Après des nuits de chaos, de pillages et d’incendies, la grande majorité de la gauche (partis, syndicats, personnalités) fait la sourde oreille et refuse de condamner les débordements. Pourtant, longtemps la tradition socialiste a tenu une ligne très dure sur le lumpenprolétariat.
Présentes en nombre à la marche blanche pour Nahel, beaucoup de personnalités politiques de gauche ont affiché leur soutien à la victime. Dès le lendemain des premières dégradations, le député France insoumise David Guiraud refusait d’en « appeler au calme ». Son chef, Jean-Luc Mélenchon, lui emboîtait le pas en ajoutant : « Les chiens de garde nous ordonnent d’appeler au calme. Nous appelons à la justice. »
À noter que lors de la première nuit d’affrontement avec les forces de l’ordre, un autre député LFI, Antoine Léaument, s’était même rendu à un commissariat pour s’assurer que les hommes interpelés ne subissaient pas de violence. Du côté des figures de la gauche médiatique (Rousseau, Boyard, Caron, Panot, etc.), on retrouve le même aplaventrisme devant la racaille. Et attention à ceux qui s’éloignent du narratif construit autour de ce « martyr », puisque François Ruffin, alors qu’il faisait un tweet sur les dividendes des actionnaires, se fit sermonner par des centaines d’internautes lui reprochant de ne pas prendre plus parti dans l’affaire.
La gauche court après la banlieue
Tout ce spectacle démontre que la gauche cherche son peuple révolutionnaire, et surtout qu’elle est prête à toutes les compromissions pour plaire aux émeutiers banlieusards. Or, les créatures de SOS Racisme abreuvées à la haine de la France, de l’homme blanc et du sentiment de revanche, ont depuis longtemps échappé à leur créateur. Le docteur Frankenstein est désormais la créature de son monstre. Ainsi Houria Bouteldja, ancienne porte-parole des Indigènes de la République, et qui avait qualifié Mélenchon de « butin de guerre », salua le refus d’appeler au calme d’une « France insoumise travaillée par les luttes ».
En ce qui concerne les émeutiers, la récupération n’est pas aisée avec ce genre d’individus : refus total des convergences, réflexion qui s’arrête à tout casser et cramer – dont des services publics –, absence de dialogue avec les représentants politiques qui leur sont acquis. Preuves à l’appui, des journalistes de gauche (Libération, Le Média) ont été agressés par des casseurs et le député LFI du Val-d’Oise, Martens Bilongo, a même reçu un coup de mortier d’artifice sur la tête alors qu’il venait « en soutien » aux habitants.
Ouvriers versus lumpenprolétariat
Dans la conception marxienne des classes, l’usage du terme lumpenprolétariat n’est pas fréquent. Engels, dans La Guerre des paysans en Allemagne (1850), en parle lorsqu’il s’intéresse à ces bandes de voyous pour savoir si, à l’aune des intérêts de classe et du comportement politique, une alliance est possible avec la masse des travailleurs. Il en vient à ce constat sans appel : « Le lumpenprolétariat, cette lie d’individus dévoyés de toutes les classes, qui établit son quartier général dans les grandes villes, est de tous les alliés possibles, le pire. […] Tout chef ouvrier qui emploie ces vagabonds comme gardes du corps, ou qui s’appuie sur eux, prouve déjà par là qu’il n’est qu’un traître au mouvement. »
Si la décomposition des structures corporatives féodales rend compte de l’apparition du lumpenprolétariat, ce sont les effets de la société ouverte, libérale et capitaliste (immigration de masse, modèle familial dégradé, sous-culture américaine), qui produisent à la chaîne ce type de délinquant – sans omettre la donnée ethno-religieuse du problème. Aussi ces franges enragées des banlieues ont acquis un ethos qui les empêche de rejoindre les mouvements sociaux de la classe populaire de souche. Et c’est pour cela qu’Engels, déjà à son époque, trouvait que cet élément, lorsqu’il participe aux luttes, le fait toujours de manière hostile, néfaste. Sur le sujet, Marx n’est pas en reste puisqu’il dénigre l’exemple des lazzaroni : ces individus, rodant sur le port de Naples, qui avaient la réputation de vivre de tâches occasionnelles comme le vol ou le meurtre. L’auteur du Capital va jusqu’à conclure que le lumpenprolétariat est irréformable, qu’il doit être abandonné à son sort, et qu’il faut surtout se préserver de sa contamination.
Certains avancent que la stigmatisation des banlieues obéit à une stratégie : désolidariser la classe populaire de souche d’avec les « barbares » (Bouteldja). Même s’il est vrai que cette alliance effraie la classe dirigeante, personne ne peut nier que ces deux peuples n’ont que peu avoir en commun à part des intérêts de classe – ce qui est beaucoup mais non suffisant. Tout comme, en juin 1848, les ouvriers insurgés avaient écrit sur les portes des maisons « Morts aux voleurs ! » pour se « débarrasser de cette bande » (Engels), c’est dans un même état d’esprit que le peuple donne, aujourd’hui, de manière si massive pour la cagnotte de soutien à la famille du policier (plus d’un million d’euros). Cet acte est avant tout l’expression d’un ras-le-bol vis-à-vis de la racaille, des politiciens et du système considéré comme « fort avec les faibles, faible avec les forts ».
