Après
la défaite de Mohacs en 1526 contre les Turcs, le Traité du Trianon est
la seconde grande catastrophe subie par le peuple magyar. Le 4 juin
1920, le ministre plénipotentiaire hongrois Agoston Bénard et l’envoyé
Alfred Drasche-Lazar signent, dans les salles du château de plaisance du
Trianon les actes du traité fatidique pour la Hongrie. En guise de
protestation contre ce Diktat imposé par les vainqueurs, les 2 hommes
ont signé debout. Car la délégation de Budapest avec, à sa tête, le
Comte Albert Apponyi, subit en fait le même sort que les Autrichiens
guidés par Karl Renner : tous ses arguments, sans exception, n’ont aucun
impact. À la suite de ces vaines tentatives de négociations, les
délégués hongrois sont contraints de signer le texte formulé et imposé
par les vainqueurs.
Toute
la Hongrie met les drapeaux en berne. Plus des deux tiers du territoire
de l’État hongrois doivent être cédés, avec 60% de ses citoyens
d’avant-guerre qui deviennent en un tournemain des étrangers, parmi
lesquels 3 millions de Magyars ethniques. La Transylvanie, la Batschka
et le Banat, les « Hautes Terres » (c’est-à-dire la Slovaquie) et
l’accès à la mer par Fiume : tout est perdu. Même la Pologne, amie par
tradition, reçoit quelques lambeaux de sol hongrois dans les Tatras. De
plus, le Royaume de Croatie tout entier, avec ses 52.541 km2, est arraché à la Hongrie, alors qu’il était lié à elle par le biais d’une union personnelle depuis le XIIe
siècle et où, selon le recensement de 1910, vivaient 105.948 Hongrois.
La Croatie, bon gré mal gré, devient partie intégrante du Royaume des
Serbes, Croates et Slovènes. « Nem, nem, soha ! » (« Non, non,
jamais » !), entend-on de toutes parts. Les uns, en songeant au rude
traitement parfois infligé aux composantes ethniques non magyares avant
1914, veulent réviser le Traité du Trianon de manière minimaliste en
réclamant que les régions peuplées de Magyars reviennent à la mère
patrie ; les autres, plus radicaux, lancent le mot d’ordre « Mindent
vissza ! » (« Tout doit revenir ! ») et réclament le statu quo ante.
Par
le biais du Protocole de Venise et du référendum contesté dans la
région d’Ödenburg, Budapest parvient en décembre 1921 à obtenir une
révision très modeste du Diktat : les territoires retournés ont une
superficie de 292 km2, où
vivent 50.023 citoyens. À la suite d’une décision de la Commission des
Frontières de l’Entente, quelques villages le long de la rivière Pinka
(Nahring, Schilding, Kroatisch-Schützen, Pernau et Grossdorf) retournent
sous souveraineté hongroise : en tout 67 km2. À ces villages, il faut ajouter Prostrum et Bleigraben.
En juin 1927, le pays entre en ébullition car le quotidien londonien Daily Mail,
dans son édition du 21 juin, fait paraître un article titré « Hungary’s
Place in the Sun » (La place de la Hongrie sous le soleil). L’auteur de
cet article n’est rien moins que le magnat de la presse Lord
Rothermere, dont le nom civil est Harold Sidney Harmsworth. Ce Lord
Rothermere réclame une révision du Diktat du Trianon sur base
ethnique-nationale. À Budapest, les optimistes pensent qu’il s’agit
d’une initiative des affaires étrangères britanniques, ce qui s’avère
bien rapidement un vœu pieux. Malgré cela, des centaines de milliers de
personnes exultent quand Lors Rothermere vient en Hongrie pour visiter
le pays. Certes, le Lord reste loyal à l’égard de la Hongrie, sponsorise
le vol transocéanique entre Budapest et le New Foundland en juillet
1931, quatre ans après le vol en solitaire de Charles Lindbergh.
L’appareil porte sur ses ailes une inscription, « Justice for
Hungary », et traverse l’Atlantique en moins de 14 heures.
Mais,
à ce moment-là, il n’est pas question de songer à modifier les
frontières imposées par le Traité du Trianon. En pratique, la Hongrie
est presque entièrement encerclée par les puissances de la « Petite
Entente », l’alliance militaire entre Prague, Belgrade et Bucarest. Il
faut attendre 1938 pour que la situation se modifie. En août, le Régent
du Royaume, Horthy, est à Kiel en tant que dernier Commandeur de la
Marine de guerre impériale et royale austro-hongroise ; il y est
l’invité d’honneur d’Adolf Hitler à l’occasion du lancement du croiseur
lourd « Prince Eugène » (Prinz Eugen). On en arrive à parler de
la Tchécoslovaquie mais, à la grande déception de son hôte allemand, le
Régent Horthy préconise une solution pacifique à la question.
