Le 24 décembre dernier, l’institut de sondages Gallup
divulguait sur son site Internet les résultats d’une enquête
téléphonique effectuée au cours de l’année 2012 et portant sur
l’appartenance confessionnelle et la pratique religieuse chez les
adultes américains [1]. L’étude révélait notamment que 77 % des sondés se déclaraient chrétiens, protestants pour les deux tiers d’entre eux.
Au cours des semaines précédentes, parmi les faits divers qui
émaillaient l’actualité, la presse occidentale revint sur le récit de
l’affaire Al-Masri (du nom d’un ressortissant allemand d’origine
libanaise arrêté, détenu arbitrairement et torturé dans des prisons
secrètes de la CIA en Macédoine et en Afghanistan [2])
et, dans un registre plus léger, sur les excuses prononcées par le
chanteur pop sud-coréen Psy afin de clore une polémique déclenchée par
les paroles d’une chanson vieille de neuf ans, dans laquelle
l’interprète de Gangnam Style critiquait de façon incisive la présence
militaire américaine en Corée [3].
Deux faits divers sans lien autre que les bases de l’armée ou les
services secrets américains, disséminées aux quatre coins de la planète,
comme autant de relais affichés ou masqués de l’impérialisme et de la
violence guerrière anglo-saxonne, de la Corée à la Colombie et des
Balkans à l’Australie en passant par le Golfe Persique, pour illustrer
de manière explicite ce chiffre rappelé par le Stockholm International
Peace Research Institute [4] :
en 2011, l’Oncle Sam était à l’origine de 41 % des dépenses militaires
dans le monde. Surgit alors une contradiction évidente : comment une
nation dont 77 % des citoyens revendiquent leur foi en Christ peut-elle
occuper le premier rang mondial des dépenses en matière d’armements ?
Des observateurs sincères mais peu avisés invoqueront aussitôt un
messianisme évangélique et une mission civilisatrice dont se croirait
investie l’élite néoconservatrice américaine tout comme d’ailleurs sa
base électorale (la moral majority). Cette explication, qui
satisfait évidemment les éléments les plus laïcards du camp
antimondialiste, peut recouvrir quelques parcelles de vérité mais est
néanmoins insuffisante à une compréhension du problème dans son
ensemble. Les néoconservateurs, dont l’influence est aujourd’hui
contrebalancée par celle des conservateurs réalistes à la Brzezinski et
des mondialistes à la Soros [5],
affichent certes leur bigoterie comme un gage de crédibilité et de
respectabilité face à leurs électeurs, mais il est aisé de vérifier que
les plus éminents d’entre eux n’ont retrouvé le chemin de l’église que
tardivement, une fois écoulée leur jeunesse estudiantine, gauchiste et
libertaire.
L’une des explications, moins divulguée mais plus convaincante, à la
contradiction énoncée plus haut réside dans la corruption de l’élite
WASP par le pouvoir bancaire associé au complexe militaro-industriel.
Traditionnellement associée au monde protestant, la banque sous sa forme
actuelle n’est toutefois qu’une lointaine et bâtarde descendante de
l’esprit austère et entrepreneurial de la Réforme européenne. À l’aube
du XVIIIème siècle, la création de la Governor and Company of the Bank of England [6]
(la future banque centrale de l’Empire britannique) marque à la fois la
suprématie de la thalassocratie britannique sur sa rivale hollandaise
(la Compagnie des Indes orientales étant désormais portée à bout de bras
par la banque de la couronne) et le début de l’endettement de l’État
par le recours à des créanciers privés (le Tonnage Act, adopté à la même
époque et destiné à financer les guerres opposant l’Angleterre à ses
rivaux, permettait aux particuliers de s’enrichir sur intérêts par
l’achat de bons du Trésor [7]).
La création de la Réserve fédérale américaine sous le mandat du
président Wilson en 1913 constitue de ce point de vue un prolongement de
cette mutation du système capitaliste et bancaire, l’essor industriel
et le développement des techniques de communication permettant à une
Amérique affranchie des menaces sécessionnistes de prendre
définitivement le pas, après la Première Guerre mondiale, sur des
puissances européennes déjà déclinantes. Le rôle d’une élite économique
issue de l’émigration juive aux États-Unis, alliée de circonstance des
représentants WASP du pouvoir bancaire, dans la prise du pouvoir par la
banque peut être rapproché de celui joué par Edward Bernays dans le
développement de la propagande moderne ainsi que dans son application à
la manipulation de l’opinion des masses en vue d’une acceptation
d’interventions armées extérieures.
Si la lecture de la Bible dans certaines églises protestantes
(notamment américaines) s’avère particulièrement centrée sur l’Ancien
Testament (l’Exode, l’esclavage à Babylone et en Égypte, la fuite des
Hébreux peuvent parfois faire l’objet d’études bibliques approfondies
mais partiales et favoriser chez certains fidèles une identification,
même inconsciente, au peuple juif et donc par là même une sympathie
presque instinctive pour le projet sioniste, y compris dans ses
déclinaisons les moins pacifiques), il est donc nécessaire de ne pas
perdre de vue que la violence guerrière américaine est liée à un
protestantisme dévoyé, éloigné de l’esprit de la Réforme dont le modèle
capitaliste rhénan constitue un descendant bien plus légitime.
Par Jean C. http://www.egaliteetreconciliation.fr
Notes
[1] http://www.gallup.com/poll/159548/identify-christian.aspx[2] http://www.newyorker.com/online/blogs/closeread/2012/12/khaled-el-masri-torturing-the-wrong-man.html
[3] http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/northamerica/usa/9731576/Psy-apologies-for-rapping-about-killing-US-soldiers.html
[4] http://milexdata.sipri.org/
[5] Michel Drac, Choc et simulacre.
[6] Alain Soral, Comprendre l’Empire.
[7] « La dette publique, une vieille histoire » par Sylvie Arsever in Le temps, 27/08/2012 http://www.letemps.ch/Page/Uuid/dd326752-d433-11e1-bbf5-6d21c95c98bf/La_dette_publique_une_vieille_histoire#.UPh8e5Hfv7g
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