C’est sous la direction de Jean Lopez, directeur de la rédaction de Guerres & Histoire et auteur de nombreux ouvrages d’histoire militaire, notamment consacrés à la Seconde Guerre mondiale, que les éditions Perrin viennent de publier un impressionnant album sur l’Armée rouge. Certes, l’Armée rouge a déjà fait l’objet de nombreuses études, mais voici un ouvrage qui traite le sujet sous les angles les plus complets (les chefs, les doctrines, les stratèges, les matériels, les batailles,…), à la lumière des connaissances des dernières archives et avec une iconographie originale.
L’Armée rouge naît du coup d’Etat bolchévique de 1917. Elle a cette particularité d’avoir rapidement intériorisé l’usage de la terreur massive pour maintenir ses hommes au combat. La première exécution de soldats récalcitrants se produit près de Sviajsk, le 29 août 1918. Des centaines de milliers d’autres suivront jusqu’en 1945. C’est durant la guerre civile également que le RKKA acquiert la pratique d’une propagande massive en direction des soldats : pas d’Armée rouge sans commissaires politiques, sans sections spéciales de la police politique – Tchéka ou NKVD.
Armée révolutionnaire
L’Armée rouge est marquée par des débats doctrinaux incessants, qui se traduisent par une complexité et une instabilité institutionnelle qui dure jusqu’en 1925. La faible compétence militaire de Lénine, la rivalité entre Trotski et Staline ajoutent au chaos. L’armée qui émerge de ce maelstrom ne ressemble à aucune autre. Son nom initial est Armée rouge des ouvriers et paysans. Elle est une armée révolutionnaire dans son fonctionnement et ses objectifs et affirme vouloir la victoire de la révolution mondiale. Elle est la créature et l’instrument du Parti bolchévique qui se donne tous les moyens de la soumettre en permanence à ses objectifs. Mais elle a bien du mal à recruter des chefs qualifiés et lance donc un appel aux anciens officiers et sous-officiers du Tsar à entrer dans l’Armée rouge comme “spécialistes militaires”. 22 315 ex-officiers impériaux et 128 168 ex-sous-officiers impériaux répondront à l’appel, parmi lesquels plusieurs futurs maréchaux soviétiques. Ce qui n’empêchera pas bon nombre d’entre eux d’être éliminés lors des purges de juin 1937.
Guerres contre la Pologne, le Japon et la Finlande
L’ouvrage examine ensuite la guerre soviéto-polonaise commencée au printemps 1919, qui se joue d’abord entre trois partis : les Polonais, les Russes blancs et les bolcheviks, sans oublier les Alliés franco-britanniques que les appétits de Varsovie indisposent. La résurrection de la république polonaise pose les problèmes des frontières de cet Etat qui se verrait bien profiter de la guerre opposant Russes blancs et bolcheviks. La nouvelle armée polonaise amalgame les traditions des armées prussienne, autrichienne, française et russe. Misère matérielle et moral élevé caractérisent tant l’armée polonaise que l’Armée rouge. Ces deux armées disposent des deux plus grosses cavaleries du monde. Les Polonais vont se révéler très doués pour casser le chiffrement utilisé pour les messages codés soviétiques, grâce à une section spéciale de professeurs de mathématiques. En octobre 1920, quand la guerre avec les Soviétiques s’achève, cette équipe polonaise aura déchiffré près de 4 000 radio-cryptogrammes soviétiques.
Autre étude très intéressante, celle qui concerne le conflit, en 1939, entre le Japon, qui occupe la Mandchourie, et la Mongolie prosoviétique. La bataille de Khalkhin Gol voit l’Armée rouge annihiler les ambitions japonaises sur la région. Les Soviétiques ont pourtant en face d’eux des hommes que l’on considère comme la meilleure infanterie du monde par sa discipline, sa capacité à se faire tuer sur place et sa science du combat de nuit. Et si les artilleurs nippons sont mieux formés que leurs homologues soviétiques, ils seront écrasés sous le feu de pièces plus lourdes et trois fois plus nombreuses.
Le lecteur est ensuite entraîné dans le conflit qui oppose l’armée finlandaise à l’Armée rouge. Les Finlandais ont su dominer les Soviétiques dans la défense, s’appuyant sur la rusticité de leur infanterie paysanne, bien adaptée aux conditions naturelles. 64 000 Soviétiques sont capturés pendant la guerre dite de Continuation. L’Armée rouge perd en outre environ 270 000 tués et dénombre 550 000 blessés.
Le choc titanesque de la Seconde Guerre mondiale
Bien entendu, cet album accorde ensuite une large place au conflit entre deux armées gigantesques que sont l’armée allemande et l’armée soviétique à partir de l’Opération Barbarossa. Six millions d’hommes, 18 000 chars et 12 000 avions se font face. L’armée allemande réussit en Union soviétique une campagne de France à l’échelle 10. Quelques semaines après le début de l’offensive, il ne reste presque rien de l’Armée rouge qui s’alignait sur les frontières. Paradoxalement, cette victoire sans précédent dans l’histoire débouche sur un échec de portée stratégique. L’ouvrage examine tant les erreurs soviétiques qu’allemandes. A l’été 1942, l’Armée rouge paraît au bord du gouffre. Six mois plus tard, c’est son adversaire qui semble à la dérive. Mais à Stalingrad, la résistance de la VIe armée allemande durant plus de deux mois est un exploit sans précédent dans l’histoire des guerres, exploit qui a immobilisé pas moins de sept armées soviétiques.
Ce livre ne manque pas d’aborder l’art opératif, innovation théorique majeure de la pensée soviétique combinant l’ensemble des activités militaires relevant de techniques différentes – la tactique, la logistique, le renseignement, la désinformation et le contrôle des troupes. Bien sûr, il est aussi attentivement question du NKVD qui, alignant jusqu’à 10 % des effectifs de l’Armée rouge, a participé à la Seconde Guerre mondiale comme une véritable troupe d’élite, abonnée aux missions spéciales et volontiers sacrifiée. Mais c’est surtout en tant que bras armée de la terreur stalinienne et, à ce titre, une des pires organisations criminelles de l’histoire, que le NKVD est resté dans les mémoires.
Cet album de très grande qualité renouvelle le sujet et intéressera tous les amateurs d’histoire militaire.
L’Armée rouge, sous la direction de Jean Lopez, éditions Perrin, 400 pages, 35 euros
A commander en ligne sur le site de l’éditeur
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