L’intervention du Mali, comme
toutes les interventions occidentales depuis la fin de la Guerre froide
(de l’Irak jusqu’à la Libye en passant par l’ingérence en Syrie) ne
saurait être analysée de manière angélique, sous prétexte qu’elle serait
une opération française. Inversement, elle ne saurait être assimilée à
toutes les autres opérations parce qu’elle admet en effet ses propres
déterminants.
La guerre au Mali est la confrontation d’une multiplicité d’acteurs :
- l’État central malien (Bamako)
- les Touaregs indépendantistes de l’Azawad
- les groupes jihadistes
- l’État français et sa compagnie pétrolière Total (qui est certes une multinationale sur le plan capitalistique mais dont l’action politique reste coordonnée à celle de la France),
- l’État algérien avec d’une part son État profond (le puissant DRS, la sécurité militaire, coeur du régime) d’autre part sa société pétrolière étatique Sonatrach
- les États-Unis d’Amérique et leur État profond (composé d’éléments de la CIA, du Pentagone, de l’armée)
- l’État qatarien et ses intérêts pétroliers et gaziers
- deux États voisins, la Mauritanie et la Libye qui ont toujours joué un rôle crucial dans la question touareg.
Ce sont là les principaux protagonistes
de l’affaire malienne. Au second plan, d’autres acteurs chargés
d’apporter aux acteurs de premier plan une légitimité en terme de droit
international : les autres États africains (la CEDEAO), l’Union
européenne…
Voyons les intérêts et les motivations
des premiers rôles qui s’affrontent sur la scène malienne, et pas
forcément de manière visible.
Cette analyse étant longue, j’ai décidé
de la découper en deux parties. La première partie tentera d’y voir
clair sur les motivations de l’État malien, des Touaregs
indépendantistes et des groupes islamistes.
La seconde partie abordera la question
complexe des enjeux pétroliers et gaziers dans la zone (avec notamment
les intérêts pétroliers français, qataris et algériens).
Nous pourrons alors proposer une
lecture de la crise qui s’articulera autour d’un bras de fer entre
Paris, Alger et Doha pour l’essentiel, avec bien entendu aussi les
États-Unis en « embuscade » et qui montrera, une fois de plus, que le
terrorisme islamiste est largement instrumentalisé pour consolider ou
restaurer les intérêts des principaux acteurs.
1) L’État malien
Afin de présenter l’État malien dans ses
caractéristiques géopolitiques je m’appuie sur l’article « Mali » du
Dictionnaire de géopolitique (Chauprade/ Thual) lequel date de 1999 dans
sa deuxième édition. L’exercice consistant à revenir à ses anciens
textes est peu pratiqué en France, et pour cause : s’il l’était, il
abîmerait fortement la légitimité de la quasi-totalité de nos
commentateurs médiatiques, surtout Olivier Roy, le génial visionnaire de
la « fin de l’islam politique » (titre de son essai de 1992)
lequel fanfaronnait encore sur les plateaux au début des printemps
arabes, en 2011, en expliquant que sa thèse de la disparition de
l’islamisme était la bonne et que la masse arabe ne rêvait que de
démocratie occidentale… Cela fait penser à Francis Fukuyama s’excusant
que la Fin de l’Histoire soit autant retardée depuis 1990 et nous
demandant de patienter encore un peu (pour avoir raison)…
La réalité, qu’elle nous plaise
ou non, est qu’une partie importante des Arabes (mais pas forcément
majoritaire) veut refonder la politique de leur pays sur les bases de
l’islam politique tout simplement parce qu’elle refuse le mouvement
global d’occidentalisation des valeurs; et que par ailleurs il convient,
par simple honnêteté intellectuelle (et même si à titre personnel nous
n’avons aucune sympathie particulière pour ce type de mouvance) de
distinguer l’action terroriste jihadique et les partis politiques
islamistes (type Frères musulmans). Si nous ne le faisons pas, nous ne
comprendrons jamais pourquoi certains États peuvent avoir intérêt à
créer des groupes ultra-radicaux se revendiquant de l’islam dans le seul
but de décrédibiliser la masse d’un islam politique que je ne
qualifierais pas de modéré (parce que cela ne veut rien dire) mais qui
pour autant n’emploie pas forcément la violence terroriste comme moyen
d’action politique.
