A-t-on le droit de critiquer la Justice ?
On se souvient qu’en 2013, Henri Guaino, alors député, avait été traîné en Justice, suite à un signalement de l’Union syndicale des magistrats (USM), pour « outrage à magistrat » et « discrédit jeté sur une décision de justice ». L’ancien conseiller spécial de l’Élysée avait contesté la décision d’un juge bordelais de mettre en examen Nicolas Sarkozy dans l’affaire Bettencourt. Ce juge, pour Guaino qui contestait « la manière dont il [avait] fait son travail », avait « déshonoré un homme, les institutions, la Justice ». En 2015, pour cette déclaration, Henri Guaino avait été condamné, en appel, pour outrage à 2.000 euros d’amende. L’avocate générale avait alors pointé des propos « extrêmement graves, extrêmement préjudiciables » ayant pour objectif de « salir le magistrat et la façon dont il avait exercé son métier ». De son côté, Henri Guaino avait défendu sa « liberté d’expression imprescriptible » en demandant s’il « y aurait une institution qui échapperait à la critique ». Bonne question. Son défenseur, qui n’était autre qu’Éric Dupond-Moretti, s’en était pris à une loi « poussiéreuse », « d’un autre siècle ». Cette condamnation fut annulée en 2016 par la Cour de cassation. Une décision que Mediapart avait saluée ainsi : « C’est une bonne nouvelle pour la liberté d’expression, mais aussi une porte ouverte à tous les excès de langage. » Faut-il comprendre que la liberté d’expression est réservée à certains ? Cette digression pour dire que Gérald Darmanin est sans doute encore libre de s’exprimer dans ce pays !
Indépendance de la Justice ?
Par ailleurs, il serait peut-être bon de rappeler qu’en France, selon la Constitution de 1958, il n’y a pas de « pouvoir judiciaire » mais une « autorité judiciaire » ; que dans cette Constitution, il est question d'« indépendance » et non de « séparation ». Nuances ! Nuances, peut-être, mais de taille. Et s’il doit y avoir indépendance entre les différents « pouvoirs » (exécutif, législatif, judiciaire), cette indépendance doit s’appliquer de façon réciproque.
D'une part, que la justice puisse être rendue selon les lois de la République en toute indépendance du pouvoir législatif et exécutif. Du reste, à ce sujet, si l’on voulait une totale et absolue indépendance, il faudrait peut-être imposer aux magistrats du siège et du parquet la règle qui s’applique aux parlementaires : c’est-à-dire l’impossibilité d’être nommés et promus dans les ordres nationaux durant l’exercice de leur charge. Il est vrai qu'une cravate de commandeur sur une toge, en fin de carrière, est du meilleur effet...
D'autre part, que l'autorité judiciaire ne puisse, par ses décisions, influer de façon excessive sur le cours de la vie politique du pays. Et l’on en vient, évidemment, à la peine complémentaire d’inéligibilité provisoire (qui s’appliquerait immédiatement à Marine Le Pen, en cas de condamnation en première instance, sans préjuger des décisions d’appel et de cassation). L’équilibre institutionnel entre pouvoir politique et autorité judiciaire dépend, bien évidemment, des lois en vigueur mais aussi de l’application que l’on en fait… en toute indépendance. Or, n’est-on pas en droit de se poser cette question de l’indépendance de la justice, lorsqu’une procureur, dans le procès des assistants parlementaires du RN, lâche, au sujet d’un des prévenus : « Je ne peux pas demander une relaxe [partielle]. Ça me ferait trop mal. Je m’en rapporte donc [à la décision du tribunal]… » Lapsus révélateur d’une Justice partiale, voire partisane ?
L'œuvre de la justice : la paix
Il faut relire ce que Jean Foyer (1921-2008), garde des Sceaux du général de Gaulle et l’un des pères de la Constitution, écrivait en 1981, dans un article intitulé « La justice : histoire d’un pouvoir refusé ». « Le pouvoir que le droit révolutionnaire avait refusé aux juges, ceux-ci ont commencé à le conquérir dans les temps contemporains, et le législateur de leur laisser prendre. » Depuis, le phénomène ne s'est-il pas aggravé ? Ce que certains appellent le « gouvernement des juges » et que d'autres drapent dans le vertueux manteau de l'État de droit. L'ancien ministre de De Gaulle ajoutait : « Il ne suffit point à la décision juridictionnelle de s’imposer, fût-ce par la contrainte. Elle ne remplit son œuvre, qui est la paix, qu’autant qu’elle est reçue, comprise, acceptée comme étant l’expression de la justice. » Plus loin encore : « L’arbitraire du juge serait la négation de la République et la Révolution serait à refaire. » À méditer, que l'on soit simple citoyen, politique, procureur... ou juge.
Au fond, l’enjeu de ce procès n’est pas tant, évidemment, que ça fasse mal, ou pas - on ne sait où, d'ailleurs -, à une quelconque procureure. L’enjeu n’est même pas celui de l’avenir politique de Marine Le Pen. L’enjeu, c’est, plus gravement, celui de l’équilibre de nos institutions et, au final, la pérennité de notre démocratie.
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