Avec leur nouvelle mobilisation, nos chers agriculteurs perpétuent une longue tradition dans l'Histoire de France. Depuis le Moyen Âge, les paysans français ont toujours su exprimer leur mécontentement à travers diverses révoltes. Après avoir évoqué les jacqueries médiévales, on ne peut ignorer d'autres soulèvements paysans survenus plus tard. L'un d'entre eux, la révolte des croquants, s'étend de la fin du XVIe siècle jusqu'au début du XVIIIe siècle. Cette révolte, marquée par une série de soulèvements dans le sud-ouest de la France, opposa les populations paysannes, notamment occitanes, à l'autorité royale et à ses abus fiscaux.
Origine et première révolte des croquants
Avec la fin des guerres de Religion, le royaume de France, exsangue, tente de se relever de décennies de conflits civils. Le roi Henri IV, confronté à la nécessité de restaurer l'autorité royale et de rétablir la paix, augmente considérablement les impôts et les taxes. Cette pression fiscale accable alors des paysans déjà démunis. Face à cette injustice, les habitants du Périgord, du Quercy et du Limousin se soulèvent dès 1594 contre les nouvelles exigences des intendants royaux.
Ces révoltés, souvent menés par de petits notables ou d'anciens soldats, s'organisent en bandes armées et sont surnommés les croquants. Selon Yves-Marie Bercé, dans son Histoire des croquants, ce terme, initialement, ne désignait pas les paysans eux-mêmes, mais plutôt ceux qui cherchaient à s’accaparer leurs rares richesses, à « croquer et à dévorer les pauvres gens de la campagne ». Georges Brassens, dans sa Chanson pour l'Auvergnat, lorsqu'il évoquait « les croquantes et les croquants, tous les gens bien intentionnés... », ne s'y était sans doute pas trompé. Au fil du temps, ce mot perdit son sens premier et finit par désigner les révoltés eux-mêmes, assimilés à des gens modestes ou à des brigands. Pourtant, ces croquants n'étaient en rien des voleurs : ils exigeaient seulement la fin de cette fiscalité écrasante et le retour à une justice sociale. Malgré leur courage et la légitimité de leur cause, ces premiers soulèvements furent écrasés avec brutalité par l'armée royale dès 1595.
Résurgence d’une rébellion définitivement réprimée
Si les autorités royales pensaient avoir étouffé l'esprit de révolte, elles se trompaient lourdement. En effet, au début du règne de Louis XIII, sous le gouvernement de Richelieu, les croquants réapparaissent avec encore plus de détermination. Les régions du Quercy, du Périgord, de l'Angoumois et de l'Agenais deviennent des foyers d'insurrections majeures. Cette fois, les croquants sont mieux organisés, créant de véritables assemblées pour coordonner leurs actions. Leur objectif est clair : obtenir l'abolition des nouveaux impôts et la restauration des privilèges communautaires perdus. En 1637, Richelieu, refusant toute contestation de son autorité, envoie alors l'armée pour réprimer ces soulèvements. La répression est implacable : des villages entiers sont détruits et les chefs sont soit exécutés, soit envoyés aux galères, soit bannis.
La dernière grande révolte, surnommée la révolte des Tard-avisés et parfois considérée comme le dernier sursaut du mouvement des croquants, éclate en 1707. Cette fois, dans le Quercy et le Rouergue, les paysans protestent principalement contre la gabelle et d'autres charges. Épuisées par la guerre de Succession d'Espagne et par des famines répétées, les populations rurales tentent une ultime résistance. Mais, une fois encore, la répression royale met un terme définitif à ce mouvement qui avait secoué le Sud-Ouest pendant plus d'un siècle.
Ainsi, les révoltes des croquants révèlent la persistance d'une France rurale en quête de justice et de dignité face aux abus d'un pouvoir centralisateur. Si ces révoltes se sont soldées par des échecs militaires, elles ont contribué à rappeler aux élites que le peuple ne tolérerait pas indéfiniment l'oppression fiscale et sociale. Aujourd'hui, les mobilisations de nos agriculteurs s'inscrivent dans ce même élan historique. En revendiquant de pouvoir vivre de leur travail sans subir une concurrence déloyale, ces « nouveaux croquants » perpétuent l'héritage d'une longue tradition de résistance paysanne. Leurs luttes rappellent que les campagnes françaises restent un bastion de contestation, où l'histoire et le passé ne cessent d’inspirer le présent.
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