Fermons la parenthèse.
Cet article « Mali » du Dictionnaire de géopolitique permet de rappeler deux idées essentielles :
- premièrement la trace de l’action
coloniale au Mali : les soldats français de l’opération « Serval »
disposent en effet comme référence des « grands anciens de la
colonisation » et d’une littérature militaire coloniale de qualité.
- deuxièmement la coupure raciale qui caractérise le Mali.
” Le territoire du Mali correspond à
l’ancien Soudan de l’Afrique occidentale française (A.O.F.). Ce
territoire avait été conquis au XIXe siècle (Faidherbe puis Gallieni,
1880-1895) dans le cadre de la course au Niger menée par les autorités
coloniales françaises (…). Sa base territoriale est formée par le bassin
du Haut Niger et la boucle du fleuve Niger. Le territoire a subi de
nombreuses mutations, à commencer par l’incorporation temporaire de la
Haute-Volta (actuel Burkina-Faso) qui sera de nouveau détachée en 1919,
puis la rétrocession à la Mauritanie de territoires du Nord-Ouest.
À l’indépendance en 1958, le Soudan
devenu Mali (du nom d’un prestigieux empire mandingue au XIVe siècle)
fusionna un temps avec le Sénégal.
Le Mali est formé d’une partie sahélienne
et d’une partie saharienne qui s’articulent sur un bassin fluvial
autour duquel irradient d’anciennes routes commerciales. Cette division
géographique est aussi à l’origine de la division géopolitique du pays
entre une masse de populations négro-africaines sédentarisées et une
minorité de nomades qui vivent au Nord et qui occupent une grande
superficie. Ces nomades, Touaregs ou Maures, sont entrés en rébellion
dans les années 1990. Plusieurs mouvements se sont créés qui ont tous un
but commun : la création de l’Azawad. En dépit des différentes
tentatives de règlement, la césure sociale et ethnique demeure profonde.
Elle s’insère dans les conflits qui secouent la bande sahélienne, de la
Mauritanie au Tchad. Les différents mouvements en faveur de la
libération de l’Azawad bénéficient du soutien discret de la Libye ou de
la Mauritanie (…)
La parcellisation des mouvements de
libération de l’Azawad ne doit pas masquer la profondeur de leur
opposition au gouvernement central. La faiblesse de l’unité intérieure
du Mali constitue sans doute la caractéristique géopolitique majeure de
ce pays” .
13 ans après que ces lignes aient été
écrites, et donc en janvier 2012, revenant de Libye après la chute de
Kadhafi (avec lequel ils étaient alliés), les Touaregs du MNLA
(Mouvement National de Libération de l’Azawad) défont l’armée malienne
et proclament l’indépendance de l’Azawad. Mais la lutte séparatiste
ancienne menée par le MNLA est très vite débordée par une autre lutte,
celle du jihad (lutte qui, en Afrique occidentale, n’a rien de nouveau,
bien au contraire : je renvoie à ce propos à mon ouvrage Géopolitique,
Constantes et changements dans l’histoire, Ellipses, 2007, p314 à 325 :
l’islamisation de l’Afrique noire).
Trois groupes principaux mènent ce jihad
dans la région : Ansar Dine fondé par un leader historique du mouvement
touareg, passé à la lutte islamiste ; le Mouvement pour l’unicité et le
jihad en Afrique de l’Ouest – MUJAO – et enfin Al Qaïda au Maghreb
islamique – AQMI groupe historiquement beaucoup plus algérien puisqu’il
est l’héritier du GSPC lui-même héritier des GIA de la guerre civile
algérienne.
Début avril 2012, le MNLA et ces groupes
islamistes prennent le contrôle des capitales des 3 régions du Nord-Mali
: Kidal, Gao et Tombouctou. Le 6 avril, le MNLA proclame l’indépendance
de l’Azawad, ce qui était son but historique. Mais voilà que ce qui
était prévisible se produit : l’islamisme submerge le nationalisme
touareg, d’autant que le premier est susceptible de trouver bien
davantage de soutiens extérieurs que le second. Fin juin 2012, le trio
AQMI/MUJAO/Ansar Dine écrase le MNLA à Gao puis à Tombouctou. Commence
la triste destruction de mausolées de saints musulmans à Tombouctou
(représailles à la décision de l’Unesco de classer la ville patrimoine
mondial en péril).
Mais revenons à Bamako. Le but
premier de l’État malien est de reprendre le contrôle du Nord et de se
venger des Touaregs en s’appuyant sur la puissance française. C’est
évidemment un but politiquement dangereux pour la France.
Pour Paris, chasser les groupes
islamistes du Nord du Mali ne doit pas pour autant déboucher sur une
épuration ethnique anti-Touareg. À mesure que l’armée française
va s’approcher de ses objectifs (faire reculer son ennemi) elle va se
rendre compte que l’armée malienne qu’elle traîne dans son sillage
s’emploiera à se venger sur les populations touaregs et cela risque de
devenir un vrai problème à gérer pour Paris.
Incapable militairement de résister face
aux guerriers du désert, l’armée négro-africaine malienne, même aidée
par d’autres troupes noires (CEDEAO) se trouve dans l’incapacité de
restaurer l’unité du Mali (unité ô combien artificielle, comme nous
l’avons vu auparavant) sans l’action militaire de la France.
2) Les Touaregs indépendantistes du MNLA
Les Touaregs sont 1,5 millions de nomades
du Sahara (origine berbère mais métissage avec des Noirs et des Arabes)
vivant sur plus de 2 millions de km2 (Niger, Mali, Algérie, Libye,
Burkina Faso), souvent en marge de leur État d’appartenance.
Au Mali, dans la région de
l’Azawad, ils seraient environ 500 000 sur une population de malienne de
6 millions (au Niger les Touaregs sont 850 000 sur une population
quasiment identique à celle du Mali soit 16 millions). Ce qui revient à
souligner qu’une minorité d’un demi-million est en train d’écraser
l’armée représentant la sécurité et les intérêts de 15,5 millions de
citoyens maliens noirs ! Qui pourra contester à la France qu’elle se bat
bien aux côtés de l’écrasante majorité de la population, laquelle, et
c’est un fait établi et difficilement contestable, est attachée à son
islam trempé de traditions africaines et refuse le modèle salafiste
importé ?
Affirmer cela ne signifie pas pour autant nier ou cacher le fait que la France a ses propres intérêts. Hollande
dit que la France ne défend pas d’intérêt au Mali, c’est évidemment une
plaisanterie (dictée par la sacro-saint principe d’hypocrisie
droits-de-l’hommiste), plaisanterie sur laquelle nous reviendrons. Bien
au contraire, je serais tenté de dire, de manière un peu provocante, que
cela fait bien longtemps que la France mène une guerre pour ses
intérêts propres et non pour des profits américains.
La France a le droit d’avoir ses
intérêts, comme n’importe quel autre État, et de les défendre, du moment
que la défense de ses intérêts reste compatible avec la volonté
majoritaire des populations concernées et que nous ne sommes pas en
train de tout détruire pour nous emparer du pétrole, comme les
Américains l’ont fait en Irak en 2003 et comme nous tentons
malheureusement de le faire en Syrie, aux côtés des Américains, des
Anglais et des Qataris.
Dans le passé les Touaregs étaient loin
d’avoir une position défavorable. Avant la colonisation française, ils
étaient même les seuls, avec les Ethiopiens, à disposer de leur propre
écriture et ils contrôlaient le commerce caravanier et d’immenses
troupeaux. Avant la colonisation française – je renvoie encore à
Géopolitique, constantes et changements dans l’Histoire ouvrage dans
lequel j’analyse les mécanismes par lesquels la colonisation a abouti à
l’inversion des rapports de force entre les ethnies traditionnellement
dominantes et celles qui étaient dominées-, ce sont les Touaregs qui
razziaient les Noirs d’Afrique et les Maliens redécouvrent aujourd’hui
cette vérité. La vérité est que la colonisation a souvent été un cadre
pacificateur (on parlait d’ailleurs de pacification) et protecteur pour
les ethnies dominées d’Afrique noire. Elle a en revanche été une
catastrophe et une perte de puissance pour les ethnies anciennement
dominantes. En refusant, par exemple, l’école française de la
colonisation, les Touaregs ont créé eux-mêmes, au moment des
indépendances, les conditions de leur marginalisation au profit des
Noirs.
Lorsque s’effondre ce cadre de la Guerre
froide qui avait gelé tant de conflits identitaires dans les États, les
Touaregs relèvent la tête et entrent en rébellion au Niger et au Mali.
Finalement en 2009, des accords de paix aboutissent théoriquement à un
décentralisation des régions touaregs assortie d’une large autonomie de
gestion. Comme ces accords ne sont pas appliqués, plusieurs ex-leaders
touaregs qui avaient été intégrés dans l’armée maliennes désertent. Le
problème est d’autant plus grave que les Américains (je reviendrai sur
ce point capital), dans le cadre de leur coopération militaire
anti-terroriste avec le Mali et avec de nombreux autres États de la zone
(la Pan Sahel Initiative qui deviendra la TSCI), ont souvent choisi de
s’appuyer sur des officiers touaregs – avaient-ils une idée
machiavélienne derrière la tête ou agissaient-ils ainsi de manière
pragmatique parce qu’ils constataient que les Touaregs sont les
meilleurs combattants?
Dans cette affaire la chute de
Kadhafi, voulue et provoquée, faut-il le rappeler, par la présidence de
Nicolas Sarkozy en accord avec les Américains et les Anglais, est
directement à l’origine de ce qui se passe aujourd’hui au Nord-Mali.
Lorsque les forces kadhafistes s’effondrent, les centaines de Touaregs
du MNLA qui combattaient à leurs côtés rentrent précipitamment au pays
lourdement armés et rallument la flamme combattante du séparatisme. En
janvier 2012, la rébellion touareg, dont la composante essentielle est
le MNLA, demande explicitement l’indépendance du Nord-Mali et passe à
l’offensive.
Depuis, le MNLA a été dépassé
militairement par les trois groupes islamistes (Ansar Dine, Mujao et
AQMI) mais il conserve pourtant le gros des effectifs car seule une
petite fraction de ses membres a rallié Ansar Dine.
Aucune sortie durable de la crise
n’est en réalité possible sans le MNLA. Une entente doit se faire entre
Bamako/Paris d’un côté, le MNLA de l’autre, afin de régler la question
islamiste dans la zone. Paris est en position de force car Bamako ne
peut plus rien sans les troupes françaises et par conséquent les
militaires français doivent s’allier avec le MNLA, composante
séparatiste mais non jihadiste des Touaregs, pour chasser les islamistes
de la zone. S’ils l’armée française ne sous-traite pas aux Touaregs le «
nettoyage » de cet immense espace à la fois désertique et montagneux,
elle entrera dans un tunnel sans fin et sans doute plus coûteux
financièrement que meurtrier (car militairement l’opération restera
beaucoup plus maîtrisable que l’Afghanistan).
Ensuite, la France doit se placer en
position de médiation entre le MNLA et Bamako. L’affaire est cependant
plus complexe qu’il n’y paraît. Il n’existe pas un, mais trois Azawad :
le Sud (Songhay et Peuls), le long du Niger, le Nord territoire des
Touaregs et l’Ouest saharien arabe.
3) Les groupes jihadistes
Il est rapporté que 3 groupes islamistes
se trouvent impliqués dans l’affaire du Nord-Mali. Deux groupes qui
présentent un caractère identitaire local : Ansar Dine, émanation
islamiste radicale du MNLA, le mouvement historique de combat des
Touaregs et dont la base originelle est Kidal ; le Mujao (base Gao) ;
AQMI qui lui est un ensemble de groupe beaucoup plus algérien et qui
s’inscrit dans la filiation GIA/GSPC.
Mon analyse sur l’islamisme
radical et terroriste est bien connue. Pour chaque mouvement identifié
et analysé il convient de se poser deux questions :
- Quelle est la part locale et la part globale (le lien avec une « internationale » islamiste) ?
- Quelle est la part authentique (combattants authentiquement islamistes) et la part infiltrée/fabriquée (groupe infiltré par des services étatiques et dont les actions orientées obéissent à une stratégie de la tension de la part d’un ou plusieurs États) ?
Nous n’avons pas le temps de refaire ici
l’histoire du terrorisme islamiste et celle-ci a d’ailleurs été
abondamment traitée. Pour dire les choses simplement, deux lectures
s’opposent. Une première lecture, dominante, médiatique est celle qu’Al
Qaïda, et plus globalement le « terrorisme international »,
sont des forces autonomes, obéissant à leur propre agenda, et qui mènent
une guerre contre l’Occident. La deuxième lecture (qui est la mienne)
considère le terrorisme islamiste comme la combinaison d’un combat
authentique (des jihadistes mènent réellement une guerre terroriste
contre « l’Occident impie ») et d’une instrumentalisation/manipulation de la part de services étatiques.
Or, on ne peut comprendre cette deuxième
lecture si l’on occulte la dimension mafieuse du phénomène
jihado-terroriste. Cette dimension mafieuse est admise dans les deux
lectures. Les médias officiels ne manquent pas de souligner en effet
qu’AQMI (Al Qaïda du Maghreb islamique) travaille main dans la main avec
les cartels colombien et venezuelien pour faciliter l’acheminement par
voie aérienne de cargaisons de drogue vers le désert saharien, laquelle
drogue repartirait ensuite vers l’Europe. Ils parlent de « Mister
Malboro » à propos du terroriste Mokhtar Ben Mokhtar ceci afin de bien
souligner son implication dans des trafics de cigarettes. Mais trafics
de drogue, cigarettes, et même immigrés clandestins, autant que prises
otages sont les diverses facettes d’une économie du crime que contrôlent
ces groupes sahariens, dans la droite ligne de la contrebande
saharienne la plus ancienne. Rien de neuf sous le soleil saharien.
En insistant d’ailleurs tellement sur
cette dimension mafieuse (laquelle, je le répète, n’est contestée par
personne), les médias finissent par nous amener à nous demander ce qui
compte le plus pour ces terroristes : l’argent (le trafic) ou le jihad?
L’argent mafieux sert-il à financer le jihad ou bien le jihad n’est-il
qu’un alibi pour couvrir le trafic? Difficile de répondre mais ce qui
est certain est que la confusion entre argent sale et idéologie montre
que ces groupes peuvent accueillir en leur sein (et même à leur tête)
des infiltrés n’ayant d’autres but que de mettre l’action terroriste en
conformité avec l’agenda du service d’État qu’ils servent.
Ce que je crois, c’est qu’Al
Qaïda est un instrument de l’État profond américain qui justifie, depuis
la fin de la Guerre froide, une bonne partie de la projection de
puissance américaine, et qu’AQMI est le faux-nez maghrébin de cet
instrument occulte, mais avec une différence notable avec les autres
composantes régionales d’Al Qaïda (Afghanistan, Irak, Yémen…) : l’État
profond américain ne contrôle pas directement AQMI. C’est en effet très
probablement le DRS algérien, la sécurité militaire algérienne, qui
contrôle AQMI.
Là encore la démonstration serait longue à
donner mais elle existe et elle a été donnée depuis longtemps par des
auteurs suisses, britanniques ou allemands mais hélas pas français car
en France tout le monde craint l’Algérie et ses coups tordus.
J’en profite pour dire que sur ce
sujet je suis ouvert au débat mais certainement pas avec les disciples
de Glucksmann ou Lévy qui d’un côté ne cessent d’accuser Moscou de
terrorisme occulte et de l’autre traitent de complotistes ceux qui ont
compris que le premier de tous les « États profonds » était américain!
À propos du DRS, je renvoie ici notamment
aux travaux du britannique Jeremy Keenan, ou bien à l’étude extrêmement
pointue « Al Qaïda au Maghreb ou l’étrange histoire du GSPC algérien »
par François Gèze et Sallima Mellah (Septembre 2007). Il ne fait aucun
doute que les GIA ont été créés durant la guerre civile algérienne, en
tant qu’organisation contre-insurrectionnelle, dans le but premier de
discréditer, par des crimes atroces perpétrés contre la population, le
combat armé d’un Front Islamique du Salut (pour lequel, je tiens à le
préciser, je n’ai aucune sympathie, bien au contraire) qui avait gagné
les élections. Il ne fait guère de doutes non plus que ces GIA se sont
transformés en GSPC après la guerre civile et sont montés en puissance
après le 11 septembre 2001, lorsque l’État profond algérien a compris,
non seulement que l’État profond américain était derrière Al-Qaïda, mais
que si Alger ne voulait pas subir l’agenda américain dans le Sahara, il
fallait devancer celui-ci.
Le GSPC est né du « magnifique »
esprit d’initiative algérien lequel a su offrir aux Américains l’ennemi
qu’ils attendaient (jusqu’à prendre en 2007 le nom d’Al Qaïda du Maghreb
islamique) pour justifier leur implantation dans le Sahara
(implantation au service d’autres intérêts plus classiquement
géostratégiques, pétroliers et gaziers, dont nous parlerons après).
Au fond, les Abdelrrazak El Para et
autres Mokhtar Ben Mokhtar, ces personnages qui ont dirigé actions
terroristes et prises d’otages occidentaux, sans jamais se faire prendre
et en laissant leurs acolytes se faire tuer à leur place, présentent le
même profil qu’Oussama Ben Laden mystérieusement porté disparu en mer.
Ils ont d’abord travaillé pour l’État profond de l’État qu’ils se sont
mis ensuite officiellement à combattre. Ben Laden fut membre de la CIÀ
et quasiment tous les chefs des katibas islamistes du GSPC puis d’AQMI
sont d’anciens officiers de l’armée algérienne. Bien formés ces
officiers, après avoir infiltré (peut-être créé dans certains cas) les
cellules combattantes ont pu en prendre aisément le commandement.
Une réalité indicible dans nos
médias, du fait de l’ampleur des intérêts économiques français en
Algérie, de la collusion aussi des élites politiques françaises avec le
régime algérien (il fallait voir encore récemment le ministre Valls
louer l’efficacité des forces spéciales algériennes…)… mais une vérité
pourtant depuis longtemps évidente en dehors de France: AQMI/Polisario,
DRS algérien le trafic de drogue saharien sont une seule et même
organisation du crime dont le but est double : l’enrichissement
personnel des généraux algériens bien sûr lesquels supervisent le trafic
de drogue réalisé par les chefs terroristes ; mais aussi la survie du
régime (laquelle va de paire avec le premier but) en faisant de celui-ci
l’incontournable rempart contre le fondamentalisme, un rempart que la
vague de révolutions arabes ne saurait attendre, et qu’elle n’atteindra
d’autant moins que les Occidentaux (en premier lieu Américains et
Français comprendront qu’il n’y a d’autre alternative crédible que le
maintien du régime algérien).
Or ce régime est une calamité pour la
jeunesse algérienne, privée d’avenir, au chômage à 40%, volée par son «
élite » de ses richesses fabuleuses (rente gazière et pétrolière),
et par voie de conséquence une calamité pour la rive nord de la
Méditerranée (Europe) qui, inéluctablement, verra fondre sur elle des
candidats à l’immigration de plus en plus nombreux. Une politique de
courte vue de plus de la part des dirigeants européens!
Grâce au GSPC et à AQMI, l’État algérien a
pu apparaître depuis 2001, aux yeux des États-Unis et de la France
(pour le grand public du moins, car dans les structures de pouvoir
personne n’est dupe) comme un rempart contre l’islamisme radical dans la
région. Et la stratégie a fonctionné, jusqu’aux révolutions arabes qui
ont emporté les uns après les autres (Tunisie, Egypte, Yémen) tous les
régimes autoritaires « laïcisants » (terme à prendre avec extrême
précaution s’agissant de pays musulmans), avant que l’Occident ne s’en
prenne ensuite directement à ceux qui ne tombaient pas d’eux-mêmes
(Libye, Syrie).
Donc pour le DRS cela ne faisait
pas l’ombre d’un doute, l’Algérie était la suivante sur la liste, à
moins d’écarter l’Occident du sillage des islamistes politiques (ceux
qui allaient devenir majoritaires dans de nombreux pays à la suite de
l’écroulement des régimes forts) et de le ramener à la « grande époque »
de la guerre contre le terrorisme international.
Parmi ces trois groupes islamistes
agissant au Mali, si l’on me demandait « qui contrôle qui », je
répondrais que le DRS contrôle d’abord AQMI tandis que le Qatar finance
et a de l’influence sur les deux autres mouvements (MUJAO et Ansar Dine)
avec des buts radicalement différents de l’Algérie comme nous le
verrons dans la deuxième partie.
Un autre élément qui n’est pas souligné
est qu’au moins deux de ces groupes (le MUJAO c’est certain, AQMI c’est
probable) ont des contacts forts avec le POLISARIO, mouvement
séparatiste sahraouï soutenu basé dans les camps de Tindouf (territoire
algérien). Il est quasiment avéré en effet que le groupe de terroristes
qui s’est emparé du site gazier d’In Amenas en Algérie venait des camps
de Tindouf, autrement dit qu’il est bien parti du territoire algérien
(et ceci bien que l’Algérie ait pointé du doigt la Libye). Là encore il
s’agit d’une réalité sur laquelle je tente d’alerter au moins depuis
2005, à travers les différentes interventions que j’ai faites à la
tribune de l’ONU, en tant qu’expert mandaté par la partie marocaine,
rôle que j’assume pleinement tant je crois au bien fondé historique de
la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental – mais une
souveraineté « intelligente » dans un cadre d’autonomie élargie.
Le glissement progressif (comparable à
celui du MNLA) du mouvement Polisario non seulement vers la criminalité
(trafics en tous genres) mais aussi vers le fondamentalisme religieux
devrait être une source de préoccupation pour les pays occidentaux.
Nombreux sont les événéments, depuis 2005, dans cette sous-région du
Sahara, qui montrent des liens entre certains éléments du Polisario et
Aqmi/Mujao. C’est le moment de rappeler d’ailleurs que les problèmes non
résolus de séparatismes (Sahara occidental et Touaregs) finissent
malheureusement par dégénérer en problèmes d’islamisme radical.
Seule une solution équilibrée
consistant à défendre la souveraineté des États (Mali, Maroc, Niger…)
mais en aménageant des autonomies réelles pour les minorités nomades
pourra permettre de ramener la stabilité dans la région.
Pour comprendre les motivations des
autres acteurs, il convient aussi de parler des enjeux de ressources
(pétrole, gaz, uranium). Autant les États-Unis en effet, que la France,
le Qatar ou l’Algérie ont des visées pétrolières et gazières importantes
dans le Sahara. Chacun de ces États a intérêt à favoriser la situation
géopolitique la plus à même de le placer en position de force dans les
discussions relatives au partage des richesses.
Nous analyserons dans la deuxième
partie ces enjeux pétroliers et gaziers et affinerons notre analyse des
intérêts français, algériens, qataris, américains, mauritaniens et
libyens dans la crise actuelle.
Fin de la première partie
par Aymeric ChaupradeRealpolitik.tv http://fortune.fdesouche.com
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