Le roi, incarnation de la continuité et de l'unité de la nation
La première réponse pourrait être cynique et illustrée par le dessinateur espagnol Juan Maria Nieto. Un rat soulève une couronne royale, sous laquelle est caché un personnage dont on ne voit que la paire d’yeux. L'animal s’adresse au personnage : « Tu peux sortir, tout le monde est parti, monsieur le Président ». Le Président, c’est évidemment le président du gouvernement, le socialiste Pedro Sanchez. Un Pedro Sanchez qui accompagnait le roi et la reine (ou le contraire ?) dans cette visite et qui a dû être exfiltré précipitamment sous les insultes, les jets de boue et voire plus, alors que les souverains sont restés sur place plus d’une heure après le départ du chef du gouvernement, affrontant eux aussi les mêmes insultes et jets de boue et allant à la rencontre de la population. Un roi, ça peut donc servir de bouclier, de paratonnerre à un pouvoir politique en difficulté lorsque le peuple lui reproche son impéritie.
Étonnant paradoxe, car le roi d’Espagne n’a plus le pouvoir qu’il avait hérité en 1975 à la mort de Franco. Il incarne la continuité et l’unité de la nation. Il est garant de la Constitution. C’est d’ailleurs à ce titre qu’en 2017, il avait dénoncé très fermement et très officiellement la « déloyauté inadmissible » du gouvernement catalan lorsque son président, Carles Puigdemont, avait annoncé son intention de proclamer l’indépendance de la Catalogne. Il est chef des armées. Formé dans les écoles d’officiers, comme son père l’avait été, et comme la princesse Leonor l’est aujourd’hui, il connaît toute la haute hiérarchie militaire aujourd’hui aux commandes. Ce qui n’est pas rien dans un pays à forte tradition militaire. Mais il n’a pas de pouvoir politique. Tout du moins officiellement.
Felipe, plus Bourbon que jamais
Le roi incarne la continuité et l’unité de la nation mais il incarne aussi l’État, comme l’avait expliqué Frédéric Rouvillois au Figaro en 2014 : « le Prince donne un visage à l'État, contribuant ainsi à réchauffer ‘‘le plus froid des monstres froids’’ naguère décrit par Nietzsche. Face au pouvoir sans visage de nos technocraties contemporaines, la royauté paraît finalement un pouvoir très humain ! » Et n’est-ce pas ce qui s’est passé très concrètement dimanche après-midi ? On était loin du « débarquement des costumes bleus », comme nous avons pu le lire récemment, lors d’une visite officielle très républicaine à Annonay (Ardèche) après les inondations. Le roi et la reine, habillés simplement, n’hésitant pas à fendre le service d’ordre pour s’adresser « aux gens ». Un roi imperturbable, plus Bourbon que jamais, digne malgré une foule survoltée, à bout de fatigue et de désespoir. Mais un roi qui sait que le cœur, l’essence même de son métier, ce n’est pas de servir de couverture : ni à un palot Premier ministre, ni aux magazines people. Il le sait parce qu’il est issu d’une lignée plus que millénaire, parce qu’il a été formé, éduqué pour ça.
Cette visite : une erreur ?
Alors, bien sûr, on peut se poser la question de l’opportunité du moment de cette visite. Le journal El Diaro, plutôt classé à gauche, titre sur une « visite irresponsable » et parle d’« erreur absolue ». « Une déclaration institutionnelle du roi depuis le centre d’urgence aurait été préférable, expliquant qu’il n’irait pas pour ne pas interrompre les opérations de sauvetage… » Cela se défend, tout du moins rationnellement, technocratiquement parlant. Et pourquoi pas une visioconférence depuis le palais de la Zarzuela ? Trop tôt, trop tard ? Pas toujours facile à évaluer. Mais au fond, ce qui doit mettre hors d’elle la gauche, qui n’accepte la monarchie que du bout des lèvres, c’est de voir un roi, accompagné de son épouse, qui fait face, montre des preuves tangibles d’empathie en prenant dans ses bras des hommes et des femmes accablés. C’est une reine, loin de l'image de l'ancienne vedette du JT ou de la reine un peu froide et distante qu'elle a souvent eut, qui n’a pu retenir ses larmes et s’est faite consolatrice, passant outre les outrages reçus.
Des images qui contrastent terriblement avec ce que beaucoup considèrent comme de la couardise de la part des politiques, notamment de Sanchez.
Nous sommes prêts à prendre les paris : ceux qui voient dans cet événement le début de la fin de la monarchie espagnole se trompent. Au contraire, il est probable qu’elle ressorte plus que jamais grandie de cette épreuve. Et, imaginons, si, comme en d’autres temps, finalement pas tellement plus rudes que les nôtres, pour apprendre son futur métier de reine, la princesse héritière Léonor avait accompagné ses parents. Imaginons...
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