10 janvier : Prise de Konna par les djihadistes. Bamako appelle la France à l’aide
C’est à la demande du président malien par intérim, Dioncounda
Traoré, que Paris a décidé d’engager une action militaire au Mali afin
de repousser une offensive de groupes armés islamistes et de les
empêcher de progresser vers le sud, en direction de la capitale
malienne, Bamako. Le 20 décembre 2012, le Conseil de sécurité de l’ONU
avait autorisé le déploiement, en appui de l’armée malienne, d’une force
ouest-africaine de 3.000 hommes, mais la mise en place de ce dispositif
devrait prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer la prise de la ville de
Konna (centre) par les djihadistes, le jeudi 10 janvier 2013, action qui
pouvait être interprétée comme une démonstration de force dans le cadre
de la négociation politique, mais également comme une volonté de
progresser militairement vers le sud du pays, et donc vers la capitale,
avant l’arrivée de la force africaine. La chute de Konna a également
démontré la nécessité de reconstruire au plus vite une armée malienne
dont la rapide déroute de ces derniers jours face aux djihadistes – les
soldats maliens ont lutté quelques heures avant d’être complètement
débordés –, n’a pas manqué d’inquiéter les observateurs. Les unités
maliennes défaites à Konna étaient justement celles dont une mission
européenne devait assurer la formation, raison pour laquelle des
instructeurs européens avaient commencé à arriver au Mali. Mais dans
l’urgence, il a fallu envisager un autre scénario, et privilégier
l’intervention militaire directe.
11 janvier : L’armée française intervient
La France a donc répondu positivement à la demande d’aide malienne,
et l’armée française est intervenue, dès le vendredi 11 janvier, en
appui des forces gouvernementales de Bamako. Dans la nuit du 10 au 11
janvier, des éléments de la Brigade des Forces Spéciales Terre (BFST)
étaient engagés dans la région de Mopti, plus précisément vers Sévaré
(centre), localité qui possède un aéroport et où l’on notait également
la présence de soldats sénégalais et nigérians. Dans la journée du 11
janvier, à 16h, ce sont les Gazelle (HOT et canons 20 mm) du 4e Régiment d’Hélicoptères des Forces Spéciales (4e
RHFS) de Pau, qui entraient en action contre une colonne de djihadistes
qui tentaient de progresser vers le sud. Quatre véhicules ennemis ont
été détruits, provoquant le repli du reste de la colonne. On doit hélas
déplorer une perte survenue au cours de cette opération : le lieutenant
Damien Boiteux, mortellement blessé, alors qu’il était aux commandes
d’un des hélicoptères. Les forces françaises continuent cependant à
affluer au Mali. Les observateurs évoquaient notamment un
sous-groupement de 200 militaires déployés au Tchad, dans le cadre du
dispositif Epervier, et projetés à Bamako par avions C-130 Hercules et
C-160 Transall. Il s’agit vraisemblablement de marsouins du 2e Régiment
d’Infanterie de Marine (2e RIMa) de Fréjus (compagnie d’éclairage et d’investigation), et d’éléments du 1er Régiment Etranger de Reconnaissance (1er REC) d’Orange. Ces hommes ont tout récemment effectué une mission de reconnaissance dans le désert tchadien.
12 janvier-13 janvier : Frappes françaises et contre-offensive
Dans la nuit du 11 au 12 janvier, quatre Mirage 2000D appartenant au
groupement air du dispositif Epervier (Tchad) et appuyés par deux
avions-ravitailleurs KC-135, ont mené des frappes dans le secteur de
Mopti. Quatre Rafale sont également intervenus dans le nord du Mali, au
cœur des territoires djihadistes, et particulièrement dans le secteur de
Gao où ils auraient anéanti des camps d’entraînement, des dépôts
logistiques et des infrastructures servant de bases arrière pour les
djihadistes, particulièrement pour ceux du groupe Mujao. Les principales
bases djihadistes de la région de Gao auraient ainsi été mises hors
d’usage et la presque totalité des djihadistes se seraient repliés. Les
Rafale qui ont mené cette mission ont été déployés à N’Djamena (Tchad).
Ils semblent avoir décollé, à l’origine, de la base aérienne 113 de
Saint-Dizier et doivent probablement appartenir à l’Escadron de Chasse
1/7 Provence. D’autres cibles ont été frappées par l’aviation française à
Léré (près de la Mauritanie), Douentza, Kidal, Aghabo (base importante
du groupe djihadiste Ansar Dine).
Dans la ville historique de Tombouctou, où les djihadistes ont commis
nombre d’atrocités ces derniers mois, on faisait état d’un début de
panique parmi les familles des islamistes partis au combat, beaucoup
tentant de fuir dans le désert. Le même jour, une contre-offensive a été
lancée avec succès pour reprendre Konna aux islamistes. Au terme de
durs combats, les armées française et malienne ont pris le contrôle de
la ville. Selon des sources locales, des dizaines, voire même une
centaine de djihadistes, auraient été tués au cours des combats. On
compterait parmi eux Abdel Krim, alias « Kojak », l’un des principaux
lieutenants d’Iyad Ad Ghaly, le chef du groupe islamiste Ansar-Dine.
