son ministre des affaires étrangères Davutoglu perçu comme une sorte de diabolus ex machina
d’Erdogan (ce qui est peu aimable pour la force de caractère qu’on
attribue de ce fait à Erdogan). L’article rappelle qu’Erdogan s’est
signalé, durant la crise, par une rhétorique enflammée, dénonçant le 15
novembre Israël comme “un État terroriste” puis s’attaquant, le 20
novembre, aux USA et au bloc BAO («Leading with the US, all the West
talks about a two-state solution. Where is it? They’re working to
vacate Palestine in order to surrender it to Israel […] If we’re going to die, we shall do so as men do. This is not justice.»)
«…“Davutoglu
may be right to condemn Israel for excessive use of force, but he also
needs to call on Hamas to stop firing rockets into Israel. But he does
not,” said Gareth Jenkins, a senior fellow at the Institute for Security
and Development Policy. “The fact remains that, while Hamas is firing
missiles into Israeli territory, Israel is much more likely to respond
militarily. And any violence plays into the hands of extremists on both
sides.” […]
»“As
Erdogan cannot accept shelling against Turkey, we cannot accept
shelling against our one million people in the south part of Israel.”
Binyamin Fuad Ben Eliezer, former Israeli defense minister, told
Al-Monitor on Nov. 15, just as the sirens went on over the Tel-Aviv
area… […]
»[Erdogan] cannot
give me conditions. He cannot sit in Turkey and tell me what to do,”
says Ben-Eliezer. “Erdogan could have taken the position of one of the
most important leaders in the area,” Ben Eliezer said. “I’m sorry that
he took a very radical position against Israel.” Still, he does not
consider — like many other Israelis — that the Turkish prime minister’s
unequivocal alliance with Hamas, a militant group that is recognized by
the US and European countries as a terrorist organization — goes as deep
as challenging Israel’s right to exist.
»However,
Ofra Bengio, a professor at Tel Aviv University, is confident that
Turkey’s new position is just that. She argues that both sides have gone
too far, and while focusing only on Israel’s mistakes may be
politically rewarding for Erdogan, it should not hide Turkish foreign
policy’s new attitude toward Israel of vengeance and punishment. “If
they’re taking Hamas' position, then it’s quite clear that they’re
aiming at the legitimacy [of Israel],” she told Al-Monitor. “Especially, take a look at Davutoglu. If you read his essays, for him, Israel does not exist.”
»Ben
Eliezer concurs. “If you ask me where the big change was in [Erdogan's]
behavior,” he said, the answer is “Davutoglu! It’s his entry as the
foreign minister to the erea, and he was the one who no doubt influenced
Erdogan totally against Israel. He has made many mistakes because so
far, he could not gain anything.” Before then, he said, he had been able
to build a close relationship with Erdogan such that they were able to
share jokes and laughter together. He does not believe that Erdogan is
anti-Semitic or personally anti-Israel…»
On
est donc conduit à observer que, les unes dans les autres, ces
appréciations donnent une image extrêmement défavorable du Premier
ministre turc, cette image semblant désormais devoir être son nouveau
“statut de communication” : un homme qui parle beaucoup, qui s’enflamme,
qui agit peu, qui est de peu d’influence et auquel on prête de moins en
moins d’attention ; un homme au point de vue anti-israélien extrémiste,
mais selon l’influence de son ministre des affaires étrangères et non
selon son propre jugement, ce qui implique de très graves doutes sur son
indépendance d’esprit et son caractère. De quelque côté qu’on se place,
et de quelque opinion qu’on soit dans ces diverses appréciations, le
sentiment général sur Erdogan est défavorable : un homme à l’humeur
incontrôlable, au caractère finalement faible et très influençable,
préférant les mots et surtout les éructations à l’action…
Notre
propre appréciation est que ce que nous nommons effectivement la
“situation de la perception” d’Erdogan est injuste par rapport à ce
qu’il a été et ce qu’il a fait jusqu’ici, – injuste, dans le sens où
cela ne “lui rend pas justice”. En même temps, elle constitue un fait
et, par là même, se justifie par elle-même et rend compte d’une vérité
de situation, – justice ou pas, qu’importe. En d’autres mots, nous
dirions qu’Erdogan a perdu, en un an et demi, le formidable crédit qu’il
avait construit depuis 2009 par sa politique indépendante, quasiment “gaulliste”
dans sa conception. Nous pensions, sans tout de même beaucoup d’espoir,
qu’il pouvait, qu’il devait effectivement tenter de redresser cette
“situation de perception” durant cette crise de Gaza-II (voir le 15 novembre 2012) : «Le
même “Israel is saying… ‘F* You’” ne vaut-il pas également pour
Erdogan, qu’on attendait en visite à Gaza, où il entendait affirmer la
préoccupation turque pour la défense et l’intégrité des pauvres
Palestiniens ? Que va faire Erdogan ? Va-t-il ménager une base arrière
pour des “combattants de la liberté” volant au secours des Palestiniens ?
Va-t-il affréter une “flottille de la liberté”, comme celle du
printemps 2010, pour se rendre à Gaza, sous les bombes israéliennes ?
Va-t-il menacer d’envahir Israël comme il menace d’attaquer la Syrie ?»
Le
constat est clair et sec. Erdogan n’a pas réussi à “redresser cette
‘situation de perception’”, il a même encore perdu de son crédit. Cet
homme semble avoir définitivement chuté avec l’affaire syrienne, dans
laquelle il s’est engagé follement. L’indignité et l’illégitimité de
l’affaire syrienne, dans le sens où il s’est engagé, a profondément
modifié sa “situation de la perception”, nous dirions d’une façon
quasiment structurelle qui n’est pas loin d’être irrémédiable. (Cela,
d’autant qu’en même temps qu’il tentait cette maladroite
“réhabilitation” avec Gaza-II, il continuait sa politique syrienne par
son pire aspect, avec l’accord de l’OTAN d’envoyer des Patriot
à la Turquie, cela qui met en évidence le stupide jeu des menaces
[syriennes] inventées, et le non moins stupide alignement-asservissement
de la Turquie aux structures les plus perverses du Système, l’OTAN avec
les USA derrière et la quincaillerie technologique.) Erdogan a voulu
s’inscrire dans le jeu du Système avec la Syrie, abandonnant la
référence principielle d’une politique d’indépendance et de
souveraineté, – laquelle suppose qu’on respecte chez les autres (chez
les Syriens, certes) les mêmes principes (indépendance, souveraineté)
auxquels on se réfère pour soi-même. Il a abandonné la puissance de la
référence principielle pour la politique moralisatrice et belliciste que
le Système inspire au bloc BAO en général. Ce faisant, il a été
totalement infecté et subverti par le Système et s’avère manifestement
trop faible pour s’en dégager, si encore il parvient à distinguer la
nature et la puissance de l’enjeu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire