Ancien chirurgien, président de la Caisse Autonome de Retraite des Médecins de France (CARMF) et de la Caisse d'Assurance Maladie des Professions Libérales de Province, le docteur Gérard Maudrux ne pratique pas la langue de bois. Il répond avec son franc-parler coutumier aux questions de Monde et Vie.
M & V : Les médecins sont sujets à des arrêts maladie fréquents et le taux de suicides dans cette profession est trois fois plus élevé que la moyenne nationale. Comment expliquez-vous cette « déprime » du corps médical ?
Gérard Maudrux : Plusieurs raisons y concourent. La principale tient aux très lourdes contraintes administratives qu'ils subissent - la plupart de ceux qui se suicident font l'objet d'un véritable harcèlement de la part des caisses d'assurance maladie, alors qu'ils sont par ailleurs surchargés de travail, stressés et épuisés : les plus fragiles craquent. Les contrôles et contraintes exercés par l'administration leur font perdre beaucoup de temps, au détriment de leurs patients. Un chirurgien de l'Isère a récemment été condamné à rembourser une cinquantaine d'actes médicaux qu'il avait réalisés, parce qu'il n'avait pas rempli le compte-rendu obligatoire comme l'y obligent les textes. Débordé, il avait fait passer les soins donnés aux malades avant la paperasserie. Mais la Sécurité sociale considère que si le compte-rendu n'a pas été rempli, l'opération n'a pas eu lieu il a donc été condamné et n'a aucun recours contre cette brimade. Tout est fait aujourd'hui pour empêcher les médecins de travailler.
Le médecin est toujours tenu pour responsable
Leur « déprime » s'explique aussi par la dégradation de l’ambiance dans laquelle ils travaillent et par l'évolution de l'attitude des patients, qui a changé au cours des 30 dernières années. Les soins sont considérés comme un dû et les médecins n'ont pas le droit à l'échec non seulement leurs malades ne les remercient plus de leur avoir sauvé la vie, mais au moindre soupçon d'erreur, ils leur intentent un procès avec toutes chances de le gagner - les politiques votent des lois à cet effet. Si le malade meurt, quelle que soit la gravité de l'affection dont il souffre, le médecin en sera tenu pour responsable.
Personnellement, si je me suis arrêté à 57 ans au lieu de 65, alors que j'étais reconnu par mes confrères et par mes patients, c'est parce que je ne souhaitais plus travailler dans cette ambiance délétère. Aucun de mes patients ne m'a jamais fait de procès, mais mes successeurs, arrivés 10 ou 20 ans après moi, en ont déjà eu quatre ou cinq chacun. Désormais, on poursuit même les hôpitaux.
Les médecins ont, en général, le sentiment d'être mal aimés, accusés de tous les maux de la terre par les autorités et par les médias, et de « porter le chapeau » pour des erreurs que d'autres ont commises.
On leur reproche ainsi d'être responsables de l'augmentation des dépenses de santé, ou encore de la « désertification » des zones rurales, où ils refuseraient de s'installer.
N'ont-ils pas aussi à se plaindre d'une baisse de leur niveau de vie ?
La tarification pose un vrai problème le prix d'une consultation est inférieur à celui de l'intervention d'un plombier venu réparer un robinet ou d'une coupe de cheveux chez le coiffeur, et les charges sont de plus en plus lourdes. elles représentent aujourd'hui 60 % des émoluments des chirurgiens et 50 % de ceux des généralistes. Les assurances aussi deviennent de plus en plus chères dans certains secteurs d'activité, comme les gynécologues, les tarifs ont été multipliés par 10 en 10 ans, en raison notamment des risques de procès. Les honoraires sont loin d'avoir augmenté dans les mêmes proportions.
Les chirurgiens, en particulier, se sont considérablement appauvris en 30 ans, les rémunérations qu'ils percevaient ont été divisées par 10 par rapport à celles des praticiens consultants.
55 heures par semaine, week-end compris
Mais ces problèmes ne sont pas à l'origine du malaise actuel. Les médecins gagnent bien leur vie, en moyenne 90000 euros net par an. Ces revenus ne sont pas abusifs ils travaillent 55 heures par semaine, week-end compris, et ne prennent pas cinq semaines de congés par an. Calculée sur 35 heures, leur rémunération se situerait entre 30 000 et 40 000 euros net annuels, ce qui correspond à celle d'un cadre moyen. Il n'existe cependant pas beaucoup d'autres métiers où l'on gagne aussi bien sa vie… et que l'on rêve de quitter ! Les raisons qui les y poussent doivent donc être cherchées ailleurs.
Vous avez évoqué l'absence de médecins dans les zones rurales. Comment l'expliquez-vous ?
Cette « désertification » médicale des campagnes découle d'une pénurie organisée depuis des décennies par les gouvernements successifs, avec notamment l'instauration du numéros clausus dans les facultés de médecine, en 1972, par Raymond Soubie. Cet énarque avait imaginé qu'il suffirait de réduire le nombre des prescripteurs, autrement dit des médecins, pour diminuer aussi celui des prescriptions et limiter les dépenses sociales. Dans cette optique, le numéros clausus a restreint l'accès à la profession. Résultat : les dépenses de santé n'ont pas cessé d'augmenter et nous souffrons aujourd'hui d'une pénurie de médecins, plus assez nombreux pour combler les « trous » que l'on déplore dans le maillage médical du territoire. Les 35 heures ont aggravé le problème, car les jeunes médecins ne veulent plus sacrifier leur vie de famille en travaillant le week-end, ni être dérangés la nuit. Ils s'associent donc à trois ou quatre au sein de cabinets de groupe installés en zone urbaine.
Cette situation ne risque pas de s'arranger, car le nombre de praticiens va encore diminuer au cours de la prochaine décennie : de 126 000 aujourd'hui, il tombera à 100 000 dans dix ans, alors que la population augmentera parallèlement de 10 %. In fine, la proportion de médecins par habitant diminuera d'un tiers et nous devrons en faire venir 30 000 à 40 000 de l’étranger. Aujourd'hui déjà, le quart des praticiens qui s'installent à la campagne sont originaires de Roumanie. Ce pays a organisé un cursus d'études en langue française qui permet à ses étudiants de se former en vue de venir exercer dans notre pays. Les Roumains ont compris que, puisque nous empêchons nos propres enfants d'exercer la médecine, les leurs pourront les suppléer. Nous aurions pu en faire autant et ouvrir largement l'accès des études aux étudiants français, en dispensant aussi des cours en anglais, ce qui nous aurait permis non seulement d'avoir suffisamment de médecins, mais d'en envoyer à l'étranger.
C'est l'inverse qui s'est passé. Nous avions la meilleure médecine et les meilleurs médecins du monde; en 20 ans, nos dirigeants ont tout cassé.
De nombreux médecins étrangers travaillent déjà au sein des hôpitaux français. Que vaut leur formation» en comparaison de celle qui est dispensée en France ?
Ils ne sont pas aussi bien formés, mais, les Français ne suffisant pas à la tâche, on est bien content de les trouver. Ils ne sont pas titulaires mais contractuels et « font fonction » de médecin à titre temporaire en attendant d'être remplacé par un confrère diplômé en France mais cet état «temporaire» peut durer trente ans. Ils assument souvent des tâches et des horaires dont les Français ne veulent pas, et se plaignent non sans raison d'être exploités. Certains travaillent très bien, d'autres posent problème il est arrivé que l'on s'aperçoive qu'un « médecin » qui pratiquait des opérations chirurgicales ne possédait en réalité qu'un diplôme de brancardier. Le diplôme n'avait pas été traduit !
Les politiques portent-ils l'entière responsabilité de la situation actuelle ?
Il sont pleinement responsables de l'étatisation et de la centralisation de la médecine. En France, un seul homme a la haute main sur l'ensemble de ce secteur d'activité: le conseiller social à l’Élysée. Cette fonction a été occupée par Frédéric Salat-Baroux auprès de Jacques Chirac, puis par Raymond Soubie (le responsable de la mise en œuvre du numerus clausus et de la pénurie de médecins à venir), lui-même remplacé par Jean Castex au mois de novembre 2010.
Nous ne sommes pas en démocratie. À l'origine, il avait été prévu que les administrateurs
des caisse de Sécurité sociale seraient élus à la faveur d'élections générales. En réalité, le Conseil d'administration n'a jamais disposé d'un véritable pouvoir et les syndicats se sont partagé le « gâteau », jusqu'à ce qu'au début des années 1980 les élections soient supprimées. Aujourd'hui, tout le pouvoir revient à l'Union Nationale des Caisses d'Assurance Maladie -l'UNCAM, dont le directeur, Frédéric Van Roekeghem, l'ancien directeur de cabinet du ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy, a été nommé par Raymond Soubie. Van Roekeghem fait la pluie et le beau temps à la Sécurité sociale et n'a de comptes à rendre qu'au conseiller social de l’Élysée.
Des super-préfets qui ont tous les pouvoirs
De même, sous couleur de régionalisation, les caisses régionales ou primaires ont été dessaisies de leurs responsabilités au profit des Agences Régionales de Santé, dont les directeurs sont eux aussi nommés par le conseiller social de l’Élysée et ne dépendent que de lui. Ces super-préfets ont tous les pouvoirs leur autorisation est nécessaire pour s'installer, acheter du matériel, ouvrir un établissement, etc.
Cette étatisation et cette prise de pouvoir de l'Elysée sur la médecine française sont catastrophiques.
Propos recueillis par Hervé Bizien
monde&vie 25 juin 2011 n°845
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