Après le mythe du bon sauvage, celui de la bonne racaille
Comme nous venons de le voir, la « racaille » n’était pas en odeur de sainteté auprès de certains penseurs socialistes. Au niveau politique, ce fut la même chose. Pour faire face à un banditisme de plus en plus organisé, le président du Conseil Georges Clemenceau décida, en 1907, de créer le premier ancêtre de la Police judiciaire, les « Brigades du Tigre ».
Toutefois, une autre gauche se fait déjà jour. Elle tranche, quant à elle, par sa compassion, sa mansuétude, voire son attrait pour la figure de la canaille. Au XIXe siècle, plusieurs sommités littéraires « de gauche » vont alors impulser un mouvement de fascination pour les « minorités ». Auteur des Misérables, Hugo offre un exemple paradoxal de cette « école », chez lui non sans ingénuité : « Ces mots qui veulent être des injures, gueux, canailles, ochlocratie, populace, constatent de ceux qui règnent plutôt que la faute de ceux qui souffrent. […] Les gueux ont fait la Hollande ; la populace a sauvé Rome, la canaille suivait Jésus. »
Souvent par plaisir de voir la bourgeoisie enragée contre cette engeance, des auteurs de sensibilité libérale, comme Flaubert, choisissent le camp des « parias ». En parlant de la haine des « gens d’ordre », ce dernier écrit dans une lettre à George Sand : « C’est la haine que l’on porte au bédouin, à l’hérétique, au philosophe, au solitaire et au poète, et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère. » Autre parallèle avec la bourgeoisie cosmopolite actuelle, l’aversion de Flaubert pour la Commune peut se rapprocher du dégoût de la gauche caviar pour les « beaufs », les « Deschiens ». Si la bourgeoisie libérale et de gauche montre une sympathie pour les minorités, la racaille ou les migrants, cela va de pair avec son profond mépris pour la « majorité » et les classes populaires.
La gauche, ennemie du socialisme
À la fin des 1970, l’ensemble des penseurs de la critique sociale vont, par rejet du socialisme et du marxisme, œuvrer au retournement libéral de la gauche. Si Barthes ou Foucault mettent de côté Marx, d’autres vont plus loin, comme le sociologue Alain Touraine, en affirmant que « Mussolini a aussi été un dirigeant socialiste, et que le mot dont s’est servi le national-socialisme, pour se définir, ça n’a jamais été le fascisme ni le totalitarisme, ça a été ‘‘volkich = populaire’’. »
Le divorce est alors consommé entre la gauche et le socialisme originel qui avait pour but de transformer la société capitaliste, par la lutte des classes, en société collectiviste ou communiste. Ralliée à l’économie de marché, la gauche se coupe peu à peu des travailleurs en s’opposant – au nom de l’idéologie du progrès, de l’universalisme et du culte pour la racaille – aux valeurs populaires.
Par ralliement au libéralisme culturel, la gauche va se regrouper autour du dogme de l’antiracisme, du droit-de-l’hommisme, du sans-papiérisme et du mépris du peuple de souche. Le dernier clou dans le cercueil du socialisme populaire, ouvrier et enraciné, coïncida avec la fondation par Olivier Ferrand, en 2008, de Terra Nova. Ce think tank se rendit célèbre par sa note de 2011 qui dessinait la stratégie à suivre pour que la gauche revienne au pouvoir. Une nouvelle coalition électorale devait voir le jour « dont le cœur ne serait plus constitué par le “peuple de gauche” historique, les ouvriers et les employés, mais par de nouveaux électorats, qui ne recoupent qu’en partie les catégories électorales traditionnelles et que qualifierait la notion d’“outsiders”, à savoir les diplômés, les jeunes, les minorités issues de l’immigration, les femmes. »
Pour draguer son « peuple de rechange », la gauche fit passer les questions économiques au second plan derrière le combat culturel et sociétal. Il fallait avant tout combattre ces idées de droite que sont la lutte contre l’immigration – et les immigrés –, la lutte contre l’assistanat – et les assistés –, la promotion d’une société « morale », dotée de normes fortes, où l’on se protège des marges.
La marche blanche, la cagnotte du policier et le vote de 2022 nous ont montré qu’il existe deux France : celle d’une alliance trans-ethnique entre les populations blanches des villes et celles extra-européennes issues des banlieues contre le reste du peuple périphérique majoritairement composé d’autochtones et d’individus assimilés. Si rien ne change, la France qui se profile est celle d’une société du contrôle social à la chinoise, d’une société du pillage financier à l’américaine et d’une société de l’affrontement entre communautés empruntant un peu au Liban (conflit religieux), aux Balkans (conflit ethnique), au Brésil (conflit social) et à l’Afrique du Sud (conflit racial)
Rodolphe Cart
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