Lors
des Accords de Munich, Mussolini jette dans les débats la questions des
revendications polonaises (le territoire de Teschen) et hongroises sur
la Tchécoslovaquie, ce qui débouche sur le premier Arbitrage de Vienne
du 2 novembre 1938, qui accorde à la Hongrie une bande territoriale le
long de la frontière hungaro-slovaque. Acclamé par la foule, le Régent,
chevauchant un destrier blanc, entre dans la petite ville de Kaschau,
accompagné de Lord Rothermere. En mars 1939, la Tchéquie résiduaire
s’effondre et les troupes de la Honvéd (l’armée nationale hongroise)
occupent l’Ukraine subcarpathique jusqu’à la frontière polonaise.
Un
autre ardent désir des Hongrois se voit exaucé, du moins partiellement,
par le second arbitrage de Vienne : le retour de la partie
septentrionale de la Transylvanie avec l’enclave des Szekler (13.200 km2
avec un demi million d’habitants, dont 91% de langue hongroise). Cette
région se trouve sur les flancs des Carpates orientales. Le 30 août
1940, lorsque la carte des nouveaux changements de frontières est
présentée dans les salons du Château du Belvédère à Vienne, le ministre
roumain des affaires étrangères Mihail Manoilescu s’effondre, terrassé
par une crise cardiaque.
L’étape
suivante (la dernière) a lieu en avril 1941. À la suite de la campagne
militaire menée contre la Yougoslavie, les troupes de la Honvéd entrent
dans la plupart des régions de la Batschka, peuplée de Hongrois. L’armée
hongroise occupe également l’île de Mur entre les rivières Drave et
Mur, au nord de Varajdin. Le Banat occidental (la partie orientale de
cette région avait été attribuée à la Roumanie par le Traité du
Trianon), avec ses 640.000 habitants, dont un bon nombre d’Allemands
ethniques (*), ne revient pas à la Hongrie malgré l’aval de Berlin,
parce que la Roumanie, elle aussi, avait exigé des compensations. Pour
éviter une confrontation pour la maîtrise de cette région, celle-ci
restera sous administration militaire allemande pendant la durée du
conflit, une situation qui ne satisfaisait aucun des protagonistes.
Avec le soutien allemand, la Hongrie a pu récupéré, en 2 ans et demi, un ensemble de territoires de 80.000 km2
en tout, avec 5 millions d’habitants dont plus de 2 millions de
Magyars, vivant, depuis l’application des clauses du Traité du Trianon,
sous domination étrangère. Mais les tensions entre voisins demeurent :
des tirs sporadiques éclatent le long de la frontière roumaine pendant
l’été 1941. La Slovaquie, à son tour, demande des compensations
territoriales ou le retour de certaines terres à la souveraineté
slovaque. La Croatie veut récupérer l’île de Mur. Bratislava essaye même
de raviver la « Petite Entente » mais Ribbentrop parvient à apaiser les
partenaires de l’Allemagne et de l’Axe. Mais la joie d’avoir récupéré
les territoires perdus à la suite du Diktat du Trianon ne durera guère. À
la fin de l’année 1944, les armées soviétiques déferlent sur la
Hongrie, alliée à l’Allemagne. Le traité de paix du 10 février 1947,
signé à Paris dans le Palais du Luxembourg, les vainqueurs réimposent le
statu quo d’avant la guerre. Pire : la Hongrie doit céder 3 villages
supplémentaires à la république tchécoslovaque de Benes.
► Erich Körner-Lakatos, zur Zeit n°24/2010. http://www.archiveseroe.eu
◘ Note :
(*) Ainsi que des Lorrains et des Luxembourgeois thiois et wallons, installés là-bas à la suite des invasions françaises du XVIIe
siècle qui ont saccagé et ruiné la Lorraine et la Franche-Comté,
« génocidant » littéralement ces provinces et forçant, comme dans le
Palatinat rhénan, les populations à fuir. Dans certaines zones, ce sont
les deux tiers de la population qui est purement et simplement massacrée
ou qui doit fuir. On trouvera des Lorrains dans la région de Rome, où
ils ont été invités à assécher les fameux marais pontins et y ont péri
de malaria et de typhus. Les Franc-Comtois, dont les villages et les
fermes ont été incendiés par la soldatesque française et par les
mercenaires suédois au service du Roi-Soleil, se retrouveront en Suisse
et surtout au Val d’Aoste. La romanité impériale a subi de terribles
sévices que l’historiographie française officielle a gommé des mémoires.
Une historiographie, aujourd’hui « républicaine », qui donne des leçons
à autrui mais dissimule des pratiques génocidaires inavouées et
particulièrement écœurantes.
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