14 janvier : A l’ouest, les forces djihadistes se réorganisent
Ces indéniables succès militaires qui résultent, pour une bonne part,
de l’action des forces armées françaises, l’armée malienne se trouvant
dans un état avancé de déliquescence, ont provoqué des déclarations
politiques de François Hollande et de Laurent Fabius, frisant une
véritable proclamation de victoire, alors que la situation sur le
terrain, comme dans chaque début de conflit, devrait plutôt inciter à la
prudence. Lorsque Monsieur Fabius déclare que « bloquer les terroristes
au Mali, c’est fait ! », il joue sur les mots. Si des éléments
djihadistes ont bien été stoppés dans leur progression récente vers la
capitale malienne et s’ils ont bien été forcés au repli, ils n’en sont
pas pour autant anéantis et n’ont perdu ni leur capacité à reprendre, le
moment venu, leur marche vers le sud, ni leurs capacités de résistance
et de nuisance. Nous ne sommes là qu’au tout début d’un conflit dont
Monsieur Fabius lui-même nous dit qu’il pourrait s’étendre sur
« plusieurs semaines ». On pourrait tout aussi bien dire plusieurs mois.
Bloqués au sud, les djihadistes se sont partiellement repliés vers
l’est (région de Douentza).
Mais c’est à l’ouest qu’ils semblent devoir poser le plus de
problèmes. De fait, suite à leur échec à Konna, les djihadistes ont mené
avec succès une contre-offensive sur Diabali, une bourgade située à 400
km au nord de Bamako, près de la frontière mauritanienne. L’information
a été confirmée par le ministère français de la Défense, ce lundi 14
janvier. Tout comme à Konna, les forces gouvernementales maliennes ont
résisté avant de devoir abandonner rapidement le combat. Dans la région
de Diabali évoluent aujourd’hui les éléments les plus déterminés, les
plus structurés, les plus fanatiques et les mieux armés des groupes
islamistes du Mali. Tant pour Paris que pour Bamako, Diabali constitue
donc désormais ce que le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le
Drian, a nommé pudiquement un « point difficile ».
15 janvier : Alerte Guépard – L’opération Serval monte en puissance
Dans
la nuit du 14 au 15 janvier, de nouvelles frappes aériennes ont été
menées avec succès par l’Armée de l’Air. Durant la même nuit, une
colonne d’une quarantaine de blindés français venus de Côte d’Ivoire est
arrivée à Bamako. Les engins se sont déployés dans la partie militaire
de l’aéroport de la capitale malienne vers 3h du matin. Ces blindés,
dont un certain nombre d’ERC-90 Sagaie, seront cantonnés, dans un
premier temps, à Bamako, avant d’être engagés ultérieurement dans les
combats contre les groupes islamistes. Le nombre de soldats français
actuellement présents au Mali serait de 750, effectifs qui devraient
augmenter rapidement et considérablement dans les prochains jours.
Certaines sources évoquent 2500 hommes.
Des unités militaires vont être mises en alerte Guépard, à l’instar, dès aujourd’hui, d’une compagnie du 2e
RIMa d’Auvours. L’alerte Guépard est une astreinte pour des militaires
composant le plus petit module d’une unité, projetable dans un délai
fixé selon l’état d’urgence en vigueur. Les éléments placés en alerte
Guépard doivent être prêts à partir dans les plus brefs délais. Et
certains de regretter, non sans raison, la dissolution de la Force
d’Action Rapide (FAR), en 1996. Du côté du dispositif aérien, on évoque
aussi, en plus des quatre Rafale et des six Mirage 2000D, les deux
Mirage F-1CR, déployés au Tchad dans le cadre d’Epervier, des
hélicoptères Tigre qui viendront compléter les unités de Gazelle, les
« Patrouilleurs du désert » (surveillance et renseignements) Breguet
Atlantic 2, basés au Sénégal. Rappelons que ce déploiement est largement
facilité par l’important dispositif militaire français prépositionné en
permanence en Afrique, soit 5000 hommes et d’importants moyens
matériels dans dix pays voisins.
Soutien international à la France et mise en place accélérée de la MISMA
L’offensive djihadiste sur Konna a obligé à revoir, dans l’urgence,
les règles d’engagement de la Misma, la Force internationale de soutien
au Mali, dont le déploiement devait à l’origine prendre des semaines,
voire des mois. Les derniers développements de l’actualité ne permettent
toutefois plus tant d’atermoiements, aussi la France a-t-elle demandé
d’accélérer la mise en œuvre de la résolution 2085 de l’ONU qui autorise
notamment, depuis le 20 décembre dernier, le déploiement de la Misma.
La Cédéao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest a dès
lors autorisé, ce vendredi 11 janvier, l’envoi immédiat de troupes au
Mali, dans le cadre de la Misma, une force essentiellement africaine
donc, et forte de quelque 3000 hommes.
Les premiers éléments de cette force, qui sera chargée de déloger les
groupes islamistes, se mettent désormais en place sous la direction
d’un général nigérian du nom de Shehu Abdulkadir qui, selon Lagos,
serait déjà arrivé au Mali, le Nigéria s’engageant à fournir 600 hommes à
la Misma. Le Niger, le Burkina Faso, le Togo et le Sénégal compteraient
en envoyer environ 500 chacun, et le Bénin 300. Reste à savoir, au-delà
des déclarations de principe, combien de temps il faudra effectivement
pour déployer cette force et la rendre réellement opérationnelle. Par
ailleurs, Paris a reçu le soutien du Conseil de sécurité de l’ONU, de
même que de Moscou, de Pékin, et de ses partenaires de l’UE et de l’OTAN
(même si l’opération Serval se déroule hors-OTAN). Même approche
positive du côté américain, même si Washington apparaît peu confiant
dans les capacités des forces maliennes et de la Misma de reconquérir le
Nord. En outre, les Etats-Unis n’ont pas encore pris de décision ferme
concernant l’aide logistique que la France leur a demandée pour son
intervention. On évoque toutefois le déploiement (en cours ou prochain)
de drones US et d’un avion C-130 Hercules, de même que deux avions de
transport C-17 de la RAF.
La Belgique, quant à elle, a décidé l’envoi de deux C-130 et d’un
hélicoptère médicalisé (un second serait prévu en réserve). Cette
opération, qui mobilise environ 80 militaires, serait actuellement en
cours de réalisation. L’Algérie, quant à elle, plutôt hostile à une
intervention militaire étrangère, a autorisé sans limite le survol de
son territoire.
Menaces terroristes sur la France – Qui sont les djihadistes du Mali ?
Suite aux raids aériens français et au revers militaires subis ces
derniers jours, les groupes islamistes du Mali ont menacé de « frapper
le cœur de la France », s’en prenant tour à tous aux otages français
qu’ils détiennent (huit sont encore détenus au Sahel), aux
ressortissants français présents dans le monde musulman, ce qui concerne
notamment les 6.000 Français du Mali, sans d’ailleurs oublier
l’Europe : « La France a attaqué l’islam. Nous allons frapper le cœur de la France. Partout. A Bamako, en Afrique et en Europe », a
ainsi déclaré à l’AFP Abou Dardar, l’un des responsables du Mouvement
pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Le style est
connu. Le contenu du message également. Les djihadistes du Sahel n’ont
pas attendu la présente opération militaire pour menacer la France et
l’Europe. Mais il convient ici de rappeler qui sont ces djihadistes du
Mali auxquels l’armée française est confrontée aujourd’hui. Ils se
rassemblent dans trois organisations distinctes :
- Ansar Dine (= « défenseur de la foi », groupe malien
dépendant logistiquement d’Aqmi et constitué par des membres du clan
touareg des Iforas). Son chef est Iyad Ag Ghali.
- Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi ; issu du Groupe salafiste pour la prédication et le combat algérien).
- Le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao ; dissidence mauritanienne du groupe précédemment cité ; très impliqué dans le trafic de drogue).
Ces trois groupes, renforcés d’éléments djihadistes
« internationaux » se sont alliés pour imposer la Charia par la force,
dans le nord du Mali. Ils ont partiellement bénéficié dans feue la
« Légion islamique » de Kadhafi, de la formation et de l’armement
libyens.
Un conflit interethnique opposant Noirs et Blancs
Ensemble, les djihadistes ont conquis le nord du Mali, de janvier à
mars 2012, avec l’appui du Mouvement national de libération de l’Azawad
(nom par lequel les Touaregs désignent le Nord-Mali), un mouvement
indépendantiste en lutte contre Bamako, mais ne s’inscrivant pas dans la
mouvance islamiste.
A noter à ce sujet qu’aucun chef djihadiste n’est noir, et que les
autorités de Bamako se sont vues dans l’obligation de lancer un appel à
ne pas perpétrer de pogroms contre les Touaregs et les Maures vivant au
sud. Au lendemain de l’intervention militaire française, la situation
des Touaregs du Nord, apparaît comme particulièrement délicate,
souhaitant d’une part se distancer des groupes islamistes avec lesquels
ils ont peu d’affinités, mais craignant aussi une éventuelle avancée des
troupes maliennes vers le Nord. La volonté de revanche des populations
sub-sahariennes à l’encontre des populations touarègues et maures
pourrait, le cas échéant, avoir des conséquences humanitaires
dramatiques. Et le Mali pourrait alors basculer dans la plus totale
anarchie.
Éric Timmermans http://fr.novopress.info
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